Les Diaboliques est un recueil de six nouvelles de Jules Barbey d'Aurevilly, paru en novembre 1874 à Paris chez l'éditeur Dentu. Le projet de ce recueil de nouvelles devait s'intituler à l'origine Ricochets de conversation. Il fallut cependant près de vingt-cinq ans à Barbey pour le voir paraître puisqu'il y travaillait déjà en 1850 lorsqu'il fit paraître Le dessous de cartes d'une partie de whist dans le journal La Mode dans un feuilleton en trois parties, La Revue des Deux Mondes l'ayant refusé. Barbey revint en Normandie à la faveur des événements de la Commune et l'acheva en 1873. Extrait : Pour qui connaissait le genre d'esprit de Mlle de Beaumont, on était libre de mettre une atroce intention dans ce mot. Malgré sa pâleur, cependant, malgré la couleur hortensia passé des lèvres de la comtesse du Tremblay de Stasseville, il y avait pour l'observateur avisé, précisément dans ces lèvres à peine marquées, ténues et vibrantes comme la cordelette d'un arc, une effrayante physionomie de fougue réprimée et de volonté. La société de province ne le voyait pas. Elle ne voyait, elle, dans la rigidité de cette lèvre étroite et meurtrière, que le fil d'acier sur lequel dansait incessamment la flèche barbelée de l'épigramme.
La Dame de pique suivi de Le Hussard traduit du russe par Prosper Mérimée. Un soir d'hiver, cinq jeunes hommes passent la nuit à jouer, puis discutent du mystérieux pouvoir que détiendrait la comtesse Anna Fedotovna, grand-mère de l'un d'entre eux, Paul Tomski. Cette femme connaîtrait une combinaison de trois cartes qui gagnerait à tous les coups au jeu de pharaon. Extrait : Hermann tressaillit. L'histoire des trois cartes se représenta à son imagination. Il se mit à tourner autour de la maison, pensant à la femme qui l'occupait, à sa richesse, à son pouvoir mystérieux. De retour enfin dans son taudis, il fut longtemps avant de s'endormir, et, lorsque le sommeil s'empara de ses sens, il vit danser devant ses yeux des cartes, un tapis vert, des tas de ducats et de billets de banque. Il se voyait faisant paroli sur paroli, gagnant toujours, empochant des piles de ducats et bourrant son portefeuille de billets. À son réveil, il soupira de ne plus trouver ses trésors fantastiques, et, pour se distraire, il alla de nouveau se promener par la ville. Bientôt il fut en face de la maison de la comtesse ***. Une force invincible l'entraînait. Il s'arrêta et regarda aux fenêtres. Derrière une vitre il aperçut une jeune tête avec de beaux cheveux noirs, penchée gracieusement sur un livre sans doute, ou sur un métier. La tête se releva ; il vit un frais visage et des yeux noirs. Cet instant-là décida de son sort.
Katherine Mansfield est un écrivain et une poétesse britannique d'origine néo-zélandaise. Puisant son inspiration tout autant de ses expériences familiales que de ses nombreux voyages, elle contribua au renouvellement de la nouvelle de modernisme avec ses récits basés sur l'observation et souvent dénués d'intrigue. Extrait : C'étaient de mesquines petites demeures peintes en brun chocolat. Dans leurs jardinets, on ne voyait que des tiges de choux, des poules maladives et des boîtes de conserves de tomates vides. Même la fumée qui sortait de leurs cheminées avait un air indigent. C'étaient de petits lambeaux, des débris de fumée, si différents des grands panaches argentés qui de déroulaient au sortir des cheminées de Sheridan. Dans la ruelle habitaient des blanchisseuses, des marronneurs et un homme dont la maison avait sa façade toute parsemée de minuscules cages d'oiseaux. Les enfants fourmillaient. Quand les Sheridan étaient petits, il leur était défendu de mettre le pied dans ce chemin à cause du langage odieux qu'on y entendait et des maladies qu'ils auraient pu attraper. Mais, depuis qu'ils avaient grandi, Laura et Laurie dans leurs escapades y passaient quelquefois. L'endroit était dégoûtant et sordide. Ils en sortaient avec un frisson. Mais cependant il fallait bien aller partout ; il fallait tout voir. Donc ils y allaient.
Bruges-la-Morte est un roman de l'écrivain belge de langue française Georges Rodenbach (1855-1898), considéré comme un chef-d'oeuvre du symbolisme, publié d'abord en feuilleton dans les colonnes du Figaro du 4 au 14 février 1892, puis en volume en mai de la même année, chez Flammarion. Cet ouvrage, dont le personnage central est la ville de Bruges1 elle-même, remporte un grand succès, rendant son auteur célèbre du jour au lendemain, et contribuera grandement à la renommée de la cité flamande. Extrait : Hugues Viane ne cacha pas son mécontentement. Elle savait bien qu'il voulait assister à ce travail-là. Il y avait, dans ces deux pièces, trop de trésors, trop de souvenirs d'Elle et de l'autrefois pour laisser la servante y circuler seule. Il désirait pouvoir la surveiller, suivre ses gestes, contrôler sa prudence, épier son respect. Il voulait manier lui-même, quand il les fallait déranger pour l'enlèvement des poussières, tel bibelot précieux, tels objets de la morte, un coussin, un écran qu'elle avait fait elle-même. Il semblait que ses doigts fussent partout dans ce mobilier intact et toujours pareil, sofas, divans, fauteuils où elle s'était assise, et qui conservaient pour ainsi dire la forme de son corps. Les rideaux gardaient les plis éternisés qu'elle leur avait donnés. Et dans les miroirs, il semblait qu'avec prudence il fallût en frôler d'éponges et de linges la surface claire pour ne pas effacer son visage dormant au fond. Mais ce que Hugues voulait aussi surveiller et garder de tout heurt, ce sont les portraits de la pauvre morte, des portraits à ses différents âges, éparpillés un peu partout, sur la cheminée, les guéridons, les murs ; et puis surtout -- un accident à cela lui aurait brisé toute l'âme -- le trésor conservé de cette chevelure intégrale qu'il n'avait point voulu enfermer dans quelque tiroir de commode ou quelque coffret obscur -- ç'aurait été comme mettre la chevelure dans un tombeau ! -- aimant mieux, puisqu'elle était toujours vivante, elle, et d'un or sans âge, la laisser étalée et visible comme la portion d'immortalité de son amour !
La Maison Tellier est le premier recueil de nouvelles de Guy de Maupassant, paru en 1881 chez l'éditeur Victor Havard, puis dans une édition augmentée en 1891 chez Paul Ollendorff. Dès sa parution, le succès publique et critique du recueil est considérable. La première édition du recueil connaît de nombreuses réimpressions. Le recueil original est composé des huit nouvelles suivantes : La Maison Tellier -- Sur l'eau (1876) -- Histoire d'une fille de ferme (1881) -- En famille (1881) -- Le Papa de Simon (1879) -- Une partie de campagne (1881) -- Au printemps -- La Femme de Paul -- L'édition de 1891 est augmentée d'une neuvième nouvelle, Les Tombales, publiée la même année dans Gil Blas et placée en deuxième position du recueil.Extrait : Sitôt qu'elles ne furent plus seules dans le compartiment, ces dames prirent une contenance grave et se mirent à parler de choses relevées pour donner une bonne opinion d'elles. Mais à Bolbec apparut un monsieur à favoris blonds, avec des bagues et une chaîne en or, qui mit dans le filet sur sa tête plusieurs paquets enveloppés de toile cirée. Il avait un air farceur et bon enfant. Il salua, sourit et demanda avec aisance : « Ces dames changent de garnison ? » Cette question jeta dans le groupe une confusion embarrassée. Madame, enfin, reprit contenance et elle répondit sèchement pour venger l'honneur du corps : « Vous pourriez bien être
1830. La Comédie humaine - Études de moeurs. Premier livre, Scènes de la vie privée - Tome I. Premier volume de l'édition Furne 1842. Ginevra Piombo fait la connaissance de Luigi Porta, réfugié dans l'atelier d'un peintre chez qui elle prend des leçons. Luigi Porta a été blessé à Waterloo. Ginevra le secourt, le protège, et veut le présenter à sa famille. Mais elle découvre que les familles Piombo et Porta sont ennemies. Malgré le refus et les menaces de son père, elle épouse Porta pour le meilleur et pour le pire... Extrait : Les jeunes personnes qui composaient le groupe des nobles appartenaient aux familles royalistes les plus exaltées de Paris. Il serait difficile de donner une idée des exagérations de cette époque et de l'horreur que causaient les bonapartistes. Quelque insignifiante et petite que puisse paraître aujourd'hui l'action d'Amélie Thirion, elle était alors une expression de haine fort naturelle. Ginevra Piombo, l'une des premières écolières de Servin, occupait la place dont on voulait la priver depuis le jour où elle était venue à l'atelier ; le groupe aristocratique l'avait insensiblement entourée : la chasser d'une place qui lui appartenait en quelque sorte était non-seulement lui faire injure, mais lui causer une espèce de peine ; car les artistes ont tous une place de prédilection pour leur travail. Mais l'animadversion politique entrait peut-être pour peu de chose dans la conduite de ce petit Côté Droit de l'atelier. Ginevra Piombo, la plus forte des élèves de Servin, était l'objet d'une profonde jalousie : le maître professait autant d'admiration pour les talents que pour le caractère de cette élève favorite qui servait de terme à toutes ses comparaisons ; enfin, sans qu'on s'expliquât l'ascendant que cette jeune personne obtenait sur tout ce qui l'entourait, elle exerçait sur ce petit monde un prestige presque semblable à celui de Bonaparte sur ses soldats.
La Comédie humaine - Études philosophiques - Tome II. Quinzième volume de l'édition Furne 1842. Extrait : En ce moment, le fournisseur leva les yeux sur moi ; son regard me fit tressaillir, tant il était sombre et pensif ! Assurément ce coup d'oeil résumait toute une vie. Mais tout à coup sa physionomie devint gaie ; il prit le bouchon de cristal, le mit, par un mouvement machinal, à une carafe pleine d'eau qui se trouvait devant son assiette, et tourna la tête vers monsieur Hermann en souriant. Cet homme, béatifié par ses jouissances gastronomiques, n'avait sans doute pas deux idées dans la cervelle, et ne songeait à rien. Aussi eus-je en quelque sorte, honte de prodiguer ma science divinatoire *in anima vili* d'un épais financier. Pendant que je faisais, en pure perte, des observations phrénologiques, le bon Allemand s'était lesté le nez d'une prise de tabac, et commençait son histoire. Il me serait assez difficile de la reproduire dans les mêmes termes, avec ses interruptions fréquentes et ses digressions verbeuses. Aussi l'ai-je écrite à ma guise, laissant les fautes au Nurembergeois, et m'emparant de ce qu'elle peut avoir de poétique et d'intéressant, avec la candeur des écrivains qui oublient de mettre au titre de leurs livres : traduit de l'allemand.
Le joueur d'échecs de Maelzel est une nouvelle écrite par Edgar Allan Poe puis traduite par Charles Baudelaire en 1864. Le Turc mécanique ou l'automate joueur d'échecs est un canular célèbre construit à la fin du XVIIIe siècle : il s'agissait d'un prétendu automate doté de la faculté de jouer aux échecs. Construit et dévoilé pour la première fois en 1770 par Johann Wolfgang von Kempelen, le mécanisme semble être en mesure de jouer contre un adversaire humain, ainsi que de résoudre le problème du cavalier, un casse-tête qui exige de déplacer un cavalier afin d'occuper une fois seulement chaque case de l'échiquier. De 1770 jusqu'à sa destruction en 1854, il a été exposé par différents propriétaires en tant qu'automate, bien que le canular ait été expliqué, après bien des soupçons, au début des années 18201. Extérieurement, il avait l'apparence d'un mannequin habillé d'une cape et d'un turban assis derrière un meuble d'érable. Le meuble possédait des portes pouvant s'ouvrir pour révéler une mécanique et des engrenages internes qui s'animaient lors de l'activation de l'automate. Extrait : L'exhibiteur roulera, si on l'exige, la machine vers n'importe quel endroit de la salle, la laissera stationner sur n'importe quel point désigné, ou même la changera plusieurs fois de place pendant la durée de la partie. La base de la caisse est assez élevée au-dessus du plancher, au moyen de roulettes ou de petits cylindres de cuivre sur lesquels on la fait mouvoir, et les spectateurs peuvent ainsi apercevoir toute la portion d'espace comprise au-dessous de l'Automate. La chaise sur laquelle repose la figure est fixe et adhérente à la caisse. Sur le plan supérieur de cette caisse est un échiquier, également adhérent. Le bras droit du Joueur d'échecs est étendu tout du long devant lui, faisant angle droit avec son corps, et appuyé dans une pose indolente, au bord de l'échiquier. La main est tournée, le dos en dessus. L'échiquier a dix-huit pouces de carré. Le bras gauche de la figure est fléchi au coude, et la main gauche tient une pipe.
Extrait : Mina fut très malheureuse. Les succès que lui avaient valu ses grands yeux bleus si doux et son air si distingué diminuèrent rapidement quand on apprit à la cour qu'elle avait des idées qui contrariaient celles de son altesse sérénissime. Plus d'une année se passa de la sorte ; Mina désespérait d'obtenir la permission indispensable. Elle forma le projet de se déguiser en homme et de passer en Angleterre, où elle comptait vivre en vendant ses diamants. Madame de Vanghel s'aperçut avec une sorte de terreur que Mina se livrait à de singuliers essais pour altérer la couleur de sa peau. Bientôt après, elle sut que Mina avait fait faire des habits d'homme.
Après avoir écrit tant d'histoires tragiques, dit l'auteur du manuscrit florentin, je finirai par celle de toutes qui me fait le plus de peine à raconter. Je vais parler de cette fameuse abbesse du couvent de la Visitation à Castro, Hélène de Campireali, dont le procès et la mort donnèrent tant à parler à la haute société de Rome et de l'Italie. Déjà, vers 1555, les brigands régnaient dans les environs de Rome, les magistrats étaient vendus aux familles puissantes. En l'année 1572, qui fut celle du procès, Grégoire XIII, Buoncompagni, monta sur le trône de saint Pierre. Ce saint pontife réunissait toutes les vertus apostoliques ; mais on a pu reprocher quelque faiblesse à son gouvernement civil ; il ne sut ni choisir des juges honnêtes, ni réprimer les brigands ; il s'affligeait des crimes et ne savait pas les punir. Il lui semblait qu'en infligeant la peine de mort il prenait sur lui une responsabilité terrible. Le résultat de cette manière de voir fut de peupler d'un nombre presque infini de brigands les routes qui conduisent à la ville éternelle.
Extrait : D'ailleurs, gardez-vous de croire qu'il fût incapable de connaître les sentiments vrais, et que la passion ne fît qu'effleurer son épiderme. Il eût vendu ses chemises pour un homme qu'il connaissait à peine, et qu'à l'inspection du front et de la main il avait institué hier son ami intime. Il apportait dans les choses de l'esprit et de l'âme la contemplation oisive des natures germaniques, -- dans les choses de la passion l'ardeur rapide et volage de sa mère, -- et dans la pratique de la vie tous les travers de la vanité française. Il se fût battu en duel pour un auteur ou un artiste mort depuis deux siècles. Comme il avait été dévot avec fureur, il était athée avec passion. Il était à la fois tous les artistes qu'il avait étudiés et tous les livres qu'il avait lus, et cependant, en dépit de cette faculté comédienne, il restait profondément original. Il était toujours le doux, le fantasque, le paresseux, le terrible, le savant, l'ignorant, le débraillé, le coquet Samuel Cramer, la romantique Manuela de Monteverde. Il raffolait d'un ami comme d'une femme, aimait une femme comme un camarade. Il possédait la logique de tous les bons sentiments et la science de toutes les roueries, et néanmoins il n'a jamais réussi à rien, parce qu'il croyait trop à l'impossible. -- Quoi d'étonnant ? il était toujours en train de le concevoir.
1842. La Comédie humaine - Études de moeurs. Premier livre, Scènes de la vie privée - Tome I. Premier volume de l'édition Furne 1842. Extrait : Hélas ! il faut l'avouer, au risque de rendre le capitaine moins intéressant, Paz, quoique supérieur à son ami Adam, n'était pas un homme fort. Sa supériorité apparente, il la devait au malheur. Dans ses jours de misère et d'isolement, à Varsovie, il lisait, il s'instruisait, il comparait et méditait ; mais le don de création qui fait le grand homme, il ne le possédait point, et peut-il jamais s'acquérir ? Paz, uniquement grand par le coeur, allait alors au sublime ; mais dans la sphère des sentiments, plus homme d'action que de pensées, il gardait sa pensée pour lui. Sa pensée ne servait alors qu'à lui ronger le coeur. Et qu'est-ce d'ailleurs qu'une pensée inexprimée !
Le grand écrivain, le penseur original dont nous présentons au public une série de contes qui passent à bon droit pour des chefs-d'oeuvre en son genre, était fils d'un capitaine au long cours, qui mourut dans un voyage qu'il faisait à la Havane. Hawthorne avait cinq ans lors de cet événement ; il était né le 4 juillet 1804, à Salem, dans le Massachusetts et son enfance s'écoula paisible dans une ferme voisine du lac Sébago dans l'État du Maine. Ses premiers essais, publiés dans des Magazines, furent réimprimés en deux séries, en 1837 et en 1842, sous le titre de Twice told tales (Contes deux fois dits), et attirèrent du premier coup l'attention du public sur le jeune et brillant écrivain. Hawthorne publia de très nombreuses nouvelles sans les signer ou en utilisant un pseudonyme dans différentes revues, notamment The New-England Magazine et The United States Democratic Review. Extrait : Le patient insecte venait en se jouant de résoudre le curieux problème qui consiste à fixer les deux extrémités d'un fil à des distances relativement énormes ; puis cette amarre convenablement fixée, il avait fait converger plusieurs fils au milieu du premier et s'occupait à les enlacer les uns aux autres par des mailles destinées à barrer le passage au gibier ailé. Giovanni s'approcha de l'araignée et lui lança une longue bouffée de son haleine. Immédiatement l'animal cessa d'ourdir sa toile, qui s'agita par suite du tremblement convulsif de son petit artisan. Une seconde fois Giovanni souffla plus largement et avec plus de force sur l'araignée, lançant sur elle tout le poison que renfermait déjà son coeur. L'araignée tenta par un effort désespéré de se raccrocher à la toile, mais tout ce qu'elle put faire fut de se laisser glisser le long d'un fil, échelle improvisée, jusque sur l'appui de la fenêtre sur lequel elle tomba mourante. - Maudit ! maudit ! murmura Giovanni, en s'adressant à lui-même, es-tu si empoisonné que ton souffle soit mortel, même pour ce venimeux insecte ?
Dans ces quatorze nouvelles où il utilise souvent le procédé du retournement final, Morrow explore l'âme humaine au travers de personnages souvent en marge de la société - simple d'esprit, condamné pour meurtre, chercheur d'or un peu illuminé ou chirurgien mystérieux - mais qui nous touchent par l'universalité de leurs sentiments exacerbés. Vengeance, jalousie, amour, peur ou remords sont ainsi tour à tour évoqués dans ces courts récits dignes d'un maître du genre. W.C. Morrow fut célébré en son temps par Apollinaire et Alfred Jarry. Voici ce que disait ce dernier: «Le génie narratif de Kipling et le sens de l'horreur d'Edgar Poe, quoique les récits de Morrow soient une chose si neuve qu'il est inutile d'y chercher des comparaisons... On n'a encore rien écrit de pareil.»
Extrait : Bois-Lamothe ne s'y trompa pas une seconde. Il reconnut ses haricots blancs, ses noirs, ses bleus, ses rouges, ses violets. Il reconnut ses haricots jaune et violet, bleu et orange, rouge et vert. Le marquis se leva tout droit, battit l'air de ses grands bras secs et s'effondra en arrière sur une vieille pendule Louis XIII, qui n'avait sûrement pas marqué vingt minutes depuis Henri IV. Il était mort.
Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall (The Unparalleled Adventure of One Hans Pfaall dans l'édition originale) est une nouvelle d'Edgar Allan Poe, parue en juin 1835, dans l'édition du magazine mensuel Southern Literary Messenger, conçue comme un canular journalistique par Poe. Elle fut traduite en français par Charles Baudelaire. Dans cette nouvelle, présentée sous la forme d'un journal, un homme nommé Hans Pfaall entame un voyage fantastique en ballon, partant de Rotterdam dans le but d'atteindre la Lune. Extrait : D'après les nouvelles les plus récentes de Rotterdam, il paraît que cette ville est dans un singulier état d'effervescence philosophique. En réalité, il s'y est produit des phénomènes d'un genre si complètement inattendu, si entièrement nouveau, si absolument en contradiction avec toutes les opinions reçues que je ne doute pas qu'avant peu toute l'Europe ne soit sens dessus dessous, toute la physique en fermentation, et que la raison et l'astronomie ne se prennent aux cheveux. Il paraît que le... du mois de... (je ne me rappelle pas positivement la date), une foule immense était rassemblée, dans un but qui n'est pas spécifié, sur la grande place de la Bourse de la confortable ville de Rotterdam. La journée était singulièrement chaude pour la saison, il y avait à peine un souffle d'air, et la foule n'était pas trop fâchée de se trouver de temps à autre aspergée d'une ondée amicale de quelques minutes, qui s'épanchait des vastes masses de nuages blancs abondamment éparpillés à travers la voûte bleue du firmament. Toutefois, vers midi, il se manifesta dans l'assemblée une légère mais remarquable agitation, suivie du brouhaha de dix mille langues ; une minute après, dix mille visages se tournèrent vers le ciel, dix mille pipes descendirent simultanément du coin de dix mille bouches, et un cri, qui ne peut être comparé qu'au rugissement du Niagara, retentit longuement, hautement, furieusement, à travers toute la cité et tous les environs de Rotterdam.
Non, il n'était point naturel que les choses devinssent tout à coup, sans raison apparente, aussi désolées ; il n'était point naturel que cette verdure, ces arbres, ces fleurs qui, si joyeusement, avaient gravi la montagne, se fussent arrêtés soudain au bord de ce plateau, comme s'il avait été maudit, comme si le destin en avait interdit l'approche à tout ce qui pouvait ressembler à de la vie. Je n'avais jamais rien vu d'aussi lugubre que ces rochers nus et que cette masure, toute branlante encore du choc de l'ouragan ; et une grande curiosité me vint de pénétrer dans cette demeure, fermée jusqu'à ce jour aux étrangers, derrière cet hôte dont on ignorait tout, même le nom, et qui, tête nue, se promenait les jours d'orage, dans la montagne, avec son chien « Mystère » qui aboyait en silence.
Extrait : Et, en effet, à chaque kilomètre, une pièce de deux sous s'échappe du distributeur et vient modestement récompenser le travailleur de son effort. --- Mais pardon, interrompis-je mon ami, est-ce que cela ne serait pas plus simple au bonhomme d'avoir un domestique, un seul, qui lui pousserait sa petite guimbarde sans tous ces fatras pseudo-mécaniques. --- Sans doute, sans doute, s'il ne s'agissait que de purs trimballages ; mais l'homme, à cause de son infirmité, a besoin de distractions diverses, et violentes, et cruelles ! Or, en vue de gagner ces deux sous du kilomètre, des hommes se disputent, se battent, se massacrent parfois. Les couteaux sortent, le sang coule...
L'histoire commence par la rencontre de dix amis, sept femmes et trois hommes, réfugiés dans une villa, aux environs de Florence, afin d'échapper à une épidémie de peste. Chacun d'entre eux racontera des histoires, pour passer le temps, et poncturera la fin de chaque journée en chantant une canzone. La retraite, qui dure dix jours, donne naissance à cent nouvelles pleines d'esprit et de raffinement. L'auteur s'inspire de fabliaux français, de textes de l'Antiquité grecque et romaine et du folklore. Cette oeuvre majeure de Boccace est souvent considérée comme fondatrice de la prose italienne.
Jean des Brebis ou le livre de la misère est un roman d'Émile Moselly publié en 1904. Ce livre, avec Terres lorraines du même auteur, fut récompensé en 1907 par le Prix Goncourt. Recueil de six nouvelles d'inspiration régionaliste se déroulant en Lorraine, le livre met en scène la vie des plus humbles et des miséreux dans un cadre lorrain, rural et champêtre. Les titres de ces nouvelles sont : Jean des Brebis, À la belle étoile, Le Revenant, La Mort du bouif, Le Trompion et Cri-Cri. Extrait : Ce fut une stupeur dans toute la pièce lorsqu'on apprit que l'ambition lui était venue, et que tenté sans doute par le désir d'aller en permission avec des galons sur la manche, il s'était fait inscrire chez le fourrier pour suivre le peloton des candidats, des aspirants brigadiers, des élèves martyrs, comme on disait là-bas. Il s'était mis résolument à apprendre la théorie, cognant son front avec ses poings, pour y faire entrer tant de choses à apprendre par coeur, suant à grosses gouttes, vaguement dérouté par les expressions techniques, qu'il ne comprenait guère, ne pouvant arriver à retenir tant de mots bizarres : « le frein hydraulique, et les rayures hélicoïdales, et le dégagement du talon du loquet » ; « un tas de sacrés fourbis inventés bien sûr pour l'embêtement du pauvre monde ». Il l'apprenait, cette théorie compliquée et décevante, avec tout son corps, avec tous ses membres, avec la même bonne volonté robuste qu'il apportait aux manoeuvres de force, et il finissait toujours par se dépiter, par s'enrager, dans cette lutte émouvante où le terme insaisissable avait l'air de fuir, de se moquer de lui, de se dérober, dans une poursuite énervante et fugace. Encore une fois, on eût dit un ours qui, avec des gestes patauds de ses membres lourds, aurait chassé le long d'un mur une bestiole voltigeante et minuscule.
L'École des indifférents est un recueil de trois nouvelles de Jean Giraudoux publié en 1911 aux éditions Grasset. Extrait : Une amie que je n'aimerais pas moins si elle était moins trépidante. C'est elle qui est chargée dans le monde d'établir les courants d'air. Elle ouvre sans répit les portes d'armoire, les tiroirs, les coffrets. Elle se contenterait au besoin d'un boîtier de montre. Si je parviens à la faire asseoir, elle met en marche une invisible machine à coudre, ou bien, jambes croisées, elle contrôle ses réflexes. Elle est peintre de miniatures : elle doit tourner autour des cercles qu'elle décore comme une aiguille de pendule autour de son pivot. Et il n'y a rien à faire : lui attacher les mains avec une courroie serait, prétend-elle, réunir ses deux pôles.