« À travers l'analyse, précise et fine, des institutions, des oeuvres écrites, des documents, la question que Louis Gernet ne cessa de poser au monde ancien nous concerne de façon directe ; elle nous met nous-mêmes en cause : pourquoi et comment se sont constitués ces formes de vie sociale, ces modes de penser, où l'Occident situe son origine, où il croit pouvoir se reconnaître, et qui servent - aujourd'hui encore - à la culture européenne de référence et de justification ? Envisagé de ce point de vue, ce qu'on appelle traditionnellement l'« humanisme », se trouve remis à sa place, situé historiquement, relativisé. Mais dépouillée de sa prétention à incarner l'Esprit absolu, la Raison éternelle, l'expérience grecque retrouve couleur et relief. Elle prend tout son sens dès lors que, confrontée aux grandes civilisations différentes, comme celles du Proche-Orient, de l'Inde, de la Chine, de l'Afrique, et de l'Amérique précolombienne, elle apparaît comme une voie, parmi d'autres, dans laquelle l'histoire humaine s'est engagée.
« Louis Gernet était mieux armé que quiconque pour mener son enquête dans cette ligne. Philosophe et sociologue, autant qu'helléniste, il appartenait à la génération des Herz, Mauss et Granet, qui furent tous de ses amis, et dont il avait la stature intellectuelle. Qu'on relise son premier article, de 1909, sur l'approvisionnement d'Athènes en blé au Ve et IVe siècles, ou sa thèse de Doctorat sur le développement de la pensée juridique et morale de Grèce, si fortement marquée par l'influence durkheimienne, qu'on les compare aux études qu'au soir de sa vie il faisait paraître dans le Journal de Psychologie, on y retrouvera ce double et constant souci : partir des réalités collectives, à tous les niveaux, en cerner la forme dense, en bien mesurer le poids social, mais ne jamais les séparer des attitudes psychologiques, des mécanismes mentaux, sans lesquels ni l'avènement, ni la marche, ni les changements des institutions ne sont intelligibles. »
J.-P. Vernant (Extrait de la préface).
« Ces gens-là » ce sont les habitants d'une cité de transit auprès desquels l'auteur a enquêté systématiquement. « Nous devons remercier Colette Pétonnet de nous donner aujourd'hui un livre passionnant, admirablement pensé et écrit sur ce sujet, écrit Roger Bastide dans sa préface, mais il faut aller plus loin ; il faut la féliciter d'avoir appliqué à ce sujet les méthodes de l'ethnologie, en vivant dans la cité qu'elle décrivait, en utilisant l'observation participante, les entretiens continus, au fil des heures et des saisons. Ce qui fait que la Cité de La Halle revit devant nous, avec ses commérages dans les couloirs, ses drames ou ses moments de fête, les rites secrets des caves et les aventures des jeunes dans la « brousse » environnante. Car la « maison » ici, ce n'est pas seulement l'appartement, c'est aussi le couloir, l'escalier, les caves ou la cour, chaque sous-groupe, groupe sexuel ou groupe d'âge, ayant son domaine propre, qu'il façonne et qui le façonne. »
La philosophie de l'esprit et des phénomènes mentaux a connu, depuis une trentaine d'années, un renouveau important., notamment en raison de l'intérêt suscité chez les philosophes par les progrès des neurosciences et des sciences cognitives. Au sein de la tradition analytique anglo-américaine, en particulier, un véritable tournant mentaliste et naturaliste tend désormais à supplanter l'approche linguistique, jusque-là dominante. Ce livre propose une introduction aux thèmes riches et complexes que développent des auteurs comme Davidson, Fodor, Dennett et Dretske : les relations de l'esprit et du corps, le problème de la causalité mentale, celui de l'explication en sciences cognitives, les débats sur le statut de la psychologie populaire, la nature des croyances chez les adultes, les enfants et les animaux, des images mentales, de l'identité personnelle et de la conscience. Et il présente, de façon synthétique et rigoureuse, les principales théories de l'esprit actuelles : l'identité esprit-cerveau, le fonctionnalisme, l'éliminativisme, et les divers programmes de naturalisation de l'intentionnalité. L'auteur montre que la philosophie de l'esprit contemporaine est un domaine très ouvert, étroitement lié aux problématiques philosophiques traditionnelles, comme à celles des sciences cognitives. Il s'efforce de défendre une forme de matérialisme non réductionniste, sensible à la fois au caractère naturel et causal des phénomènes mentaux, et à leur dimension spécifique et autonome.
Pierre Vallières, journaliste québécois de 35 ans rédacteur du Devoir, co-directeur de « Cité Libre » puis animateur de « Parti-Pris » et enfin fondateur de « Révolution québécoise », a été arrêté en 1967 à New York alors qu'il manifestait en compagnie de son camarade Charles Gagnon sa solidarité avec des militants du Front de Libération du Québec. Lui-même militant de cette organisation, il devait être accusé de la responsabilité politique et morale (à défaut de la responsabilité matérielle dont il a toujours été admis qu'elle n'était pas en cause) d'un attentat meurtrier commis contre une usine qui venait de lock-outer ses ouvriers grévistes. Extradé au Québec, il a été condamné, en 1968, à la prison à vie, peine qu'il subit au pénitencier de Montréal. Cet essai écrit en prison est à la fois l'autobiographie d'un jeune ouvrier canadien autodidacte et l'analyse de la situation de ces Québécois qui, pour lui, dans le monde américain, font figure de "nègres blancs".
Qu'est-ce qu'une association ? Quelle est l'importance du mouvement associatif français ? Quelles sont les origines de la fameuse loi de 1901 ? Qu'ont en commun les associations de services sanitaires et sociaux, celles d'éducation populaire et les joueurs de boules ? Quel rôle ce secteur joue-t-il dans l'économie ? Est-il créateur d'emploi ? Quels en sont les acteurs ? Quelles relations ont-ils avec les pouvoirs publics ?
Le tiers monde est - et sera longtemps encore - rural, malgré la forte urbanisation qu'il connaît depuis une vingtaine d'années : en l'an 2000, un habitant sur deux vivra dans les campagnes, et assurera l'alimentation des villes. C'est dire l'importance à venir des campagnes dans l'économie du tiers monde. Mais celui-ci est multiple : quoi de commun entre les zones désertiques du Sahel et la pampa argentine, entre les hauts plateaux andins et les rizières de l'Asie du Sud-Est, entre le Nord-Est brésilien et la Chine ? L'auteur connaît bien ces différentes situations, et mène dans ce livre une étude comparative et prospective des enjeux économiques, sociaux, culturels et environnementaux qui se nouent dans les campagnes. Deux réalités accablent ces continents : la pauvreté, sans cesse grandissante des paysanneries, et la fragilisation des solidarités villageoises. Jacques Chonchol propose, pour faire échec à la pauvreté, de revaloriser l'aspect rural, d'encourager une industrialisation appropriée aux campagnes et aux paysans, de favoriser l'émancipation des femmes qui sont à la base des cultures, de rétablir les nécessaires équilibres avec l'écosystème. Mais ces diverses propositions doivent être resituées dans leur contexte, et c'est pourquoi l'ouvrage effectue, chapitre après chapitre, un véritable tour du monde. Le déficit alimentaire, les problèmes fonciers, l'intervention de l'État, l'enseignement agricole, l'influence du modèle occidental de développement, les structures familiales, l'échange inégal ville/campagne, etc., différent d'une région à une autre. La ville, la modernité, la division internationale du travail, lancent de véritables défis aux communautés rurales. Les réponses sont à formuler et à mettre en oeuvre dès aujourd'hui.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Elles sont filles de parents maghrébins immigrés en France. Leurs pères sont ouvriers, artisans, chômeurs ou retraités, l'un fut officier de gendarmerie. Elles sont nées à Nanterre, à Bobigny, Sartrouville, à Paris dans le vingtième, dans la banlieue nantaise ou à Roubaix et y ont grandi. Elles ont de dix-huit à vingt-sept ans, sont lycéennes, étudiantes, animatrice, secrétaires, restauratrice ou "au chômage". Quelques-unes ont un compagnon, l'une est mariée, une autre divorcée, la plupart sont célibataires. Toutes ont parlé sans réticence, contentes d'être écoutées par une auditrice attentive, française, ethnologue, spécialiste de la culture de leurs parents, ainsi à même de comprendre leurs difficiles et douloureux problèmes. En effet, elles sont partagées, parfois déchirées entre leurs aspirations personnelles de jeunes femmes en France et le désir, bien différent, de leurs parents, qui auraient voulu les voir devenir ces "femmes bien", modèle de femme maghrébine. Diverses ont été leurs conditions de vie, divers leurs rapports avec parents et frères, leurs connaissances de la religion, du Maghreb, leurs scolarités, leurs activités et relations éventuelles hors de la maison paternelle, leurs attitudes envers l'autre sexe, leurs propres désirs de famille et d'enfant, leurs problèmes d'identité et de nationalité, enfin, pour certaines d'entres elles déjà, leur participation à la vie active en France. A travers leurs discours sur toutes ces questions - une centaine d'heures d'entretiens -, sont analysées les conditions et les circonstances, les constantes et les variables susceptibles de freiner ou de favoriser leurs dispositions à l'intégration.
Pour la population juive de France pendant l'Occupation, il fallait, soit se conformer à une législation assassine, soit désobéir et courir les risques de la clandestinité. L'auteur est historien et fut animateur de la résistance juive communiste pendant la guerre.
Ce livre est un témoignage, l'itinéraire complet d'un coopérant qui a passé vingt ans au Pérou, dans des situations professionnelles très différentes. L'auteur a changé cinq fois de statut : ingénieur agronome de formation, il a d'abord eu pour mission d'aider les communautés paysannes andines à améliorer leur production. Enseignant ensuite, puis chercheur, puis coordinateur de projets auprès des paysans andins et, enfin, agent technique. Au terme de sa trajectoire, l'homme d'aujourd'hui regarde le coopérant naïf d'hier et soulève quelques questions essentielles : quel est le rôle du coopérant aujourd'hui ? un colporteur de techniques modernes, de méthodes, de concepts issus des pays dits développés ? ou un médiateur entre deux cultures, deux savoir-faire ? ou bien encore un « professionnel » en voie de disparition ?... Comment peut se concevoir à l'avenir la coopération, si elle n'est fondée sur l'idée d'un apprentissage mutuel ? Un livre utile à tous ceux que la coopération et l'aide humanitaire intéressent, pour répondre à leurs premières interrogations et bousculer quelques idées reçues.
Le débat sur le temps de travail prend rarement en compte le point de vue du travail des femmes. Or, elles sont les principales destinataires des politiques actuelles d'aménagement du temps de travail, de création et de développement d'emplois flexibles et précaires. Est-ce le partage ou la division du travail ? Cet ouvrage, pluridisciplinaire, envisage la totalité des temps sociaux - temps de travail et « hors » travail, temps domestique et professionnel. Il analyse les contenus des accords de partage du travail qui ont été conclus dans les entreprises. Des comparaisons internationales avec des pays du tiers-monde, de l'Europe, les États-Unis, le Canada et le Japon interrogent la notion même de partage du travail.
La violence à l'école défraie tous les jours la chronique. Elle est devenue une préoccupation majeure du ministère de l'Éducation nationale, et de l'ensemble du corps social : des colloques sont organisés pour réfléchir à des solutions, et des mesures sont prises - à tous les niveaux - pour encadrer les « barbares » que seraient les nouveaux collégiens et lycéens, mais elles se révèlent trop souvent insuffisantes et inefficaces. Plusieurs fois réédité depuis sa première publication en 1988, ce livre a été le premier à mettre en cause le fonctionnement de l'institution elle-même : il montre que la violence à l'école trouve largement son origine dans la violence de l'école. La thèse que Bernard Defrance défend, depuis plus de vingt ans, commence à être entendue : tant qu'on ne s'attaquera pas aux violences ordinaires, consubstantielles à notre système scolaire, qui s'exercent quotidiennement contre les élèves (brimades diverses, interrogatoires humiliants, notations empiriques, procédures de sélection, punitions illégales...), on ne résoudra rien. Et les établissements, en tout premier lieu ceux des quartiers défavorisés, continueront à être des marmites sous pression. Cette nouvelle édition est entièrement actualisée : elle tient compte des dernières études, et les propositions pour agir et prévenir s'appuient sur les évolutions récentes. Une lecture indispensable pour tous les professionnels concernés, et pour les parents sensibles aux problèmes de l'école.
Face aux déchaînements d'horreur en Algérie, l'opinion internationale semble tétanisée. Beaucoup d'observateurs disent : on ne comprend pas, on ne sait pas ce qui se passe vraiment. [...] Le rapport de Reporters sans frontières - Algérie, la guerre civile à huis clos - dénonce l'étrange inaction du pouvoir dans la recherche des assassins de journalistes, l'impitoyable censure qu'il exerce sur la presse, et l'interdiction de fait qu'il a imposée de toute enquête indépendante sur les violences ; le rapport de mission de la FIDH - La levée du voile : l'Algérie de l'extrajudiciaire et de la manipulation, établi à partir de témoignages particulièrement accablants recueillis sur place, montre que la lutte légitime de l'État algérien contre le terrorisme est menée, depuis 1992, en violation complète des conventions sur les droits de l'homme dont il est pourtant signataire (pratique généralisée de la torture, séquestrations arbitraires et disparitions, exécutions sommaires, milliers de prisonniers d'opinion, exactions encouragées des milices, etc.) ; - le rapport de l'organisation américaine Human Rights Watch - Algérie, des élections à l'ombre de la violence et de la répression - revient, à l'issue d'une mission sur place, sur les conditions très particulières des élections législatives du 5 juin 1997 (exclusion de certains opposants, censure, climat de violence, etc.) ; - et, enfin, le rapport d'Amnesty International - Algérie : la population civile prise au piège de la violence - analyse les exactions des groupes armés d'opposition, le rôle singulier des milices d'autodéfense armées par le pouvoir, le mur du silence construit par ce dernier pour entraver les enquêtes indépendantes, et l'indifférence de l'opinion internationale. Un ensemble de textes sans équivalent, qui ne permettra plus de dire : On ne savait pas.
Ce livre s'adresse à ceux qui refusent aussi bien l'horreur économique que le politiquement correct. Et qui ne s'accommodent pas de la langueur de la vie démocratique : élites décriées, militants désenchantés, représentation par les élus contestée, citoyens déresponsabilisés. À l'ère technologique, face au tout marché, la politique du XXIe siècle reste à inventer, de la base au sommet. C'est la conviction qu'entend faire partager ici Michel Charzat, maire du XXe arrondissement de Paris, sénateur socialiste de la capitale, acteur influent, mais discret, de la vie politique depuis plus de vingt-cinq ans. Exemples concrets à l'appui, il montre pourquoi, et comment, la démocratie locale, école et creuset de l'autonomie des citoyens, est le moyen nécessaire, sinon suffisant, de stimuler un nouvel appétit de participation politique. Dans ce livre d'entretiens avec Claude Neuschwander - lui-même un passionné de démocratie économique et sociale -, Michel Charzat explore, de façon très vivante, les voies possibles de ce renouveau. Et il explique ce qu'il faudra mettre en oeuvre pour que Paris - berceau de la démocratie moderne - redevienne un modèle pour le monde.
Affaires à répétition, crise de la protection sociale, poursuite du chômage... Face à ce climat d'incertitude, les Français sont perplexes. Et beaucoup se demandent : Que fait donc l'État ? Le problème est réel, et il n'est pas exclusivement d'ordre politique : à l'heure de la mondialisation et du chômage structurel, on est en droit d'attendre un sans faute de l'État. Or, trop souvent, celui-ci disjoncte, et les dysfonctionnements - petits et grands - de l'appareil public deviennent de plus en plus fréquents. Dans cet essai clair et décapant, René Lenoir analyse cette situation et propose des solutions. Il le fait à partir de trois dossiers exemplaires : celui de la politique fiscale et financière, qui a laissé se construire une société inégalitaire de rentiers et d'assistés ; celui de la délocalisation d'établissements publics, mal préparée et largement inefficace ; celui de la politique de décentralisation, vidée de sa substance au fil des années. Dans une seconde partie, René Lenoir s'appuie sur son expérience de quarante ans de service public, et de quatre années passées au gouvernement, pour formuler des propositions novatrices sur l'organisation même du travail gouvernemental, les moyens de prévision et d'évaluation à constituer et, surtout, sur la nécessaire évolution des rapports entre les politiques et la haute fonction publique.
Prenant comme point de départ le programme d'action adopté par l'ONU lors de la conférence du Caire en 1994, cet ouvrage identifie les contours du nouveau défi démographique qui appelle à une mutation de nos principes d'organisation sociale et économique, de notre rapport au pouvoir et, partant, de nos valeurs.
La vitalité des actions culturelles et artistiques dans le cadre de la politique de la ville et de la lutte contre les exclusions constitue un apport essentiel à la réflexion engagée dans ce domaine. L'ouvrage souligne l'importance de la notion de processus de développement en amont comme en aval des actions, ainsi que celle d'appropriation par tous les agents et acteurs de la ville de la dimension culturelle de leurs activités. Celle-ci ne se réduit en effet pas aux « beaux-arts ». Le livre est avant tout un guide, avec un lexique des mots-clefs, une approche par acteurs et une « boîte à outils ».
Luttes d'influence, mafia, « affaires », pots-de-vin, fausses factures, népotisme. Aucun pays n'est épargné, qu'il s'agisse de ceux du Nord, du Sud ou de l'Est. Toutefois, la corruption recouvre des phénomènes extrêmement différents suivant les contextes. Elle a un rôle économique, politique et social, qui, selon certains, n'est pas forcément négatif. Peut-elle, par exemple, se substituer aux carences de l'Etat et jouer dans les pays du Sud un rôle de moteur de développement ? Mais si elle est parfois créatrice de richesse, la corruption ne relève-t-elle pas de l'informel, de l'arbitraire et de l'utilitarisme pur ?
Devenu usuel en Angleterre et en France au début des années 1830, le terme socialisme désigna, d'abord, une protestation morale, économique et politique contre la pensée libérale et ses excès. Puis, il s'identifia à un système de pensées opposé au capitalisme, mais distinct du communisme. Ce livre retrace les grands axes des idées socialistes en France, depuis la fin du XVIIIe. Quels furent les différents contenus de ce socialisme pluriel ? Quelles furent ses aires d'influence au contact des autres penseurs européens ? Dès les origines, le rapport au politique dessina des lignes de partage entre un socialisme sans l'État, contre l'État, ou dans l'État. Puis il dut se définir en fonction du marxisme et opter pour la révolution ou le réformisme, un socialisme de gestion ou d'autogestion. Quelles furent alors les principales permanences et ruptures qui permettent de mettre en perspective l'évolution des idées socialistes ?
Avec le passage des générations, les enfants d'immigrés s'intègrent pleinement à la société française. Et pourtant, des pans entiers de cette dernière continuent à rejeter les étrangers et les Français d'origine étrangère, comme en témoigne notamment l'audience durable du discours xénophobe des partis de MM. Le Pen et Mégret. Les explications ne manquent pas : chômage, « fracture sociale », discrédit de la classe politique, crainte d'une Europe « supranationale »... Mais dans les autres pays européens, où ces facteurs sont également présents, on n'a pas assisté à la consolidation de ce que certains ont pu appeler un « apartheid à la française », en particulier dans le Sud de la France. Pour Benjamin Stora, cette spécificité s'explique d'abord par la prégnance, depuis la fin de la guerre d'Algérie, des représentations du racisme colonial, anti-arabe et antimusulman, reprises à leur compte par les dirigeants du FN. En analysant dans ce livre un étonnant florilège de leurs déclarations sur le sujet, il montre comment celles-ci s'inscrivent dans une mémoire mythifiée de la colonisation de l'Algérie et de la guerre qui y a mis fin. Du discours des colons « ultras » à celui de l'OAS puis du Front national et du Mouvement national aujourd'hui, c'est un étrange « sudisme » à la française que révèle Benjamin Stora : une idéologie qui fait directement référence à celle des colons américains - esprit pionnier et conquête des grands espaces, mais aussi esclavagisme et relégation des « indigènes ». Une idéologie d'exclusion qui trouve une audience d'autant plus large qu'elle se nourrit des diverses « mémoires communautaires » constituées autour du souvenir de la colonisation et de la guerre d'Algérie, dans le déni et l'occultation de leurs pages les plus noires.
La tragédie qui déchire la société algérienne, depuis 1992, ne trouvera pas d'issue pacifique sans un véritable débat entre toutes les parties en présence, armée, démocrates et islamistes. L'une des conditions de ce débat est que ces acteurs en finissent avec les discours de propagande et les faux-semblants. Et, pour cela, il est indispensable que certaines vérités soient dites, qu'un autre regard puisse être porté sur l'histoire de l'Algérie indépendante, occultée et mythifiée par les uns et les autres, au point de nourrir directement la violence actuelle. D'où l'intérêt majeur de ce livre où, pour la première fois, un ancien responsable politique algérien de premier plan retrace, à travers son témoignage, l'histoire de ces trois décennies. Ghazi Hidouci a été, successivement, à partir de 1965, haut fonctionnaire dans l'administration économique, conseiller économique au cabinet du président Chadli pendant cinq ans puis, enfin, ministre de l'Économie dans le gouvernement de l'ouverture démocratique entre 1989 et 1991, avant de connaître l'exil forcé à Paris. Ce parcours lui a permis de connaître de près le fonctionnement réel des institutions, celui des véritables réseaux de contrôle du pouvoir politique et, notamment, les circuits de corruption et de clientélisme qui en sont le coeur. C'est cela que décrit Ghazi Hidouci, depuis la période d'absolutisme développementiste de Boumediene, à l'explosion populaire d'octobre 1988, puis aux années du gouvernement Hamrouche marquées par des réformes économiques en profondeur. Son récit est celui d'un homme engagé, qui n'a jamais cessé d'agir à l'intérieur du système - parfois clandestinement - pour développer la résistance et l'amener à se remettre en cause. Un ouvrage important, écrit sans aucune complaisance, et qui apportera à tous ceux qui veulent mieux comprendre les racines du drame algérien de nombreuses révélations et des analyses particulièrement originales.
Pour la première fois sous la Ve République, un ministre est passé, en trois mois, du gouvernement à la prison. À l'automne 1994, la chute brutale d'Alain Carignon, maire de Grenoble, président du conseil général de l'Isère, ancien ministre de l'Environnement puis de la Communication, a sonné comme un avertissement supplémentaire pour une classe politique désespérément myope. Mais tout n'a pas été dit, loin s'en faut, sur la logique et les mécanismes qui expliquent cette ascension et cette chute exemplaires. D'où l'intérêt de cet ouvrage qui, grâce à une enquête approfondie nourrie aux meilleures sources, révèle les arcanes du système Carignon. Un système construit autour de la volonté et de l'ambition d'un homme, incarnation d'une nouvelle génération politique forgée par le marketing, et qui a remplacé la confrontation d'idées par une stratégie de communication tous azimuts. Un système qui a su tirer sa force des faiblesses de la décentralisation, par laquelle l'État a relâché ses contrôles, sans permettre l'affirmation de contrepouvoirs locaux. Grenoble-Paris, Paris-Grenoble : l'ascension d'un homme, la chute d'un système. C'est cette double histoire que retrace ce livre, rigoureux et renseigné, combinant anecdotes inédites et analyses en profondeur. Un livre qui vient, à son heure, pour mieux apprécier les faux-semblants et les enjeux réels des réformes sur la moralisation de la vie politique, adoptées après les incarcérations pour corruption liées à cette affaire.
Louis Althusser est mort le 22 octobre 1990. Après dix ans d'isolement, consécutif au meurtre de sa femme Hélène en 1980, l'auteur de Montesquieu, la politique et l'histoire, de Pour Marx, de Lénine et la philosophie, de Philosophie et philosophie spontanée des savants, ne faisait plus lui-même partie du paysage intellectuel français. Pourtant, par delà le déclin du structuralisme, dont il était considéré comme l'un des fondateurs (aux côtés de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault), par delà la crise du socialisme et du marxisme dont - au prix de controverses passionnées - beaucoup voyaient dans ses écrits la refondation, sa trace intellectuelle est loin d'être effacée. Dans ce recueil, Étienne Balibar, qui fut l'élève et l'ami du philosophe, rassemble quatre écrits sur Althusser et pour lui, qui s'échelonnent de 1977 à 1990. Il s'agit d'un adieu public, où se mêlent la discussion conceptuelle et l'évocation personnelle. Il s'agit, surtout, de commencer à évaluer l'héritage du théoricien qui, plus que tout autre, a voulu combiner la modernité philosophique avec l'engagement communiste : depuis sa conception de la science (issue d'une refonte de l'épistémologie bachelardienne) et de l'idéologie (avant tout nourrie de Spinoza et de Freud), jusqu'à celle de la révolution (qui joue Marx contre lui-même). Au rebours de l'image dogmatique qui continue de prévaloir, l'accent est mis sur les tensions et les contradictions qui n'ont cessé de maintenir ouverte la pensée d'Althusser et sur l'urgence des questions qu'elle pose.
Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie constituent - avec la république Sahraouie - ce qu'on appelle le grand Maghreb. Paul Balta a sillonné, depuis quarante ans, en tous sens, ces pays et entretient avec chacun d'eux une amitié, mêlée de familiarité et même de passion. Il ne peut dire celui qu'il préfère tant il les apprécie chacun pour leurs qualités (et leurs défauts, dont il n'est pas dupe). Mais il sait, comme peu d'Occidentaux, nous les présenter et c'est ce qu'il fait avec brio dans ce livre, qui dégage les constantes de l'Histoire et décrit la récente évolution des États et des peuples du Maghreb, leur vie quotidienne d'aujourd'hui, les enjeux de demain. Attentif aux soubresauts culturels, aux hésitations politiques, à l'appel de l'intégrisme, à la fascination de la modernité, il voit les blessures d'un monde déchiré entre la tentation et le défi de l'an 2000. Sans négliger le poids du passé et de la colonisation, il décrit et analyse les dossiers majeurs du Maghreb contemporain : l'émigration et la misère rurale, l'urbanisation et ses conséquences, la démographie galopante et la réforme de l'école, la situation de la femme et les pesanteurs de l'islam, les lacunes de la recherche scientifique et celles des médias, les potentialités de l'Union du Maghreb arabe. Paul Balta, avec la complicité de Claudine Rulleau, nous offre plus qu'un essai détaillé et précis de sociologie politique du Maghreb, il nous montre à quel point les destins du Nord et du Sud de la Méditerranée sont interdépendants.