Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Bientôt à la mi-temps de sa vie, une femme se penche sur son passé, pour dresser le « bilan de son existence », où elle ne voit d'abord qu'une suite d'échecs. Déçue par des aventures sans lendemain, Aude avait pourtant cru trouver en Stevan le compagnon idéal qui mettrait fin à cette errance des sentiments. Mais, peu à peu, la narratrice découvre que Stevan, à travers elle, ne recherche que le souvenir d'une autre maîtresse, morte pendant la guerre et par sa faute peut-être, dans de tragiques circonstances. Claude, jeune femme fantasque, aurait pu être aussi l'amour pur dont Aude rêvait. Après un printemps idyllique vécu à deux, Claude finira par s'éloigner à son tour, attirée vers un homme, mieux fait pour la rendre heureuse. Après ce second « échec », Aude sera bien près du suicide, mais il suffira du hasard, d'une rencontre imprévue, pour lui rendre son équilibre. En femme libre, elle décide alors d'avoir un enfant, un enfant sans père, fruit d'une union sans illusions. Ainsi son existence n'aura-t-elle pas été vaine. Aude transmettra le flambeau : ce sera la petite Anne, plus tard, qui devra « découvrir à la nuit un sens », à ses jours une raison, au bonheur un visage. Livre grave, livre pudique en dépit de certaines audaces de la pensée, livre dur et franc dans son réalisme dépourvu de concessions à la sentimentalité, le Jeu d'échecs n'en est pas moins, à sa façon, poignante et discrète, le chant d'espoir en sourdine d'un coeur blessé. Il témoigne d'une expérience, qui est une leçon de vie dans le courage de la lucidité.
A Francfort, une nuit d'octobre, la traductrice Claudia Wolf surprend l'écrivain Claude Galien en train de s'enivrer, et l'idée lui vient d'apporter un peu d'ordre dans cette vie dissolue. Pendant ce temps, à Lille, Stéphane, jeune artisan, rentrant chez lui, se heurte au cadavre de sa mère, et le cri qu'il pousse alerte une prostituée qui se rue sur les lieux du crime. A Paris, Antoine Fabri, qui se rend à la gare du Nord pour accueillir sa maîtresse, rencontre dans le métro un prince africain en exil et une réfugiée chilienne. Ainsi, pendant vingt-quatre heures, des personnages qui n'avaient en apparence rien de commun voient (ou ne voient pas) les fils de leurs destins s'entre-nouer. Et au cours des quatre journées qui composent le roman d'Hubert Nyssen, ces rois borgnes - mais des reines aussi - comme on en trouve dans les salons, les rédactions, dans les trains, sur les places, en marge ou dans l'ombre, règnent sur les aveugles de leurs petits territoires. Le plus singulier d'entre eux, véritable faire-valoir de tous les autres, c'est Dieudonné, un échappé du cirque de la fiction, haut comme trois pommes, tour à tour persécuté et persécuteur, tendre et méchant, sensuel et religieux, roitelet indiscret et fantasque qui mène le bal. Ce roman, construit avec une passion d'horloger, composé dans la profusion, mené tambour battant, nous conduit, épisode par épisode, à découvrir la trame de vassalité dans ce royaume où les borgnes sont rois : le nôtre.
Conjuguant le récit et l'essai, le gai savoir et l'analyse, peu à peu se dessine La figure du dehors, née de la philosophie européenne et de la pensée asiatique, du monde celte et de la poésie américaine. C'est un itinéraire singulier, un cheminement intérieur auquel nous convie Kenneth White, dont le parcours est jalonné par les rencontres déterminantes de Rimbaud et d'Ezra Pound, de Bashô et de Scot Erigène, de Segalen et de Thoreau - parcours d'un nomade de l'espace et du temps. L'oeuvre de Kenneth White, dont on a dit qu'elle était la première expression cohérente de la post-modernité, ouvre une perspective originale dans laquelle de plus en plus nombreux sont ceux qui se placent. La figure du dehors est le livre clé de Kenneth White, celui qui éclaire son oeuvre passée (dont Les limbes incandescents, Lettres de Gourgounel, Le visage du vent d'est, Le grand rivage...) et prépare le terrain de ses créations à venir.
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Eugénie Lapessé est une femme d'apparence simple, une femme du peuple, une mère affrontée à l'angoisse et qui cherche la paix. Sa vie nous est racontée en trois nuits, plus quelques autres veillées ou crépuscules. Eugénie nous apparaît d'abord fugacement par les yeux de sa mère Amélie, puis plus longuement, au cours d'une nuit d'hôpital telle qu'elle se revoit, enfant, jeune fille, femme, dans ses rapports avec ses frères et soeurs, ses patrons, son mari. Les méditations de son fils, Thomas Lapessé, dont Jean-Marie Paupert nous avait peint dans un roman précédent la vie haletante et déchirée, la présentent enfin à travers les rêves d'un enfant qui se souvient de sa mère, de ses peurs, de ses angoisses, de ses malheurs. C'est tout un monde disparu qui nous est ainsi rendu. Un petit monde de pauvres gens et de gens pauvres de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, enfoncés dans la vieille chrétienté et en proie au péché comme au souci du pain. On y rencontre les obsessions du sexe mauvais, du sang pourri, de la vie impossible. A travers les petits faits de la vie quotidienne perce la grande inquiétude de la vie. Et, bien que rien ne nous soit conté ici que la vie simple d'une femme simple, en elle transparaît toute l'angoisse de l'existence. Écrit dans un style maîtrisé, coulant d'un seul flot, charriant à l'occasion un savoureux parler populaire, ce livre grave et réaliste est aussi un roman pittoresque et singulièrement prenant.
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Ce récit en plusieurs volets n'est pas tout à fait un roman, bien que le même personnage y conserve le premier rôle. En quatre tableaux, en quatre saisons, ce sont plutôt des retrouvailles avec la jeunesse, depuis la grande maison où rêvait un enfant jusqu'au château victorien d'une baronne allemande, en repassant par ce foyer chéri où se succèdent les fêtes, les joies, les deuils, la vie même. Ce Théodore, que nous voyons peu à peu grandir jusqu'à l'âge adulte, promène partout et sur tous le même regard, fait de tendresse, d'ironie, d'inquiétude et de sincérité. Foisonnante et baroque, c'est bientôt l'ébauche d'une éducation sentimentale qui se dégage de ces souvenirs transposés. L'amour y a sa part, et les regrets. Il y a comme une couleur de temps perdu sur ces années fraîches qui ne sont plus. A l'aise dans ce monde éphémère qu'il sait évoquer avec un rare bonheur, Jean Ethier-Blais se montre poète autant que romancier, de la famille de Rilke, et cousin de Giraudoux. Une fois de plus, un écrivain canadien nous est révélé, et celui-ci est très proche de nous par sa sensibilité, sa culture, ses songes. On ne peut douter d'un talent si évident, d'une richesse d'images et d'un charme qui parlent au coeur dès les premières lignes.
La « Confidente » est l'histoire d'un échec. Ce récit des tentatives d'une femme pour ramener l'entente chez un couple de ses amis, prouverait-il que, lorsque les soupçons, les reproches, le mépris séparent deux êtres qui se sont aimés, le mal est sans remède ? Prouverait-il encore que, parfois, l'homme s'installe dans son malheur et rend tout secours extérieur inopérant ? Qu'il est le seul, aussi, à pouvoir intervenir entre sa souffrance et lui ? Emmurés dans leur haine, les deux adversaires : Marie et Nicolas, ne se rejoignent que pour repousser tout essai de réconciliation. L'amie du couple ne le comprendra qu'à la fin. C'est une lettre désespérée qui l'a appelée à Roquechamps, où vivent, depuis quelques années, Marie et Nicolas. Débarquée dans un pays inconnu, au climat étouffant, presque désertique, mal reçue dans une maison sans âme, où elle subira tour à tour les confidences imprécises et quelquefois contradictoires de l'homme et de la femme (ils s'accusent l'un l'autre de trahison tout en confessant leurs propres erreurs), elle s'apercevra trop tard qu'elle n'aurait pas dû accourir avec tant d'empressement et une foi aussi naïve dans le succès de son entreprise. Plus dévouée que perspicace, inconsciemment occupée à chercher en Marie et Nicolas transformés (à certains moments, ils lui apparaissent comme des monstres de laideur ; à d'autres, ils retrouvent toute leur beauté) les amis d'un temps révolu, la Confidente ne réussit qu'à aggraver le drame. Humiliée, brusquée, découragée, elle n'a d'autre recours que la fuite. Mais elle ne partira pas seule, son échec ne sera pas total. Elle quittera la sinistre maison en emmenant avec elle le petit garçon qui y errait et semblait n'appartenir à personne. On retrouvera dans ce nouveau livre de Gisèle Prassinos, toute la sensibilité et le charme de celle dont André Breton salua en mots mémorables l'apparition : « Elle a un style inimitable. Tous les poètes en sont jaloux. »
« La jeep s'aventure dans le ventre de la baleine Europe. » Août 1944 : le débarquement sur la Riviera. En réalité l'atterrissage de l'Amérique sur l'Europe. Une armée qui apporte avec elle ses supermarchés et les odeurs oubliées du tabac blond et du café en poudre. L'apparition de la première jeep dans la montagne où vivent les Bâtards. Aventuriers fraîchement sortis du lycée, comédiens devenus hommes des bois, ils avaient trouvé, à une heure de Nice, un désert pour s'y tenir à l'écart de leur temps. Mais les mutants qui descendent de la jeep - les G.I.'s - et surtout l'Homme Interminable, Sacramento Slim, ne sont pas pour eux des étrangers. Engin d'une autre planète, la jeep emporte les Bâtards, et partout explose, entre Nice et Monte-Carlo, une étrange fête appelée Libération. L'Europe ne sera jamais plus la même, ni aucun des personnages de ce récit. Pourquoi Sacramento Slim porte-t-il, tatoué sur son bras, le mot Nevada, alors qu'il est de Californie ? Pourquoi, lui qui aime exclusivement les éléphants et les petits canards, doit-il, après les enfers du Pacifique, se battre dans une charcuterie de Nice pour une fille tondue ? Pourquoi la Military Police le poursuivra-t-elle jusqu'à Monte-Carlo ? Et pourquoi l'horloger Mathias - le héros des Enfants d'Attila, le premier roman de G. Walter - doit-il dormir en classe de huitième dans le lycée où un certain Louis XVI fait des dictées, alors qu'il a aidé un lieutenant de la Wehrmacht à déserter ? Tout cela est dans la logique d'une fête que de vieilles milliardaires suivent à la jumelle du balcon de leur palace. A Monte-Carlo, jamais un instant la petite boule de la roulette n'a cessé de tourner. C'est en vain que le nommé Nostradamuste initie Sacramento Slim aux lois de la probabilité en même temps qu'au Riviera cocktail. Comme l'horloger Mathias, le G.I. Sacramento Slim doit finir en prison : la Military Police a toujours le dernier mot, mais non sans mal en l'occurrence. Les Bâtards, dispersés, retournent au théâtre du quai où sont leurs enchantements et leurs amours. La pièce qu'ils vont reprendre est de Calderon, elle s'appelle La vie est un songe. Le sens de l'humour, où se mêlent cocasserie et tendresse, le goût de l'image baroque, qui le conduit à de surprenantes trouvailles et un extraordinaire allant (l'équivalent du brio des sportifs) font de Georges Walter un des jeunes écrivains les plus importants de ce temps.
Jacques Nels pensait-il aux Années d'apprentissage de Wilhelm Meister, à l'Education sentimentale, aux Illusions perdues alors qu'il commençait d'écrire la Colline de Chaillot, ce roman de formation de la seconde moitié du XXe siècle ? Sans doute. Car, quoi qu'en pensent les adversaires de la tradition romanesque, la suite implacable des jours impose aux jeunes gens d'aujourd'hui, tout comme hier, les mêmes questions sur la manière d'aborder la vie et de l'assumer. Robert Salaise, qui tient la place principale dans la Colline de Chaillot, est donc un proche parent de Wilhelm Meister, de Frédéric Moreau, de Lucien de Rubempré, de Rastignac. Comme eux avaient à se heurter aux usages et aux lois de la société de leur temps, Robert Salaise fait face aux moeurs et aux structures de son époque. Dans une suite ininterrompue d'événements professionnels ou sentimentaux, divertissants ou dramatiques, il aura, pour faire son expérience des hommes et des choses, à aborder les milieux de la publicité, du journalisme, du cinéma, de la haute couture, du commerce de l'antiquité. En outre, Robert Salaise est l'objet d'une vocation, celle de peindre, qui l'arrachera à ses occupations journalières pour le vouer entièrement, même dans la misère, à son art. Voilà donc un roman vaste, profond, tumultueux, dans lequel bien des personnages divers, hommes et femmes, agissent ou se profilent et passent, qui a l'ambition d'être, à travers l'histoire d'un destin particulier, un tableau social, sentimental, psychologique et moral de notre temps. L'entreprise était, dès l'abord, audacieuse, mais comment reprocher à un auteur, qui mène son récit avec rapidité et hardiesse, dans une langue sobre et ferme, de tenter de suivre les traces de ces écrivains qui, malgré leurs détracteurs occasionnels, sont et resteront, au ciel de la littérature, des étoiles de première grandeur ?
On sait que physiciens, psychologues, sociologues et autres docteurs de tout acabit ont mis depuis une cinquantaine d'années le monde en équation. Mais voici que, de plusieurs points de l'horizon, s'élèvent des voix pour mettre en doute leurs prétentions et contester, non seulement les lois qu'ils ont établies, mais la possibilité même d'émettre des lois. Déjà l'OEdipe chancelle. Le dernier tiers du siècle verra peut-être la déroute des docteurs. Dans ce cas, le petit livre allègre et malicieux de Rafaël Pividal n'aura pas été inutile. Rafaël Pividal est philosophe, ce qui lui donne la compétence nécessaire pour parler de Marx et de Freud, mais il est aussi romancier, et c'est plutôt en romancier qu'il s'interroge ici sur leurs mirobolantes découvertes. La science moderne, dit-il, toutes les sciences, physiques et humaines, étouffent sous la méthode, au détriment du style. Et de rappeler, avec l'impertinence tranquille du Huron, que les grands savants étaient en réalité des artistes travaillant par petites touches personnelles autour d'un thème poétique, comme Torricelli avec son thème du fond de l'océan, Pasteur avec son thème des infiniment petits, Newton avec son thème de la chute. Des espèces de dingues, en somme. Le propos du livre s'élargit ensuite et l'auteur fait peu à peu le procès d'une époque, la nôtre, mutilée, châtrée et désexualisée par le culte de la rigueur et la superstition de la technique. On n'oubliera pas, entre autres, les pages étonnantes sur le corps : ce corps bridé dans ses vêtements, condamné à des positions inconfortables, refoulé dans ses désirs les plus simples, amputé de son espace naturel, cantonné dans un automatisme stérilisant. « Aussi serait-il temps de prendre au sérieux Platon et d'accéder aux idées par Eros. » Platon mais aussi, on le devine, toutes les protestations juvéniles qui s'élèvent actuellement contre notre univers sclérosé et réclament plus de plaisir, plus de fête dans la vie.
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"Les orgues de Saint Sauveur" est la première des 9 nouvelles rassemblées dans cet ouvrage publié en 1966 par Jean Mistler.
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Dans la Bavière pastorale des palais dorés et des églises rococo, un jeune juif américain, passionné d'architecture, croit avoir trouvé la béatitude. Jonathan est amoureux de l'église de Wies, comme on ne peut l'être que d'une femme, ou d'un chef-d'oeuvre. Mais, bientôt, le trouble se mêle à la fascination en un curieux dédoublement. À travers les Mémoires vraisemblablement apocryphes de l'architecte, le vieux Dominikus Zimmermann, le XVIIIe siècle se confond, dans la vie quotidienne de Jonathan, avec le temps présent. D'insolites analogies surgissent, des êtres se font écho d'une époque à l'autre, et les rancoeurs, la violence et les délires du stucateur d'antan rejoignent ce qui survit, en ces lieux apparemment paisibles, de haine, de racisme et de folie érotique. Douloureusement, Jonathan découvrira que c'est là, dans ce décor qui semble disposé pour l'idylle, que le démon nazi a trouvé son secret refuge, le temps d'un concert, d'une chasse et d'une passion. Dense et mystérieux, tout en restant d'une limpide simplicité, le roman de Jean Gaudon impose, avec force, un climat d'une saisissante originalité. Présent et passé s'y fondent en un romantisme cruel, superbe de langue, d'images ; rarement la virtuosité d'un écrivain qui s'affirme, aura répondu aussi bien à l'invention du visionnaire qui l'habite.
Madame Jeanne, c'est l'histoire d'une femme. Elle a eu vingt ans en 1936, à l'époque du Front populaire et de la guerre d'Espagne. Le roman se termine alors qu'elle en a environ cinquante. L'histoire d'une femme, de son adolescence sage à la Sorbonne, de son éducation sentimentale dans le décor de deux guerres civiles, de ses déceptions et de ses trustrations féminines, mais surtout de la grande oeuvre de sa vie : ce collège de Viarmes qu'elle a fondé, où elle recueille des adolescents des deux sexes, retardés ou perturbés dans leur scolarité. Nouveaux élèves des plus étranges, éducateurs eux-mêmes fort peu orthodoxes, tout ce petit monde marginal s'agite sous la férule de Mme Jeanne, dont les souvenirs du temps de la guerre d'Espagne, et de l'Occupation allemande se mêlent à ses expériences actuelles, dans une suite de chapitres courts, à l'ordre chronologique volontairement brouillé. La vie de ces collégiens, avec leurs rêves avortés, leurs risibles amours, leurs faux suicides, c'est un peu le microcosme des folies humaines. Un mélange de drôlerie et de pathétique, qui touchera le lecteur par la justesse du ton, et le séduira par l'habileté de la mise en scène.
Singles se dit en Languedoc des grappillons restant aux vignes après vendanges ; et tel est bien l'esprit de ce recueil d'arrière-saison. La vie au village est, presque toujours, le thème de ces poèmes brefs, à la vérité comme ces menus raisins tard mûrs, aigres-doux dans les premières gelées. Les gens, les bêtes, ces dernières beaucoup mieux traitées, les cyprès, les pierres, et sur le chemin désert où le vent balaye les feuilles mortes de la vigne, le poète aux écoutes des pins dont la rumeur est en lui comme celle de la mer au creux d'un coquillage.
Savez-vous quel jour s'est gelée votre enfance ? Celle de Luc Mohler dit peignecul, dit turlupin, dit peluche, cette enfance a la peau dure. Elle s'écaille, elle flétrit, mais elle est toujours là, intacte et fragile, réfugiée dans sa colère. Entre l'école communale de Ménilmontant et le cimetière du Père-Lachaise, le romancier tapote lentement des phrases qui finissent par nous dire quelque chose de fort et de neuf. Cri sur cri, il prend son pied au piège, il bafouille, il pousse en graine les mots, et il en naît ce texte pustuleux, vengeur, torrentiel et cependant désarmé, cette litanie d'insultes et de grossièretés qui cachent le poignant désarroi d'un homme-enfant dans le monde rétréci des craintifs adultes. Interdite aux ironiquement faibles, la zonarde poésie de ces imprécations dit des vérités bonnes à taire, les révoltes muselées, les impostures essentielles. Quand on a découvert que tous les miroirs sont aux alouettes, est-il bien raisonnable de s'y regarder avec l'ordinaire complaisance des romanciers narcisses ? Il n'y a plus que le crachat qui vaille, ou le coup de poing. Voici un talent qui ne pardonne rien à personne. On le reçoit comme une blessure mais on ne l'oublie plus.
Les personnages de ce roman sont des jeunes gens - garçons et filles d'aujourd'hui entre seize et vingt-six ans - issus de milieux populaires. Nous découvrons les faits et gestes, les pensées, les désirs, les dégoûts, les espoirs et le désespoir de tout ce petit monde : Olivier, 17 ans, jeune chômeur (il a été manutentionnaire quelque temps) ; Catherine, 22 ans, caissière dans un supermarché, elle est mère célibataire (et les pages sur son petit Christophe traduisent merveilleusement l'amour maternel) ; Patrick, 26 ans, qui a participé à Mai 68 mais ne croit plus à la révolution. Il travaille comme contrôleur dans un aéroport. Il est heureux en amour avec Marie, qui s'occupe d'une école maternelle. Philippe est un jeune ouvrier imprimeur, il vit, sans être marié, avec une gamine, Martine, qui finit ses études (et se découvre enceinte). Enfin, il y a Michel, jeune gigolo pour messieurs. Les lieux où se déroule l'action, en banlieue, sont très importants : cafés, supermarchés, bus, cantines, gares, postes de police. En arrière-plan il est question d'un détournement d'avion et d'une occupation d'usine. Le pirate de l'air sera abattu, et les ouvriers grévistes seront expulsés par la police. C'est très rare de lire un livre qui joigne, à des qualités littéraires de premier ordre, un intérêt de témoignage sur le monde actuel - sur des milieux dont, au surplus, la littérature ne parle guère.
Dilettante familier des célébrités littéraires dans les années 50, bon poète mais mauvais homme d'affaires, Jérôme s'est retiré dans son mas de la Crau, fortune défaite. La cinquantaine venue, il y vit avec Berthe son épouse, qui pourrait être sa fille, et les deux jeunes enfants qu'elle lui a donnés. Son existence a la paisible allure d'une retraite, partagée entre le farniente, la fréquentation du bistrot local, et la contemplation du troupeau de vaches exotiques et cornues qu'il tente d'acclimater au pied des Alpilles. En philosophe, Jérôme se satisfait d'être le vieux hippie du village, qui tire sa flemme avec l'astuce inépuisable des grands paresseux. Lorsque, soudain, l'occasion s'en présente, se donnera-t-il la fatigue d'être jaloux, puis celle d'être amoureux ? On ne sait jamais les surprises que la nature réserve aux plus sages, quand l'été s'en mêle, et l'herbe tendre, et quelque démon méridional... Très insolite dans son audace désinvolte, son érotisme sans péché, Françoise des Ligneris reprend la parole avec un talent tout neuf. À l'écoute de notre temps, la romancière de Fort Frédérick sait dire, à sa manière, sur le ton de l'ironie et de la tendresse, un certain goût d'être en marge, le sel du vrai bonheur, l'art de l'éphémère et le plaisir subtil, trop méconnu, des renoncements volontaires. Voici un livre qui ne ressemble à aucun autre et qui, plus que d'autres, peut-être, ressemble au rêve idyllique de notre époque.
Connaissez-vous cette variété de magnolia à feuilles caduques, dont les fleurs, blanches ou roses, s'épanouissent au premier printemps, somptueuses sur les branches nues ? Pour Jean-Paul Sordet, cette floraison est le linceul de jeunes disparues, le symbole secret d'amours mortes avant d'avoir été vécues. Il a près de cinquante ans. Il travaille dans la littérature, sans avoir jamais pu - empêché par la nécessité de gagner la vie de sa famille -, faute peut-être aussi de génie, se consacrer à l'oeuvre que, jeune, il croyait porter en lui. Sa femme, Claudie, dont le charme juvénile et sportif, l'avait séduit vingt-cinq années plus tôt, vieillit mal à son côté, cherchant amèrement refuge à l'échec de leur couple, dans des revendications et des idéologies hâtives. De-ci de-là, il s'offre une nuit ou quelques heures, avec une amie ou une autre. Ses trois enfants : Patricia, décoratrice dans le vent, Fabrice, étudiant occasionnel et poète confidentiel, Virginie, élève de terminale, sont des nébuleuses qui s'éloignent de plus en plus de lui. Demi-mari, demi-père, demi-amant, demi-écrivain, demi-jeune, demi-vieux, Jean-Paul, guetté par la neurasthénie, considère sans indulgence l'homme qu'il est devenu. [...] Mais voilà que, soudain, Claudie lui apprend la terrible maladie dont elle est atteinte, et que le malheur fait irruption dans un bonheur tard venu. Andrée Martinerie nous plonge dans un suspense sentimental et tragique, qui se prolonge bien au-delà de la dernière page d'un roman qui nous met tous en scène, jeunes et vieux, héritiers du Vieux Monde, ou nés dans le Nouveau - qu'il soit celui d'un continent ou celui d'une génération - dans une ronde où chacun cherche, selon sa morale, ses théories ou ses principes, son accomplissement. Hélas, il arrive que celui-ci dépende de la dose d'égoïsme dont on est capable face à ce sentiment aujourd hui tenu pour tiède, chrétien, larmoyant, pis, masochiste, qui s'élève comme une tempête chez Jean-Paul au chevet de sa femme, et qui s'appelle la compassion.