La conjonction de la mévente, du sous-emploi de l'appareil productif et de la hausse des prix, paraît une contradiction, du moins sur la base de notre expérience passée. L'étude du comportement des entreprises face à la fiscalité et aux divers modes de financement montre que nous sommes passés d'une économie de fonds propres à une économie d'endettement. La création monétaire qui est reconnue indispensable pour accompagner l'accroissement de valeur du produit intérieur brut, se fait par le biais de prêts aux entreprises, qui génèrent une inflation par les coûts, alors que l'explication par l'accroissement du volume de la monnaie se révèle très incertaine. Mais des règles comptables surannées légitiment l'imposition de bénéfices imaginaires par défaut de la réévaluation des actifs. Il en résulte à la fois un appauvrissement des entreprises et une insuffisance de la demande solvable nécessaire pour répondre aux capacités de production. La solution pourrait être une transformation de nos règles de financement de l'économie : l'attribution à l'État sous forme de dotation non remboursable, de la création monétaire reconnue nécessaire permettrait de réduire les impôts et les charges sociales, d'équilibrer le budget de l'État et d'augmenter très sensiblement les salaires.
On a sous-estimé la crise en croyant qu'elle n'était qu'une récession, ou une stagflation, ou la conséquence de contraintes extérieures et de difficultés venues d'ailleurs... D'où l'embarras des gouvernements, mais aussi de leurs oppositions, qui se heurtent en commun à l'une ou l'autre des deux contradictions majeures : la lutte contre l'inflation accroît le chômage et réciproquement ; la relance par la consommation n'est que provisoire, car très vite, les prix flambent et la croissance s'éteint. Aujourd'hui, la crise s'impose dans toute sa gravité, révélant trois dérèglements essentiels : la pression exercée par l'approvisionnement extérieur, le blocage de l'investissement, l'accentuation du sous-emploi. Il s'agit donc d'une crise organique située au niveau de la combinaison des trois facteurs : ressources naturelles, capital, travail, sur laquelle s'organisent la production et la répartition. L'origine de la crise est dans la croissance productiviste des années cinquante et soixante qui, pour élever la productivité, a substitué aveuglément l'équipement à la main-d'oeuvre, entraînant ainsi, la réduction de l'emploi, aggravant les charges du capital sous prétexte de réduire les charges salariales, préparant par l'accumulation la sous-rentabilité de l'investissement et finalement son blocage et celui de la croissance. Peut-on concevoir et mettre en oeuvre une politique cohérente et non contradictoire, permettant de sortir de la crise en surmontant simultanément : le chômage, l'inflation et la régression ?
Depuis près de vingt ans, la crise dure. Du fait de son ampleur et de ses enjeux, elle ne peut être comprise sans être replacée dans une perspective historique. C'est donc une fresque économique de longue période, reposant sur des données détaillées, que les trois auteurs nous proposent. Un rapprochement avec la crise des années 1930 et avec les modes de croissance antérieurs permet de bien dégager les ruptures et les mutations qui interviennent au cours d'une grande crise. Durant les années 1930, deux alternatives, le fordisme et le fascisme, se sont affrontées ; la première n'a pu s'affirmer et s'épanouir qu'au terme de multiples errements. Depuis la fin des années 1970 la convergence vers des formes de gestion plus libérales est nettement apparue : le monétarisme, le discours anti-étatiste, la déréglementation et la libéralisation financière, ont illustré cette tendance. Mais la vague libérale n'a pas été en mesure d'engendrer un nouveau mode de croissance cohérent au niveau national et, encore moins, au niveau mondial. La relance de la construction européenne par l'Acte unique, c'est-à-dire par le marché, et la perspective d'Union Monétaire, s'inscrivent dans cette logique.
Depuis juin 1982 une politique de rigueur est progressivement mise en place : devant une situation économique fort dégradée, le gouvernement est obligé de faire des choix, à nos yeux essentiels : faut-il, ou ne faut-il pas, amputer les retraites, soumettre les allocations familiales et les indemnités de chômage à des conditions de ressources, contrôler de près les chômeurs (et les faux chômeurs) ? L'opinion est toute désorientée devant cette nouvelle politique, elle s'étonne des hésitations, des contradictions, des tâtonnements, des reculades, elle a peine à croire à la sincérité des revirements, elle s'inquiète des pièges que recèle le « double langage ». Ce livre, dans ces 11 leçons, propose une lecture de ce qui se passe sous nos yeux, apporte des éléments de réflexion à ceux qui hésitent à se prononcer, et fait prendre conscience de la gravité des choix auxquels le gouvernement est confronté dans cette période tourmentée.