« Longtemps, je n'ai pas su de quel milieu je venais. Pendant ma prime enfance, même, j'ai pensé que je venais d'un milieu social aisé. À un moment, j'ai compris : ma famille et moi, nous étions pauvres. »
Les origines : voilà un « grand mot » pour répondre à la question de nos identités et de nos devenirs. Sommes-nous la somme des déterminations biologiques et sociales dont nous avons hérité ? Si, en revanche, l'identité se construit au fil de la vie, quelles places y tiennent le travail et le mérite ?
Gérald Bronner, « transclasse » lui-même, s'interroge et revisite la question sous le double angle du savoir sociologique et de son expérience personnelle.
Une réflexion émouvante, ainsi qu'un plaidoyer en faveur de la complexité qui rend nos origines dignes d'être racontées.
Bruno Latour a souhaité revisiter ses cinquante années de recherches au cours d'un entretien en deux parties avec le grand reporter Nicolas Truong. C'est pour le philosophe l'occasion de reprendre et poursuivre les éléments les plus importants de sa pensée sur notre nouvelle condition terrestre. Il déploie ses réflexions à partir de cette conviction : si l'homme tient à sa survie en tant qu'espèce, il lui faut apprendre à s'émanciper des grands paradigmes qui le guident depuis les Lumières. Un plaidoyer pour la philosophie envisagée comme une tentative magnifique et impossible d'embrasser la totalité.
Une coédition avec Arte éditions.
En 1934, à 25 ans, Simone Weil entre pour un temps indéfini à l'usine afin d'éprouver au plus vif d'elle-même la condition ouvrière. Cette expérience la bouleverse, tant sur le plan intellectuel que sur le plan intime. Après avoir tenu un journal et livré par lettres ses impressions à quelques amies proches, elle n'a de cesse, jusqu'à sa mort en 1943, de témoigner au sujet du travail ouvrier : elle en révèle le caractère inhumain, pense toutes les dimensions de sa nature oppressive et esquisse des formes d'organisation susceptibles de le transformer en un « travail non servile ».
Ces textes, rassemblés en 1951 par Camus pour former La Condition ouvrière, présentent une unité remarquable. Renvoyant dos à dos les théories du travail capitalistes et celles communistes ou anarchistes, Weil juge possible de dégager une perspective philosophique et politique indiquant comment les travailleurs manuels pourraient « atteindre la joie pure à travers la souffrance ».
Dossier
1. Aux sources de La Condition ouvrière
2. Le travail, entre nécessité, oppression et liberté
3. Décrire, dénoncer et penser le travail après Simone Weil.
Il est possible de vivre heureux. Nous pouvons encore bâtir cette société-là. Simone Weil en indique le chemin dans ces pages qui veulent redonner un horizon à ceux qui sont à terre, insuffler des forces, une énergie pour se relever. "Les Besoins de l'âme", ce sont nos "communs", quatorze valeurs vitales, dont les plus précieuses sont le besoin de vérité et la liberté intellectuelle, qui renvoient à deux exigences actuelles : je ne veux pas qu'on m'impose ce que je dois penser, et je veux que les informations qui circulent soient fiables. De là découlent des questions qui traversent toutes les sociétés qui visent à l'égalité. Ai-je des droits ou des obligations ? Peut-on tout dire ? Comment lutter contre l'impunité des puissants ? Obéir, est-ce le début de la servitude ?
Sur l'antisémitisme, le premier volume de la trilogie d'Hannah Arendt (Les Origines du totalitarisme), à mi-chemin entre la philosophie et l'histoire, apparaît aujourd'hui indéfendable, et d'abord en raison de l'utilisation abondante d'écrits d'extrême droite, antisémites et nazis : les analyses sur les juifs de cour, l'émancipation des juifs européens, le rôle des Rothschild, la montée de l'antisémitisme en Europe à partir des années 1880 et l'affaire Dreyfus présentée comme une répétition du génocide, sont foncièrement erronées. L'antisémitisme allemand de la fin du x?xe siècle, la Grande Guerre et ses conséquences, la crise de 1929 et le nazisme, sont simplement ignorés ; en somme, les juifs, qui se considèrent comme le peuple élu, seraient responsables de leur malheur. Pourquoi Hannah Arendt, juive allemande contrainte de fuir l'Allemagne en 1933, éprouve-t-elle une telle haine à l'égard des juifs ? Son mépris pour l'histoire et l'influence sur sa pensée de Martin Heidegger, du sioniste Karl Blumenfeld et de l'historien juif américain Salo Baron répondent à cette question.
Personnage ombrageux, taciturne et pessimiste, Arthur Schopenhauer est cependant l'auteur d'une oeuvre qui défend l'épanouissement et le génie de l'individu contre les maux de la société. Dans un monde où les hommes oscillent entre « l'ennui et la douleur », le chemin de la félicité ne semble pas tracé d'avance... La voie qui se dessine au gré des textes rassemblés dans ce recueil est celle d'un état de neutralité qui permettrait de s'affranchir de la souffrance et de vivre avec les coups du sort.
Tour à tour satiriques, mordantes et revigorantes, ces réflexions pragmatiques sont issues des Aphorismes sur la sagesse dans la vie.
Longtemps sous-évaluée dans la tradition exégétique, la Critique de la faculté de juger (1790) réapparaît aujourd'hui, au fil du libre dialogue entretenu avec elle par une série de philosophes contemporains, pour ce qu'elle est vraiment : le couronnement du criticisme en même temps que l'un des plus profonds ouvrages auxquels la réflexion philosophique a donné naissance. En organisant sa réflexion autour de trois axes (la finalité de la nature, l'expérience esthétique, les individualités biologiques), Kant affrontait le problème de l'irrationnel qui, à travers le défi lancé aux Lumières par Jacobi, faisait vaciller la toute-puissance de la raison.Cette traduction, qui invite à relire la Critique de la faculté de juger à partir de sa première introduction, laissée inédite par Kant, montre que consolider la rationalité, c'était aussi sauver l'unité de la philosophie par la mise en évidence de l'articulation entre raison théorique et raison pratique. Véritable lieu de la politique kantienne selon Hannah Arendt, émergence d'une pensée de la communication selon Jürgen Habermas ou Karl Otto Apel, la dernière des trois Critiques constituait ainsi, surtout, la réponse la plus subtile de la modernité à l'antirationalisme naissant.
"Qu'est-ce que je serais heureux si j'étais heureux !" Cette formule de Woody Allen dit peut-être l'essentiel : que nous sommes séparés du bonheur par l'espérance même qui le poursuit. La sagesse serait au contraire de vivre pour de bon, au lieu d'espérer vivre. C'est où l'on rencontre les leçons d'Epicure, des stoïciens, de Spinoza, ou, en Orient, du Bouddha. Nous n'aurons de bonheur qu'à proportion du désespoir que nous serons capables de traverser. La sagesse est cela même : le bonheur, désespérément. (...) Il ne s'agit pas de vivre dans l'instant : il s'agit de vivre au présent, on n'a pas le choix, mais "dans un présent qui dure", qui inclut un rapport présent au passé (la mémoire, la fidélité, la gratitude) et un rapport présent à l'avenir (le projet, le programme, la prévision, la confiance, le fantasme, l'imagination, l'utopie, si vous voulez, à condition de ne pas prendre vos rêves pour la réalité). La sagesse n'est ni amnésie ni aboulie. Cesser d'espérer, ou espérer moins, ce n'est pas cesser de se souvenir ni renoncer à imaginer et à vouloir !
Comment devrions-nous parler de sexe ? Du nôtre et de celui que l'on pratique ; un acte prétendument privé chargé de sens public ; une préférence personnelle façonnée par des forces extérieures ; un lieu où le plaisir et l'éthique peuvent se dissocier sauvagement. Depuis le mouvement #MeToo, beaucoup se sont attachés à la question du consentement comme cadre clé pour parvenir à la justice sexuelle. Pourtant, le consentement est un outil insuffisant. Pour appréhender le sexe dans toute sa complexité - ses ambivalences profondes, son rapport au genre, à la classe, à la race et au pouvoir - l'autrice souligne la nécessité d'aller au-delà du « oui et non », de l'acte voulu et du non désiré et interroge les relations tendues entre discrimination et préférence, pornographie et liberté, viol et injustice raciale, punition et responsabilité, plaisir et pouvoir, capitalisme et libération. Ainsi, elle repense le sexe en tant que phénomène politique. Incisif et très original, Le Droit au sexe est un examen historique de la politique et de l'éthique du sexe dans ce monde, animé par l'espoir d'une autre sexualité possible.
Aux États-Unis, pour 20 000 dollars, il est possible d'augmenter de 5 cm la taille de son enfant à naître. Qu'y a-t-il de problématique à créer un bébé sur mesure ? Qu'est-ce qui dérange dans la manipulation de notre nature ?
Pour répondre à ces questions, l'auteur part d'un constat simple : quand la science progresse plus vite que la morale, nous ressentons un certain malaise. Les concepts traditionnels de la philosophie, comme l'autonomie, la justice ou l'égalité, ne suffisent pas pour traiter des questions complexes et nouvelles que posent le clonage, les cellules souches ou les athlètes bioniques.
En défendant une éthique du don contre une éthique de la « domination » et de l' « augmentation », le philosophe ouvre des pistes de réflexion, guidé par une idée forte : si les manipulations génétiques annulent notre capacité d'agir librement, elles altèrent aussi nos qualités naturelles et portent atteinte à notre humanité.
Le concept d'Anthropocène s'est aujourd'hui imposé pour désigner une époque au cours de laquelle l'humanité est devenue une puissance globale en mesure d'affecter l'écosystème terrestre. Ce concept requiert une anthropologie philosophique, qui définit l'essence de l'homme par la négativité, pour concevoir son histoire comme un événement métaphysique en lequel un être s'oppose à la nature pour y mettre en oeuvre un processus de dénaturation qui s'avère annihilation. Cet événement est ici abordé à partir de la Première Guerre mondiale, conçue comme déchaînement absolu de la monstrueuse puissance du négatif, puis du totalitarisme compris comme système politique en lequel s'est institutionnalisé ce régime de mobilisation totale pour la destruction totale. La généalogie du totalitarisme montre alors que la métaphysique platonicienne en a élaboré le modèle théorique, puis que l'Église catholique médiévale a instauré l'appareil étatique nécessaire pour le réaliser. Le destin du christianisme, dans une troublante analogie avec celui du marxisme, est reconnu comme archétype d'une dialectique tragique, qui est alors analysée en termes métapsychologiques pour la fonder sur la structure psychique de la mélancolie.
Reprenant l'analyse de Marx sur le fétichisme de la valeur marchande, Anselm Jappe montre à quel point elle reste saillante pour appréhender notre époque, assez proche, en ce qui regarde son rapport à la valeur, des débuts du capitalisme.
Initialement publié en 2003, ce livre présente de manière à la fois précise et tranchante le courant de critique sociale connu sous le nom de " critique de la valeur " et initié en Allemagne par Robert Kurz dans les années 1980. Procédant à une relecture de l'oeuvre de Marx bien différente de celle donnée par la quasi-totalité des marxismes historiques, ce courant propose des conceptions radicalement critiques de la société capitaliste, tout entière régie par la marchandise, l'argent et le travail.
Anselm Jappe insiste notamment sur un aspect aussi central que contesté de la " critique de la valeur " : l'affirmation selon laquelle, depuis plusieurs décennies, le capitalisme est entré dans une crise qui n'est plus cyclique, mais terminale. Si la société fondée sur la marchandise et son fétichisme, sur la valeur créée par le côté abstrait du travail et représentée dans l'argent, touche maintenant à sa limite historique, cela est dû au fait que sa contradiction centrale - qu'elle porte en elle depuis ses origines - est arrivée à un point de non-retour : le remplacement du travail vivant, seule source de la " valeur ", par des outils technologiques de plus en plus sophistiqués.
"J'admire Wagner partout où c'est lui-même qu'il met en musique."
Un rapport singulier a uni Nietzsche à Wagner. Mais le musicien allemand, admiré par Nietzsche - la musique de Wagner lui a inspiré son premier ouvrage : la naissance de la tragédie -, deviendra également la cible de ses attaques les plus virulentes comme celles exposées dans ces deux ouvrages que nous publions ensemble : Le Cas Wagner (1888) et Nietzsche contre Wagner (1889), le dernier livre écrit par le philosophe allemand avant qu'il ne perde définitivement la raison.
Format professionnel électronique © Ink Book édition.
Surgie dans son temps et construite contre son temps, l’œuvre de Simone de Beauvoir, par son influence et son héritage intellectuel, fait l’objet d’une actualité retentissante. Ses analyses sur les logiques d’oppression, d’asservissement des femmes, des populations discriminées et marginalisées, et ses propositions relatives aux voies possibles d’émancipation, sont une leçon pour notre siècle. Cette puissance de pensée, qui fait de l’écriture une justification de l’existence, permet du même coup de repenser la notion même de liberté, engageant la relation de l’individu à sa situation, à autrui et à son avenir, pour conférer une nouvelle dignité à la finitude.Adelino Braz est professeur de philosophie et docteur en philosophie de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Emmanuel Levinas est un philosophe majeur avec lequel il est bon de s’initier à la philosophie. Il propose une philosophie complète qui honore toutes les parties de la philosophie. Cet ouvrage accompagne pas à pas le lecteur dans la compréhension des concepts et clarifie la langue ardue et poétique des œuvres. Loin des jugements qualifiant Levinas d’extrémisme éthique, nous avons voulu rendre sa philosophie à la simplicité de l’existence humaine, en montrant que sa réflexion rejoint la hauteur d’une authentique vie ordinaire. N’écrit-il pas : « C'est un « Après vous, Monsieur ! » originel que j'ai essayé de décrire » ? Pierre BENOIT est agrégé et docteur en philosophie. Il enseigne la philosophie d’Emmanuel Levinas au lycée Apollinaire auprès de publics défavorisés comme en Master à l’université Nice Côte d’Azur.
S’il n’y avait qu’une seule chose à dire de Bergson, ce serait celle-ci : l’expérience du temps, qu’il appelle la « durée », est le cœur de toute son œuvre, ce dont il est parti, ce à quoi il est inlassablement revenu et qu’il invitait à toujours retrouver sous peine de manquer l’essentiel de sa pensée comme de notre vie. Mais de cette intuition centrale du philosophe on a fini par faire une antienne, et presque une banalité, en oubliant qu’elle fut, d’un bout à l’autre de son parcours, une source d’étonnement continue. Car ce fut par hasard, et à la faveur d’un véritable choc, que Bergson découvrit la durée. Ce fut aussi sans l’avoir voulu, et même à contrecœur, que, d’abord séduit par le mécanisme, il se trouva contraint de reconnaître la contingence et l’imprévisible impliqués dans la compréhension rigoureuse du temps. Et ce fut encore sans s’y attendre, sous le coup d’une surprise, qu’en 1907, dans L’Évolution créatrice, à l’occasion d’une critique de la biologie de son époque, Bergson vit surgir la nouveauté comme cet aspect ultime de la durée qui enflamma littéralement les enjeux critiques et métaphysiques de sa pensée. Philosopher « en durée », ce fut toujours pour lui avancer de manière expérimentale, en se mettant à l’écoute du réel, sans jamais rien considérer comme acquis. Aimer Bergson, ce serait aller en le lisant, comme il a pensé, de surprise en surprise. Arnaud Bouaniche est docteur en philosophie et professeur en CPGE. Il a participé à la première édition critique des œuvres complètes de Bergson parue aux Presses Universitaires de France. Il est également secrétaire de la Société des amis de Bergson.
Cet ouvrage jette un regard rétrospectif sur les aspects culturels et philosophiques du postmodernisme. Sans donner crédit à l'opinion selon laquelle le postmodernisme échapperait à toute définition, l'ouvrage esquisse le développement de ce mouvement à partir de ses origines dans les avant-gardes états-uniennes des années 1960 jusqu'aux différentes mouvances du poststructuralisme. Il aborde en fin de volume la question de l'estompement du postmodernisme au tournant du XXIe siècle.
Christophe Den Tandt enseigne la littérature de langue anglaise, la théorie de la littérature et l'étude interdisciplinaire de la culture. Ses domaines de recherches sont la représentation du monde urbain, la théorie de la représentation réaliste, ainsi que la culture populaire américaine.
Si Camus n’est pas un philosophe « comme les autres », il convient de restituer l’unité qui traverse son œuvre hétéroclite en apparence, afin de montrer en quoi elle forme une philosophie de la vie propre à éclairer l’époque contemporaine. Cette unité passe par une clarification des rapports entre art, journalisme et philosophie, de leur imbrication et de leurs spécificités. Elle passe également par la permanence de questions qui traversent l’ensemble de l’œuvre camusienne, de la confrontation à l’absurde aux difficultés de la justice, à la nécessité de la révolte et aux possibilités offertes par l’amour. Christine Noël-Lemaitre est maître de conférences habilitée à diriger des recherches en philosophie à l’Institut d’histoire de la philosophie UR 3276 (Aix-Marseille Université). Elle enseigne également à l’IDRAC Business School.
Destiné aux étudiants du Supérieur, cet ouvrage a pour but de présenter l'essentiel des termes dans lesquels s'exprime Marx. Lexique où chaque terme est abordé par ordre alphabétique.
Se démarquant des projets d'émancipation des Lumières, du marxisme et de la sociologie critique, le philosophe français Jacques Rancière affirme que nous n'avons pas à devenir égaux. Nous devons nous présupposer égaux hic et nunc et créer et explorer les conséquences de cette présupposition. Ainsi, plutôt que de fournir le principe d'un ordre meilleur à construire, la présupposition de l'égalité suspend l'ordre institué et ouvre, ce faisant, d'autres « paysages du possible » : des espaces d'expérimentation des savoirs, des perceptions et des capacités qui constituent nos communs.
Jacques Rancière, pratiquer l'égalité entend reconstituer les moments forts du cheminement intellectuel multiple menant à ces idées : sa rupture avec le marxisme althussérien et son exploration des archives ouvrières du 19e siècle ; sa fascination pour le projet de l'émancipation intellectuelle du « maître ignorant » Joseph Jacotot ; la constitution de sa pensée politique centrée sur l'égalité et la démocratie ; et, finalement, l'élaboration de sa pensée esthétique. Ce cheminement n'aboutit pas à un seul concept d'égalité, mais oscille entre trois conceptions de l'égalité - égalités intellectuelle, politique et sensible -, lesquelles impliquent de réévaluer la pensée ranciérienne de la démocratie moderne, ouvrant sur de nouveaux potentiels conceptuels.
Pierre Montebello met en lumière les positions esthétiques de Gilles Deleuze et les rapports entre philosophie, arts visuels, musique, cinéma et littérature dans la pensée deleuzienne.
Peut-être l'art n'a pas d'autre raison : élargir l'homme, le dilater, le décentrer, le connecter à un plan large, infiniment large, faire passer le souffle du cosmos en lui. C'est pourquoi l'art opère par devenirs qui sont des devenirs indiscernables, imperceptibles, impersonnels. De quel art ne pourrait-on dire : il m'a fait passer dans un plan plus large, comme une marée, un océan, un ciel, un infini, par affects, par percepts, par sons ? Ou encore, il a créé un monde plus large que moi, il a fait monde, il a si bien éliminé tout ce qui bloque, tout ce qui immobilise, tout ce qui est mort, qu'il a créé une ligne abstraite qui épouse un devenir-monde, devenir de personne, devenir de tout le monde.
Ce livre est doublement important : il permet de mieux connaître Andy Warhol, mais aussi de réfléchir sur les rapports entre art et soft power. Il offre un véritable travail d'historien de l'art sur Warhol et le pop art et déconstruit les images que la publicité du marché de l'art et du soft power états-unien a produites pour faire vendre et connaître Warhol, mais surtout pour imposer le produit Warhol au détriment des artistes européens. En effet, ce soft power était une manière douce d'imposer la domination américaine sur le monde, et sur l'Europe en particulier, et de développer l'économie et le commerce états-uniens. Le pop art et la marque « Andy Warhol » ont développé la fonction idéologique et donc pratico-sociale de l'art afin que le nouvel empire écrase - comme on dit en informatique - les vieux pays d'un vieux continent et les transforme en lieux de la vacance, du tourisme muséal et de la dépense financière pour classes moyennes et plus. Ce livre est un livre de contre-histoire.
« Le séminaire sur Nietzsche résulte de ce qu'on peut appeler une décision pure, dont le résultat ne s'est pas inscrit dans les grandes scansions livresques de mon entreprise. Il est même resté à part de ses compagnons, les antiphilosophes modernes et antiques. Mais n'est-ce pas son destin, en vérité ? Je l'aime dans la solitude où tout le monde, sectateurs et calomniateurs, suiveurs et hurleurs, interprètes et propagandistes, l'ont toujours laissé. On verra comment, gouverné par cette profonde sympathie, le commentant en détail et l'admirant sans avoir pour autant à lui concéder quoi que ce soit, j'ai pu décerner à Nietzsche, en mon seul nom, le titre suivant : prince pauvre et définitif de l'antiphilosophie. »A. B.
Depuis 1966, une part importante de l'enseignement du philosophe Alain Badiou, aujourd'hui professeur émérite à l'École normale supérieure, a pris la forme d'un séminaire, lieu de libre parole et laboratoire de pensée. Les éditions Fayard publient l'ensemble de ces Séminaires de 1983 à aujourd'hui, période où la documentation est abondante et continue. Ce volume est le sixième de la série.
Jacques Chevalier et Emmanuel Mounier : deux philosophes, le maître et l'élève, engagés dans la vie de leur pays. Leurs liens d'amitié, noués dès 1924, se relâchent progressivement, sans pour autant disparaître, dès lors que le nazisme dévoile sa vraie nature, que l'Allemagne rompt le traité de Versailles, que la guerre civile espagnole fait rage, que le Front populaire s'effondre, que l'État français est institué et met fin à la démocratie et à la République. En 1932, Mounier crée, avec l'appui de Chevalier, la revue Esprit. Celle-ci, d'abord tolérée par les autorités de Vichy, sera interdite, mais elle réapparaîtra à la Libération. Chevalier, engagé depuis toujours contre le "laïcisme", deviendra ministre du Maréchal Pétain. En charge de l'Instruction publique, il réintroduira Dieu à l'école et sera condamné en 1946, en Haute Cour de justice. Cet ouvrage prend appui sur leurs correspondances et sur les verbatims de leurs entretiens, pour la plupart inédits.