Trois sorcières ont prédit à Macbeth qu'il deviendrait roi d'Écosse. Pour que son destin se réalise, il assassine le souverain en place ; mais parce qu'il a tué, il devra tuer encore et les morts ne le laisseront pas en paix. Sa femme, lady Macbeth, qui a armé son bras, paiera de sa raison son ambition monstrueuse. Récit tragique de la soif du pouvoir et de la folie des hommes, Macbeth, créée pour la première fois en 1606, est « la vision la plus mûre et la plus profonde du Mal chez Shakespeare ». « La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien. » Traduction de François-Victor Hugo
Dans cette adaptation de la nouvelle fantastique «Le Moine noir» d'Anton Tchekhov, Kirill Serebrennikov s'interroge sur le désir humain et irrépressible de liberté, sur l'art, le génie et l'autodestruction à laquelle ces tentations peuvent mener.
Anissa, 25 ans, décide de retrouver la trace d'un père qu'elle n'a jamais connu. «Au non du père» interroge ce qui fait lien entre un parent (biologique et d'éducation) et son enfant et comment cela oriente un parcours de vie.
Sirène, ondine, naïade... Il arrive que les noyées, les suicidées ou les jeunes femmes emportées prématurément par une mort violente se métamorphosent en l'une de ces créatures mythiques que les Slaves nomment Roussalka. Elles charment les hommes par leur chant et les attirent tout près du bord pour les entraîner avec elles. De cette figure universelle, Pouchkine tire un drame à la couleur typiquement russe.
La fille d'un meunier aime un prince éperdument. Quand il la délaisse, enceinte, pour en épouser une autre, elle se jette dans le Dniepr et la campagne russe prend soudain des airs de conte fantastique. Le meunier devient fou : sa fille lui parlerait du fond des eaux. Le prince lui-même entend la voix de son enfant. La jeune paysanne l'aime toujours et elle l'attend. Ce ne sont peut-être que des regrets... Mais c'est bien vous que l'envoûtement de La Roussalka pourrait emporter.
Située aux confins du monde, la ville d'Ushuaia abrite en son sein Mateo, reclus et isolé au coeur de ce paysage de glace. Il convoque une jeune femme pour s'occuper des tâches quotidiennes. Introduite dans l'univers de cet homme étrange et mystérieux, Nina tente de retrouver les traces du passé nazi de Mateo, afin de venger l'histoire. Mais sous un voile de vérité, toute certitude n'est pas inaliénable, et l'Histoire cache plus qu'elle ne dévoile.
La véritable identité de Mateo se dessine au fil des scènes au sein des décombres d'un triangle amoureux, tissé par des voix réelles et fantasmagoriques, fantômes du passé. La recherche historique devient un palimpseste où la mémoire, à travers les limbes du temps, fait ressurgir l'horreur mêlé à l'universalité du sentiment amoureux. Entre mensonge et vérité, le texte devient le porte-parole de voix disparues, notamment celle de Róza Eskenázi, chanteuse juive séraphade et figure active de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais l'amour n'est-il pas rédempteur comme dans La vie est un songe, le texte phare du grand Siècle d'or espagnol, dans lequel réel et fiction font de la langue le moteur central de la vie ?
Elena et Daniel ont accueilli et soigné un lévrier durant plusieurs mois. Sous le regard avisé et quelque peu décalé de Rita, Hans et Greta devront prouver qu'ils sont aptes à l'adoption.
Avec un humour cinglant, l'auteure décline cette situation sous toutes ses formes (économique, sociale ou langagière), à travers la joute oratoire des deux couples, espagnol et allemand, qui vont se faire face au beau milieu d'un salon.
Animal racé, élégant et majestueux, le lévrier espagnol est associé à l'aristocratie comme en témoigne la célèbre Partie de chasse de Goya, qui illustre avec justesse une société européenne en crise. Scène après scène, les rivalités apparentes dévoilent une visée tout autre, illustrant le conflit politique entre Nord et Sud qui, à son tour, laisse transparaître une crise représentative des relations de couple. Tous les clichés contemporains vont passer dans le prisme de la langue. Les dialogues, enlevés, précis, mais aussi douloureux, nous montrent une humanité qui n'en finit pas de chercher son bonheur.
Grâce à une succession de situations comiques, les véritables visages de chacun se dévoilent, au bord de l'abîme... et de la crise de nerf !
L'enfance et la violence faite aux jeunes femmes sont ici présentées avec une tristesse infinie, à travers un enchaînement de récits dramatiques qui forment une mystérieuse mosaïque.
Ainsi, plusieurs formes d'agression ont lieu simultanément à différents endroits de la planète. À Pattaya, des milliers de visiteurs, surtout des hommes solitaires, marchent égarés au milieu de la foule. Alex est l'un d'eux. Il ne cherche aucune compagnie hormis celle de Roly, son chien. À quelques kilomètres, une petite fille vêtue d'une robe bleue est assise à côté d'un touriste, sur un quai. Loin de Bangkok, un groupe d'amis célèbre un enterrement de jeune fille où le vrai jeu est celui des attouchements. À la même heure, en Inde, une mère jette le foetus de son enfant dans un fleuve. Pendant ce temps, à Madrid, un policier enquête sur le suicide d'une adolescente. Énigmes qui restent à résoudre dans ce clair-obscur, et que la prouesse dramatique nous présente sous la forme d'un carrousel.
Au sein d'un univers aquatique, les Nageurs de la nuit forment un Ordre secret, constitués d'hommes et de femmes écorchés, délaissés et souffrants. Tous cohabitent autour d'un lien qui les rassemble, celui de la solitude, de la violence, mais aussi celui de la joie. Ils forment une communauté unie mais secouée par l'effondrement de ses représentations habituelles.
Damnés de l'amour, ils apparaissent telles des voix fragmentées, résonnants en un choeur contemporain. Les personnages deviennent le portrait d'un monde malade et morcelé, dans lequel l'innocence ne trouve plus sa place. Le sujet intime défie le politique tandis que le corps politique s'insinue dans l'intime.
Dans la relation littéraire que l'auteur entretient avec le plateau, la littérature se situe dans le sillon des auteurs sud-américains, placée entre un langage métaphorique et une parole exclue de la réalité.
La scène devient un lieu d'expérience poétique, dans lequel le temps et l'espace semblent flottants, à l'image de la déstructuration formelle du texte.
L'écriture de Mora met en tension le spectacle incessant que chacun des personnages donne de soi au monde, mais aussi le moi déchiré des individus modernes.
Le snorkel est un sport, à ce qu'on dit. Dans ce récit pour la scène, les personnages semblent revenir d'une fête lointaine et aquatique qui n'est que souvenir. Des voix, multiples et en écho, tentent, à l'instar des femmes et des hommes d'aujourd'hui, de sortir la tête de l'eau, d'autant plus que leur regard est rivé sur la beauté des fonds marins. Parole et corps devraient, par la performance à venir, trouver un équilibre, grâce à la parfaite composition dramaturgique du texte.
L'observation, sous forme kaléidoscopique, d'un paysage lacustre, d'un campement de touristes, d'un monastère où la modernité va se reposer, donne à voir une ascension où toutes et tous se cassent la figure, avec humour et réalisme.
Les personnages ne sont pas toujours humains, n'ont pas toujours un nom, et ne partagent pas toujours le même temps, mais ils ont en commun la conscience de naviguer à la dérive en essayant de comprendre un monde que Snorkel compose dans voyage vertical, de la profonde obscurité d'un lac jusqu'à la première colonie humaine sur Mars.
Au coeur de la terre andalouse s'érige un projet familial d'une importance fondamentale : un père de famille, propriétaire terrien, ambitionne de faire fortune par la culture massive de tomates. Ses trois fils tentent chacun d'y trouver une place, peinant à avancer sur leur propre voie. Le père, brutal et intransigeant, place ses espoirs les plus chers dans la culture de ses fruits, faisant fi de la portée morale de ses actes et de leurs conséquences.
À l'heure où la question de l'altérité se pose plus que jamais, la découverte de l'autre se fait amoureuse, sexuelle et sociétale. En s'éprenant de Pap, Sénégalais, le personnage de María interroge notre rapport au monde à travers le prisme ancestral de la famille.
María décide d'explorer l'Afrique dans le cadre de voyages initiatiques, provoquant l'incompréhension de son entourage. Le détroit de Gibraltar, lieu de passage, devient le symbole de la quête personnelle et intrinsèque de ce qui constitue « l'Autre ».
Dans ce voyage à rebours qui la mène à Lavapiés, le quartier madrilène le pus ethnique de la capitale, puis à Burgos, sa ville natale, María va désapprendre tout ce qu'elle a appris à ce jour.
Dans ce questionnement des origines, la découverte du monde s'effectue au sein de méfiances quasi-animales, faisant du corps et de sa sexualité un lieu de rencontres et de batailles incessantes. Intimité amoureuse, quête de soi et engagement politique sont étroitement liés, opposant réalité et fiction.
Désincarnée et dédoublée par l'écriture, la voix de l'auteure trouve son écho dans le personnage de María, afin d'illustrer cette affirmation rimbaldienne: « Je suis l'autre ». D'une plume audacieuse, elle dresse le portrait de notre nature profonde d'animal social, que la pensée et la parole définissent à chaque instant.
Le Sol qui porte Hande est le récit dramatique de l'assassinat et de la disparition de Hande Kader en 2016, activiste transgenre turque, remarquée lors de la Marche des Fiertés à Istanbul l'année précédente. La dramaturgie de ce texte tente de retracer sa vie, de sa naissance à sa disparition.
Cette quête fragmentée qui prend la forme d'un texte-paysage, d'un individu, de son corps, de sa famille, de son identité, est construite par une fable bigarrée de césures - de pages manquantes. Le lecteur spectateur citoyen doit irrémédiablement faire appel à son interprétation, à sa capacité d'imaginer, pour en trouver un fil conducteur. Le théâtre devient une déambulation où l'écriture cherche à comprendre pourquoi et comment il est aujourd'hui possible qu'une société contienne tant de haine, de détresse et de violence. Ainsi, l'auteur démantèle la forme tragique classique, en intégrant le choeur au plateau des acteurs. Par un procédé d'inversion, la collectivité agit elle-même sur le récit devenu fiction.
Par là même, ce texte interroge le statut et la valeur de la parole, celle qui commente la réalité pour la rendre soit plus intelligible, soit plus opaque. C'est donc l'origine même qui est en question, celle de l'autorité des uns sur les autres, du théâtre sur soi, et de soi sur le système démocratique d'aujourd'hui.
L'Obéissance de la femme du berger est un triptyque sur la soumission, des femmes envers les hommes mais aussi des hommes en général, à travers trois monologues féminins pris dans le prisme d'un pornographe. La Femme d'un berger qui va bientôt mourir, la Femme abandonnée, seule dans un asile, et un Bébé, incarnent trois générations d'une même famille qui coexistent dans un même lieu : une maison de campagne. Cette maison est celle de la violence extrême que le texte nous dévoile comme le territoire de tous les traumatismes liés à une logique patriarcale.
Je ne me souviens toujours pas de son visage parle de notre attachement à la terre et à sa mémoire, de l'expropriation à l'expulsion. Sous forme de conte dramatique et d'hyperbole, la violence y est sans commune mesure, nous donnant à voir la dévastation du territoire mexicain. Jamais frontale, toujours avec délicatesse, l'oeuvre construit elle-même ses images bien qu'elle s'appuie sur un fait avéré, celui des villages dits magiques, pour composer un tableau autonome de son origine. Les personnages, abandonnés au milieu d'une guerre invisible sont victimes des narcotrafiquants. Les complices, eux, sont flous, moins tangibles.
La routine du village de Mier est brisée lorsqu'une tête apparaît, littéralement, au bord d'une route, à titre d'avertissement. Elle parle, mais ne se souvient plus de son âge. Elle est là depuis toujours dit-elle, cette tête. Elle est une preuve du crime organisé, et devient la protagoniste de ce drame de facture surréaliste qui rompt tous les codes de la vraisemblance pour nous mener dans un espace imaginaire où dignité et solitude vont main dans la main.
Lara reprend le dispositif dramaturgique d'une oeuvre parlante, tout comme le programme gouvernemental « Magical town » destiné à stimuler le tourisme dans certaines villes.
L'Araignée du cerveau est l'histoire d'une jeune fille qui s'invente un frère, tue ses parents et va en prison. Puis qui revient, croit-elle, chez elle après sept années. Elle va puiser dans un imaginaire polymorphe les éléments nécessaires pour supporter le souvenir d'une enfance étouffée, privée de sa substance, de joie et d'amour.
Ce récit du retour au foyer familial est d'autant plus troublant que les scènes se répètent comme des variations souffrant quelques altérations : un tremblement permanent. Il se construit entre le souvenir d'un passé incertain, un présent instable, à travers des personnages qui tournent comme les aiguilles d'une montre dans un espace clos. Dans une savante mise en abîme, les espaces se réduisent progressivement jusqu'à ce que nous découvrions que tout ce qui a été joué n'est qu'un ensemble de voix et d'images qui se tissent dans le cerveau de la jeune fille, prisonnière d'une famille absente. De fait, il n'est pas toujours facile de différencier ce qui est réel de ce qui a été inventé. Que se passe-t-il quand les émotions de l'enfance nous ont été volées, quand l'on nous dérobe le bien le plus précieux de la vie, celui d'inventer notre propre langage ?
Un homme d'aujourd'hui, espagnol, décide d'entreprendre le voyage qu'il n'a jamais osé faire. Il part en quête de son identité dont il ne reste aucune trace visible depuis sa naissance à la fin des années 1970. Sa biographie se confond avec celle de son pays, en un palimpseste tumultueux. CINÉ est le récit de ce voyage qui progressivement, nous révèle les origines cachées d'une vie et, par là même, moult secrets qui oscillent entre tabous intimes et engagement politique.
Pour La Tristura, le théâtre est un lieu propice au dévoilement, à l'incursion dans les limbes de la mémoire, un lieu où des coulées s'entrouvrent au coeur du récit, métamorphosé ici en un texte sur les enfants volés durant l'époque franquiste. C'est le lieu d'un paradoxe inextricable.
D'après les auteurs, différentes associations et travailleurs sociaux estiment que le nombre d'enfants volés en Espagne atteint les 300 000 entre 1939 et jusqu'aux années 1980.
Les séquences, parfois elliptiques, se succèdent et construisent une mosaïque composée de voix et de guerres autant réelles qu'inventées. Le théâtre accomplit alors sa fonction tragique, celle de mettre en relation la destinée individuelle avec celle, plus collective, d'un ordre fondé sur des valeurs politiques qui nous échappent.
Un homme sur le quai d'une gare, au petit matin. Il s'appelle Adam. Il attend un homme, « noir aux yeux de l'océan », qui ne lui ressemble pas. Pourtant, sur cette photo que sa mère lui aurait donnée juste avant de mourir, il cherche le père qu'il n'a pas eu, qui aurait une histoire héroïque à lui léguer, un père qui saurait l'aimer pour ce qu'il est. Dans l'attente de son arrivée, Adam va préparer son discours, son visage, son regard, pour que ce père ne l'abandonne pas, pour espérer le rendre fier, d'un fils qu'il n'a pas reconnu. D'un fils qu'il pourrait ne pas reconnaître. Cette pièce questionne la recherche de la paternité, par-delà la couleur de peau, la classe, la culture, le sang. Peut-on écrire un destin commun, oublieux des dissensions raciales, des écartèlements de la société ? Quel monde construire sur un mirage, un malentendu ?
BnF collection ebooks - "CECILE : Mon oncle, qu'avez-vous ? Vous me paraissez inquiet. LE COMMANDEUR, en s'agitant dans son fauteuil. Ce n'est rien, ma nièce. Ce n'est rien.(Les bougies sont sur le point de finir : et le Commandeur dit à Germeuil :) Monsieur, voudriez-vous bien sonner ?(Germeuil va sonner. Le Commandeur saisit ce moment pour déplacer son fauteuil et le tourner en face du trictrac."BnF collection ebooks a pour vocation de faire découvrir en version numérique des textes classiques essentiels dans leur édition la plus remarquable, des perles méconnues de la littérature ou des auteurs souvent injustement oubliés. Tous les genres y sont représentés : morceaux choisis de la littérature, y compris romans policiers, romans noirs mais aussi livres d'histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou sélections pour la jeunesse.
Quelque part, un corps est le voyage - au sens littéral, onirique, vital et imaginaire - d'un jeune homme en quête du corps, de la parole et des yeux de celle avec qui il a passé, un jour lointain et proche à la fois, quelques heures. Cette rencontre, unique et irremplaçable, marque pour lui le début d'une rupture avec le monde dont il s'éloignera pour amorcer un nouveau chemin contre vents et marées.
Cette quête se poursuit pendant des années et constitue un voyage chaotique, mais à la matrice solide, au pattern inébranlable. C'est surtout celle d'un dialogue avec un autre personnage-figure aux multiples visages, un ange gardien qui égrène chacune des étapes de ce texte mystérieux. Guidé par le souvenir d'un regard qui fonde une vie entière et dont le corps absent creuse progressivement un lieu dans lequel chacune et chacun se love. Dans ce voyage à travers le temps et l'espace, l'énergie de la langue devient un point de fuite, un horizon à atteindre.
Ce qui en ressort, c'est que fiction et réel sont assujettis à une croyance, une conviction qui bien que nous soyons tous issus de ce creux, de ce lieu où se trouve l'amour, nous le fuyons autant que nous y revenons sans cesse.
Un train express avance dans la nuit, sans provenance ni destination, au coeur d'un espace-temps indéfini. Des passagers y déambulent comme des marionnettes, se rencontrant au gré d'actions hasardeuses. Alors qu'éclosent des conversations a priori banales, des événements inhabituels semblent se tramer, laissant planer un sentiment d'incertitude entre les personnages. Dissemblables et étrangers les uns aux autres, leur destin s'avère pourtant lié à un apparent complot, dont les fils se nouent et se dénouent au coeur d'une faille spatio-temporelle. Des questions sans réponses surgissent, à l'instar du mystère qui les entoure. Scène après scène, se dresse le portrait d'une humanité en marche, progressant sur le chemin de sa vie, à l'image du train filant vers sa destinée. Matérialisée par la pérégrination des personnages, l'existence apparaît comme morcelée par ses différentes étapes, dans un mécanisme subtil de circularité. Écrit en 2009, ce texte met en jeu des personnages qui vivent dans une réalité sans cesse à reconstruire, confrontés à la menace d'un danger imminent et ancré dans le réel.
La Face B de la matière est un texte sur l'anarchie sous forme de documentaire scénique, où la rhétorique n'est qu'une métaphore de l'échec. L'anarchie comme politique et comme caprice de la matière dans le corps, l'anarchie du premier acteur de tous les temps : Lucifer.
C'est un récit de la dévoration des êtres entre eux et aussi de leur formidable capacité à détruire toutes les espèces vivantes. C'est une fable sur la vengeance de tout ce que les humains tuent pour qu'existent l'imagination et la fiction.Il y est question d'une meurtrière à qui l'on transplante le coeur d'un ours polaire et qui part faire un road trip d'hôtel en hôtel, composant ainsi un opéra à l'intrigue simple et classique : un requin tombe amoureux d'une requine qui le repousse. Le requin lui apporte alors un petit bouquet de touristes ensanglantés en provenance d'une plage et chante tragiquement son amour. Enfin, c'est un récit sur ce que nous engloutissons et ce que nous recrachons, de la matière et des mots, pour combler le néant qui nous forme. La salle de théâtre où se joue la pièce devient alors l'un des protagonistes, un vide ancestral que les femmes et les hommes essaient sans cesse d'emplir.
Petites pièces désabusées (sélection) constitue une géographie réelle et fictive, marquée par des situations qui donnent lieu à notre désolation quotidienne. Non sans humour, une voix narrative se déploie à travers différents récits qui sont rarement en lien avec les grands sujets de l'histoire souvent considérés comme transcendants.
Ainsi, nous nous confrontons à des situations apparemment anecdotiques qui bloquent nos vies et nous empêchent d'être en osmose avec nos désirs. C'est alors que commence le drame de notre solitude. Le style de ces récits, qui fonctionnent pour la plupart à partir d'une voix intérieure, nous renvoie à une sorte d'Intranquillité, d'agitation calme en surface. Les personnages affrontent leurs fantômes, leurs contradictions, et aussi les pièges de leur propre parole. La réalité, hostile, nous interroge inlassablement sur nous-mêmes et nos représentations, faisant de nous des petites marionnettes.
L'ironie est une clef essentielle pour lire cette mosaïque de textes entrelacés et entendre le murmure des voix qu'ils abritent. Des textes à déplier donc, pour y retrouver des êtres incomplets, insatisfaits et fragiles face à la brièveté du temps. L'horizon n'est sans doute pas si infini que l'on veut bien nous le faire croire.
La Maison brûle s'appuie sur les motifs dramatiques de la célèbre pièce de Lorca pour faire du foyer familial un espace micro-fasciste clos sur lui-même. Bernarda, c'est la Mère nourricière qui empêche le désir, qui castre les vivants.
Plus qu'une interprétation de la fable, ce texte propose un accès à des matériaux politiques et esthétiques dans le but de nous dévoiler les arcanes de notre société. C'est une réflexion poétique sur la domination, et dont la langue constitue la structure première.
Les éléments dramatiques du poète andalou se voient confrontés à des produits pharmaceutiques, à des mythes grecs, aux textes de Claude Lévi-Strauss, à Fantaisies masculines du sociologue Klaus Theweleit, ou encore à L'Invention de l'hystérie de Georges Didi-Huberman. En outre, sa dramaturgie met en oeuvre l'univers visuel et textuel de l'artiste new-yorkais Henry Darger, la musique de Gustav Mahler ou le film américain Little Miss Perfect. Ces matériaux forment un dispositif dramaturgique qui permet de mettre en exergue - d'un point de vue dramatique - l'oppression du monde modélisé par le langage et le discours, la fiction y demeurant une interrogation.
Fidèle à son style d'écriture franc, Emilio García Wehbi compose un nouveau paysage de l'oeuvre, un topos, qui selon lui définit le théâtre. Ainsi, les lecteurs doivent s'orienter par eux-mêmes car la notion d'origine, textuelle ou mythique, y est constamment déplacée par le truchement post-dramatique d'un dispositif à la frontière de l'art contemporain et du théâtre : seuls le regard et l'écoute du public seront en mesure de l'évaluer.
N.N. 12 est un texte sur la mémoire historique, sur la disparition des corps durant la guerre civile espagnole et leur présence aujourd'hui dans nos démocraties. Mais c'est aussi un texte sur le viol, celui des corps dans ce même contexte historique et politique.
La fable est celle d'une enquête médico-légale au cours de laquelle la dépouille d'une femme retrouvée dans une fosse commune vient d'être identifiée. Théâtre documentaire s'il en est, l'action se déroule dans un lieu indéterminé. Un fils, une mère disparue, une médecin légiste, un vieil homme, autant de vies humaines qui dialoguent dans ce texte, où passé, présent et futur forment progressivement un seul et unique temps, celui d'un théâtre singulier qui nous invite à assister à la disparition, mais aussi au processus mnémonique du théâtre : comment la voix de N.N. 12, nomen nescio, reprend la parole et nous raconte non seulement la mort, mais aussi le viol et la naissance d'un enfant avant de mourir, elle, la mère, la disparue.
La disparition, notion autour de laquelle s'articule le récit entier, fait donc appel à une dramaturgie fondée sur le rappel fantasmagorique des morts qui irriguent les sociétés d'aujourd'hui, en nous interrogeant sur la place que devrait occuper la mémoire dans la construction de nos vies, autant dans sa dimension intime que politique.