Au milieu des années cinquante, nombreux sont les écrivains de la Beat Generation à s'intéresser au bouddhisme et à se tourner vers le haïku, dont la forme épurée fait écho à leur quête de spiritualité. Si Jack Kerouac n'est pas le premier à expérimenter cette tradition poétique, il est selon Allen Ginsberg ' le seul maître du haïku '. Adaptant ces poèmes japonais de trois vers à la langue et à la culture américaines, il en vient à redéfinir le genre, qui l'accompagnera toute sa vie.
"À trente-quatre ans, j'ai éprouvé de nouveau l'empoignade d'une lecture d'enfance. Elle a duré deux nuits. Je relisais, bouleversé, Ceux de 14. [...] M'apprêtant à écrire sur les paysages du Barrois et de la Woëvre, j'avais pensé recevoir d'une nouvelle lecture de Genevoix la bénéfique influence. Sa réputation de paysagiste était solide et l'on disait qu'il n'était pas seulement le meilleur peintre de la Loire, mais aussi de la nature meusienne. Je pense maintenant que la cause était plus profonde."
"Je voudrais dire que ce gros tas de pages ne contient pas tout à fait la somme de mes connaissances. Si je les ai rassemblées, c'est qu'on ne m'a pas proposé d'autres sujets de composition française, et que ceux-ci ont en commun de traiter d'auteurs ou de personnages vulnérables, parfois éthyliques, et le plus souvent escamotés prématurément par le destin. Ils ont tous ma sympathie et correspondent peut-être à certaines de mes vocations. Parler d'eux, c'était encore un peu parler de moi. J'aurais aimé découvrir quelque chose de nouveau qui les concerne et les éclaire. En vain. Je n'ai pu faire que Baudelaire naquît au Guatemala, qu'Alexandre Dumas et Dickens se rencontrassent entre Dieppe et Calais pour échanger des recettes de cuisine dans le dos du Cardinal, ou même que Homère existât d'une façon formelle. Découvrir, ce n'est pas forcément inventer ; connaître, c'est reconnaître. Maintenant, on peut toujours se ranger à l'avis judicieux de Giovanni Papini : 'Si les écrivains ne lisaient pas et si les lecteurs n'écrivaient pas, les affaires de la littérature iraient extraordinairement mieux.'"
Antoine Blondin.
"Venant de Slavonie, ayant franchi la Save à hauteur de Bosanski Samac, la première difficulté que nous ayons rencontrée ce fut à la sortie de Kakanj, au pied de la centrale thermique qui se dresse sur le côté gauche de la route, un barrage de miliciens dont il n'était pas facile de déterminer l'obédience. Après avoir fouillé la voiture, ils nous taxèrent d'un peu d'argent et de quelques paquets de cigarettes. Ils avaient l'air heureux, sinon vraiment de bonne humeur : c'était le début de la guerre, il faisait beau, les pertes étaient encore limitées de part et d'autre, et tout neuf le plaisir de porter les armes et de s'en servir pour imposer sa loi, terroriser les civils, abuser des filles, enfin jouir gratuitement de toutes ces choses si longues et si coûteuses à se procurer en temps de paix, quand il faut travailler, et encore, pour les obtenir."
Juin 1940... La Wehrmacht déferle sur la France. Civils et militaires s'enfuient. Bientôt, une colonne blindée nazie s'approche d'un des derniers ponts encore intacts du côté d'Orléans. Sur la rive nord, une compagnie de Sénégalais défend les abords du pont. Sur la rive sud, une poignée de volontaires armés d'un canon antichar s'apprête à une résistance désespérée. Parmi ces hommes, le sous-officier Henri Dragance, écrivain dans le civil et ancien combattant antifasciste de la guerre d'Espagne. En dépit de son humour, de ses réelles qualités militaires, de ses airs désabusés, de sa vie de bohème et de ce détachement que donne parfois la notoriété, Dragance, petite cinquantaine, est en réalité un homme fragile et vulnérable. Sur la dernière barricade qui défend les routes du Sud, l'écrivain fera la connaissance de l'une de ses lectrices passionnées, Sylvie, jeune femme d'origine polonaise, mal mariée et malheureuse dans sa condition étouffante de petite-bourgeoise. Le coup de foudre entre ces deux êtres que tout semblait séparer sera immédiat. S'appuyant sur des documents historiques, ce livre souligne également le sort atroce que les nazis réservaient aux Sénégalais et celui, guère plus enviable, que certains civils français firent subir à leurs compatriotes qui voulaient résister. Juin 1940 annonce la barbarie nazie et la lâcheté de Vichy.
Sept titres, quinze volumes dans la collection blanche de la NRF, près de 4 000 pages : À la recherche du temps perdu est un monument de la littérature, une cathédrale de papier. Elle abrite une foule de personnages, depuis le héros omniprésent jusqu'aux silhouettes fugaces d'une mondaine ou d'un valet. Si plusieurs recensions des personnages proustiens ont été effectuées, Michel Erman est le premier à se pencher exclusivement sur les quelque deux cents êtres de fiction qui peuplent la Recherche. Il montre comment, par touches successives, Marcel Proust donne vie à Gilberte ou Elstir, Odette ou Charlus, Albertine ou Swann...
« Voilà une biographie à la fois inattendue, brillante et bienvenue. [...] Ernest Pinard, qui en est l'objet, fut un procureur soumis en tous points à l'ordre social de son temps, un ministre de l'Intérieur somme toute médiocre, et sa postérité, à vrai dire, n'avait jamais encore interpellé quiconque. [...] On eût été tenté de rejeter d'emblée le souvenir d'un homme qui eut pour titre de gloire - ou, à tout le moins, pour chemin vers la notoriété - de faire condamner Flaubert, Baudelaire et Eugène Sue, qui s'opposa à l'érection des statues de Baudin et de Voltaire, et eut maille à partir avec Zola. Excusez du peu ! [...] Au travers du destin d'un homme, on traverse une époque, les yeux et les oreilles aux aguets. On voit s'achever la monarchie de Juillet, avec ses fausses certitudes, s'édifier la Deuxième République, celle de toutes les ambiguïtés, vivre le Second Empire, avec ses contradictions si souvent fécondes, s'improviser la Troisième République avec l'entrelacis de ses arrière-pensées. Nul ne pourra plus écrire sur le Second Empire sans tenir compte de la contribution d'Alexandre Najjar. C'est le témoignage à lui rendre. »
Extrait de la préface de Philippe Séguin.
Une station balnéaire de la côte atlantique, en hiver. Pascal Labarthe, le narrateur, arrive un soir de brume, par l'autocar. Que vient-il faire ici, hors saison, dans cette petite ville endormie des bords de mer qu'il ne connaît pas? «J'ai rendez-vous», déclare-t-il à l'homme qui séjourne également à l'Océanic, un hôtel dont ils sont les seuls occupants. Rendez-vous avec qui? Jardin d'hiver tisse, entre Paris et Royan, les fils ténus, presque invisibles, d'une intrigue où dialoguent histoire d'amour et histoire tout court, où, le temps d'un hiver, s'entrelacent finement un présent traversé de personnages singuliers et un passé hanté par la figure d'une jeune femme aimée. Peuplé de lieux à l'abandon auxquels la mémoire se raccroche, ce roman est celui d'un amour perdu, jamais oublié...
«Aux Champs-Élysées, plus qu'ailleurs, la mobilité des espaces et des choses est permanente, les mutations constantes. Ce qui existe aujourd'hui aura peut-être disparu demain.» Après Saint-Germain-desPrés, Montmartre et Montparnasse, Jean-Paul Caracalla se rapproche de chez lui et nous raconte l'histoire de «la plus belle avenue du monde».
Daniel, le narrateur, rencontre une jeune femme 'à l'allure de princesse fatiguée', Christine Stretter, qui vit un peu hors du temps, entre un père passionné de mappemondes et un fiancé se rêvant cinéaste. Dès lors, se noue une relation à part, clandestine, faite 'd'attachement, de compréhension, de douceur'. Au fil de ce roman nimbé de mystère, une géographie subtile se dessine. Dans un Paris enneigé, de rues en pente en chambres d'hôtel, des perspectives nouvelles ne cessent de s'ouvrir. Des décors très finement tracés révèlent tour à tour une énigmatique patronne de café, un ancien professeur de danse en proie à la solitude puis, à Casablanca où Daniel part en quête de meubles pour le compte d'un collectionneur, un volubile gardien d'immeuble ou encore l'étrange propriétaire de deux fauteuils signés du décorateur Jean Royère. Mais une figure domine, entre ombre et lumière : celle, singulière, de Christine Stretter.
'Le Sud-Ouest ressemblait plus à l'Irlande qu'au Midi. Six mois sur douze, on pataugeait dans la fange, avec des bottes en caoutchouc qui faisaient ventouse. Les déplacements étaient compliqués, il fallait tirer les pieds vers le haut, dans un bruit de succion dégueulasse. On mettait son énergie à s'extraire les pieds du sol, de quoi devenir neuneu à la longue. Les mouvements lourds, comme avec un élastique dans le dos et du vent plein la gueule, ça donnait pas des allures de danseur mondain. Le pire, c'est que ce côté laborieux des choses, on l'avait aussi dans la tête.' Âpre et sensible, Les pieds lourds retrace le parcours d'un fils de paysan dont l'enfance est marquée par la dureté de la vie à la campagne dans les années 1960. Il veut échapper à sa condition, quel que soit le prix à payer, et prend la fuite.
«J'avais autrefois l'illusion de ressaisir Balbec, quand, à Paris, Albertine venait me voir et que je la tenais dans mes bras», écrit Proust dans Albertine disparue. Après avoir recensé les quelque deux cents êtres de fiction qui peuplent À la recherche du temps perdu, Michel Erman explore ici l'espace proustien et montre à quel point il ne constitue pas une simple toile de fond. De la chambre de Combray aux hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain, de la cité balnéaire à la cité des doges, les lieux de la Recherche sont lourds de sens. Réels ou inventés, ils font esprit et corps avec les personnages qui les habitent, qui les arpentent ou qui les hantent.
Pour Pandora Petersen, il n'y aura pas de Noël en famille. Doris, sa mère, vient d'être enterrée. Dans son appartement de Los Angeles, la jeune femme rumine son chagrin jusqu'à ce que la lettre de condoléances d'un certain Gil Sanders - glissée dans une gerbe de lys, les fleurs préférées de Doris - la jette sur les routes. Au volant de sa Honda délabrée, Pandora entame un étrange voyage en forme de jeu de piste. Messages sibyllins, rencontres tour à tour inquiétantes et cocasses ponctuent sa quête. De motels miteux en snacks déserts, de serveurs taciturnes en pompistes tatoués, d'embouteillages urbains en tempêtes de neige, elle se rapproche, sans le savoir, d'un secret bien gardé.
Hiver 1990. Après bien des déboires, Thomas et Paul réalisent leur vieux rêve : lancer un hebdomadaire d'actualité. Les fonds nécessaires arrivent, comme par miracle, et L'OEil International voit le jour. Un joli succès d'estime, mais, très vite, des fins de mois difficiles. Téléguidés par Alexandre, journaliste russe au passé trouble, les deux amis décident de frapper un grand coup : un numéro spécial, coédité avec le premier journal indépendant de la perestroïka. En compagnie de Juliette, leur secrétaire, ils se rendent à Moscou, où se multiplient les incidents étranges. De retour à Paris, ils sont pris dans une mécanique infernale. Tueurs embusqués, séquestration, fusillade, course-poursuite, incendie : les rebondissements s'enchaînent, avec en toile de fond l'effondrement de l'empire soviétique. Ce numéro, décidément très spécial, devient une affaire d'État. Vingt ans après, le moment est venu de la révéler.
Fils d'un diamantaire juif d'Anvers réfugié à Cannes en 1939, Jacques Sternberg, rattrapé par la guerre, s'enfuit en Espagne en 1942. Incarcéré pendant trois mois à la prison de Barcelone, le jeune homme de vingt ans est renvoyé en France. Il passera huit mois dans les camps de triage de Rivesaltes et Gurs avant de réussir à s'évader. La Boîte à guenilles est le récit poignant de cet internement. Sternberg évoque la faim, le froid, la promiscuité et l'angoisse permanente d'être déporté en Allemagne. Témoignage d'un passage brutal à l'âge adulte, ce livre, publié en 1945 à Bruxelles sous le pseudonyme de Jacques Bert, n'avait jamais été réédité.
Dans une France futuriste, le jeune Narcisse et son ami Brice se préparent à exposer les oeuvres de l'odieux peintre Spick au Centre fléchi, leur galerie d'art de Montpellier. Narcisse n'a guère le coeur à l'ouvrage : Sylvie, la femme qu'il aime, vient de l'éconduire sans explication. À la veille du vernissage, un immeuble s'écroule. Les jours suivants, plusieurs tombent en miettes. Une espèce inconnue de termites a envahi la ville. Laissant derrière lui l'introuvable Sylvie, Narcisse se résigne à fuir. Il part à l'aventure avec Brice et leurs voisins de la rue du Cygne, dont le commandant Loudéac, qui s'autoproclame chef du groupe. Commence alors un exode sur des routes livrées aux troupes, aux milices et aux réfugiés, où tous les repères volent en éclats. Dans ce roman apocalyptique et drôle, l'effondrement de l'immobilier provoque en quelques jours celui de la civilisation tout entière.
Saigon en 1940, c'est la France. Or, la France, depuis la débâcle, c'est aussi la collaboration... Au coeur de la ville, un commissaire de police ne se résigne pas à pactiser avec les Japonais, comme l'a recommandé Pétain depuis la métropole. Gaulliste, il prend le masque de l'obéissance pour préserver sa femme, Clara. À ses supérieurs, il cache aussi qu'il a résolu de protéger Phung, une jeune nationaliste trotskiste, et le père de celle-ci. Le 9 mars 1945, le commissaire est arrêté par les Japonais, devenus les maîtres du pays. Séquestration, humiliations, tortures physiques et morales lui font presque perdre le sens de l'humanité. Saigon la Rouge retrace l'histoire d'un homme qui se découvre et se révèle dans la tourmente de la guerre. Acteur désabusé de la fin d'un monde, celui de la «belle colonie», il devient le témoin lucide de la naissance d'une nation.
Le 31 mai 1906, à Madrid, le peuple en liesse célèbre le mariage d'Alphonse XIII avec une princesse anglaise de dix-neuf ans, Victoire-Eugénie de Battenberg. Le cortège nuptial progresse lentement à travers la ville. Mais le pas paisible des chevaux cache mal ce qui se prépare au bout du parcours, à deux pas du palais royal. C'est cet événement historique qui a inspiré à Robert Pagani Mon roi mon amour. Séduit par le sort d'une jeune femme devenue reine d'Espagne dans des circonstances aussi dramatiques que violemment romantiques, il s'est glissé dans la peau de Victoire-Eugénie. Mélange d'innocence et d'érotisme, ce court roman au style très vif est à la fois lyrique, torride et plein d'humour.
Lorsqu'elle rencontre Alphonse Boudard, Laurence Jyl est une adolescente. Quelques années plus tard, elle le revoit à un salon du livre : cette fois, c'est le coup de foudre entre la jeune femme, auréolée du succès de son premier roman, et le monstre sacré. Elle habite le même immeuble que ses parents, Yves et Jeanne, pour qui elle n'a pas de secrets. Lui est marié et père de famille. Ils ont trente ans de différence. Qu'importe. Laurence accompagne Alphonse sur des plateaux de télévision et à des séances de signature. Alphonse présente Laurence à d'anciens compagnons de taule. Entre un dîner canaille et une croisière chic, Alphonse s'invite chez Laurence. Il s'installe sur le lit pour écrire, au milieu des peluches. Yves et Jeanne finissent par admettre ce prince charmant d'un genre un peu particulier à la naissance d'Olivier, leur petit-fils. Dix ans après la mort d'Alphonse Boudard, Laurence Jyl fait le récit tendre, drôle et lucide d'un grand amour.
Nathalie, qui ne croit pas en Dieu, regrette que sa petite amie Lioubov, pieuse iconographe, observe strictement le sévère carême de l'Église orthodoxe ; Raoul est exaspéré par sa jeune amante, Delphine, qui, friande de modernité, le bombarde de sms et raconte leur vie sur Internet ; Nil souffre de devoir partager Constance avec un autre homme ; Alphonse, frais comme un gardon mais très vieux, hésite à rejoindre son ami Béchu en Thaïlande ; à leur âge, s'obstiner à vivre, est-ce bien raisonnable? Ces passions croisées se déroulent à Naples, à Venise, à Rome, en Suisse, à Paris, sous l'oeil attentif du hiéromoine Guérassime. Les passions et la Passion. La résurrection du Christ, mais aussi, et c'est le fil conducteur de ce roman, la résurrection des amours de Nil qui, avec l'aide d'une jolie et blonde documentaliste, Marie-Angélique, classe les archives de sa tumultueuse vie érotique - lettres, photos, documents divers - pour les confier à la Bibliothèque de la Mémoire ; les sauver de la destruction et de l'oubli.
Une chronique buissonnière du dernier demi-siècle... Un regard intempestif, lucide, caustique... Une leçon de dissidence et de style. Avec Ma vie entre les lignes, Antoine Blondin avait publié à La Table Ronde une sorte d'essai autobiographique sous forme d'anthologie. Avec le recueil inédit que forment Mes petits papiers, selon le premier titre envisagé alors, ce projet trouve son plein accomplissement. Libelles politiques, chroniques poétiques, articles d'occasion, grandes et petites préfaces, essais littéraires majeurs ou mineurs, monuments critiques, choses vues, air du temps : de 1946 à 1991, on suit, à travers le récit d'une vie,les passions d'un pays et les soubresauts d'une époque dont l'un des plus grands écrivains de langue française se fait, avec verve, colère et tendresse, l'inimitable commentateur.