Au milieu des années cinquante, nombreux sont les écrivains de la Beat Generation à s'intéresser au bouddhisme et à se tourner vers le haïku, dont la forme épurée fait écho à leur quête de spiritualité. Si Jack Kerouac n'est pas le premier à expérimenter cette tradition poétique, il est selon Allen Ginsberg ' le seul maître du haïku '. Adaptant ces poèmes japonais de trois vers à la langue et à la culture américaines, il en vient à redéfinir le genre, qui l'accompagnera toute sa vie.
"Les mots vont si vite, étirant les phrases comme si elles étaient élastiques, qu'ils s'entrechoquent parfois, prennent des raccourcis sémantiques qui affolent le sens. Ce que l'on perçoit alors et d'abord, c'est la matière même de la langue, c'est, métaphoriquement, un corps titubant comme celui d'un enfant qui apprend à marcher ou d'un adolescent ivre et gai. (...) "Les gens les gens sont des anges
à l'envers", écrit Valérie Rouzeau. Mais rares sont ceux qui, comme elle, ont été touchés par la grâce."
Thierry Guichard, Le Matricule des anges.
"Dans le déferlement des messages factices, des bruits de glotte, des rengaines rhétoriques, une voix nouvelle ce n'est pas rien. Une voix vraiment nouvelle qui ne ressemble à aucune autre. Une voix qui se reconnaît d'un signe, d'un souffle, et que l'on capte à jamais, à toujours. Un tel prodige a pris depuis quelque temps le nom de Valérie Rouzeau, et c'est un prodige qui dure."
Extrait de la préface d'André Velter.
C'est un chemin ample, et parfaitement cadencé, que William Cliff nous propose d'emprunter avec lui dans ce nouveau livre des origines. Avec le sonnet comme exigeante charpente formelle, il transporte page après page la simplicité puissante de son univers au rythme tranquille de sa langue limpide, rocailleuse et charnue.
Des destins commence par revenir sur son enfance dans la petite ville wallonne de Gembloux, brossant les portraits intimes, souvent caustiques, de quelques-uns de ses proches. Il y a sa marraine - « une femme despotique qui avait mal au foie et criait son malheur », son parrain - « mon oncle bien-aimé qui a cessé de respirer / et dont le corps est cadenassé dans un coffre bien fermé », et de sa bonne-Maman, lectrice de romans policiers et fumeuse de tabac égyptien. Chacun a nourri à sa façon le destin poétique de l'auteur. Puis, la généalogie familiale laisse place à l'évocation de premiers émois érotiques auprès des garçons du village et du pensionnat, bientôt entremêlées de récits amoureux de l'âge adulte. Portée par un allant méditatif et la grande souplesse du vers, une sagesse désabusée et amusée se glisse dans les interstices de sa poésie narrative, entre un hommage à Baudelaire et un autre à Walt Whitman. La conscience du temps qui file surgit dans la banalité de scènes quotidiennes - un retour de nuit arrosée, une méchante chute sur les pavés - tandis que le poète solitaire voit la vie et la mort se tenir main dans la main, partout, dans la texture étrange des rencontres et des choses.
Ainsi « la putrescence des oignons quand vient l'été / est nécessaire pour la floraison des fleurs / lesquelles fécondées donneront la jetée / des semences perdues au fond des profondeurs ».
"Offrir un vrai poème dont la marche n'est en rien entravée" : telle est l'ambition de cette nouvelle traduction de L'Enfer. Afin de rendre au plus près le rythme de l'oeuvre de Dante, William Cliff a pris le parti de suivre le "chiffre" du décasyllabe original. Sur le fond, il n'a pas hésité à supprimer des noms et des références qu'il jugeait inutiles ou fastidieux. Loin de trahir le poète florentin, le poète belge l'accompagne. La richesse de sa traduction tient à cela : il se glisse sur ses pas, telle une ombre, dans les cercles infernaux.
Cliff, comme Dante, est un poète en marche.
La rencontre de William Cliff avec Dante remonte à ses années universitaires : il est encore capable de réciter les premiers vers de L'Enfer en italien, entendus en cours de philologie romane. Difficile, ensuite, de retrouver dans les traductions françaises de l'oeuvre du poète ce qu'il avait encore à l'oreille. S'y essayant lui-même, William Cliff n'est parvenu à satisfaction qu'en adoptant la contrainte du décasyllabe, et il a aujourd'hui le sentiment d'avoir donné une lecture contemporaine de La Divine Comédie : non seulement en vers réguliers, mais avec le souci constant d'une clarté évidente, afin que le lecteur comprenne, sans aucune note, le sens du texte.
« À l'automne 2017, j'ai eu le désir de quelque chose de nouveau pour moi : réunir des textes variés - notes, fragments, lettres et courriels, traductions, commentaires, poèmes encore (et toujours !) ; constituer un recueil de "miscellanées". J'ai pensé à Pierre Reverdy, à Antoine Emaz. Je souhaitais quelque chose d'hybride sans trop savoir comment rassembler un tant soit peu de cette matière (ce "métier", eût dit Cesare Pavese) oui cette matière de vivre accumulée au fil du temps, et ce fil, par quel bout le saisir... Le mur au dessus de ma tête était couvert de post-it saturés de "deadlines" (de ces mots qui ne font pas grand bien), noircis de listes de choses à faire "asap", etc. etc. : de ces "dates limites" dont la seule aurait dû, idéalement, être celle du jour de ma mort, donc ailleurs que sur un post-it, nulle-part en somme. Bref, de ces urgences de ceci ou cela, tous ces diktats issus des technologies, lesquels vous somment d'être en connexion permanente, toujours "réactive" quand vous n'aspirez qu'à respirer normalement. (Soupir...) Toutes ces échéances régulièrement vouées à mes amnésies parfois salutaires malgré les soucis occasionnés, retards et rendez-vous manqués. Qu'à cela ne tienne, je ferais un atout d'un handicap, j'effeuillerais l'éphéméride, consulterais mes agendas et convoquerais mes souvenirs. Les dates défileront dans le désordre de ma mémoire tantôt atrophiée, tantôt hypertrophiée, avec moult pieds-de-nez à Kronos, des coq-à-l'âne, des digressions, du saute-mouton et des téléphones qui sonnent au moment où la baignoire n'attend plus que vous pour déborder...Voici quelques bornes, quelques cailloux de ce chemin qui est le mien. On me reprochera peut-être de ne quasiment rien dire de l'actualité : à quoi bon. Naguère le merveilleux Stephan Eicher chantait "Déjeuner en paix" : "les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent..." Tout le monde devrait pouvoir déjeuner en paix, déjeuner sur l'herbe. Vivre enfin. Merci à toutes celles, tous ceux qui m'ont prêté leurs mots, "mes mots (mémo ! J'ai toujours sur moi de quoi prendre des notes), mes mots des autres". »
Extrait de la préface
Enfant, je n'avais pas besoin encore de mots. L'ensoleillement suffisait. Pour cela, il fallait sortir de la maison que l'on nommait « Le moulin ». Il s'agissait en réalité d'une demeure très sombre et humide qui surplombait une rivière - le Lot - et dont un des murs jouxtait celui d'une usine. Se délivrer, c'était diriger ses pas vers les jardins ouvriers. Là, un peuple d'iris vous accueillait. La gravité heureuse provenait des herbes, du ciel qui s'ajoutait comme un fruit de plus entre les branches d'un vieux pêcher. Plus loin, se dressait un cerisier qui plongeait ses racines jusqu'au bord de l'eau où sommeillaient des barques noires, goudronnées. La boussole transparente des libellules survolait le territoire, le délimitait, indiquait que le jour s'offrait entre nécessité et distraction. Leurs danses amoureuses semblaient ignorer l'odeur entêtante des barques et se terminaient momentanément sur le rebord tremblant de celles-ci ou sur une herbe qui ployait jusqu'à iriser l'eau.
Face au monde qui déraille, Valérie Rouzeau fait front : elle érige ardemment un mur de poèmes, seule manière de poursuivre "le dur métier de vivre". "Tu dois te remettre à l'heure heureuse", écrit-elle dans Sens averse. Tâche difficile, car tout l'agresse : les acronymes, l'argent des footballeurs, la mort des abeilles ou encore les "happy technologies". Au fil de ce nouveau recueil, elle glane dans sa mémoire de quoi tenir bon. Pied à pied, mot à mot, elle oppose sa force fragile à l'âpreté de la vie. "Se laisser porter au fil de l'air de la chanson", "monter au grenier pour écouter la pluie", mais aussi se régaler d'un coq au vin, d'un oeuf meurette : autant de consolations qu'elle glisse en douceur entre "les jours où rien ne va".
Le premier recueil de Hannah Sullivan est une révélation : trois longs poèmes d'une intensité et d'une profondeur rares. Même si chaque poème peut se lire séparément, leurs points de rencontres extrêmement inventifs les unissent dans un tout cohérent. « Toi, très jeune à New York » saisit la grande ville américaine, dans la ramification de ses attraits. C'est une étude tendre et désabusée de la possibilité romantique, de la déception et de l'obstination de l'innocence. « En boucle avant l'instant t » commence par un départ vers la Californie pour se déployer en un essai, à la fois personnel et philosophique, sur la répétition et le retour chez soi. « Le bac à sable après la pluie » explore la naissance d'un enfant et la perte d'un père avec une clarté saisissante.
La lecture de Hannah Sullivan est aussi exaltante que celle des grands poètes modernistes Eliot et Pound, avec la perspective unique d'une brillante voix féminine.
Trois poèmes a été récompensé par le prestigieux T.S. Eliot Prize for Poetry. C'est la deuxième fois dans l'histoire de ce prix qu'il est accordé à un premier recueil - une belle reconnaissance pour une nouvelle voix de la poésie.
Virtuose, William Cliff compose Matières Fermées comme un unique poème, avec de subtiles variations de rythme en parallèle à une ligne mélodique unique et entêtante. On peut ainsi lire ces sonnets comme un roman en vers mais aussi comme un recueil où l'on pourrait picorer au hasard, servi par une langue qui n'appartient qu'à lui, immédiatement reconnaissable : les tournures anciennes ou typiquement belges se mêlent à une syntaxe plus moderne, et un maniérisme semblable à la poésie baroque du XVIe siècle se confond avec un argot contemporain.
On retrouve dans ces sonnets l'inspiration habituelle du poète, essentiellement autobiographique : l'enfance et la jeunesse wallonne, le goût de l'errance, une galerie de personnages hauts en couleur, dans une tradition breughélienne mais avec en plus une manière de mélanger le sordide et le somptueux qui fait toute son originalité.
William Cliff allie l'archaïque des danses macabres à la modernité médicale, et ce jeu entre le contemporain et le médiéval s'étend à tout son univers, aux décors dans lesquels il évolue où le chant du rossignol passe grâce à un téléphone portable et où se rejoignent des considérations sur les tablettes informatiques, les joints, la révolution et la rudesse de la vie en Wallonie dans les années 1950.
Le Temps pourrait finalement être le titre général de l'oeuvre, abondante et généreuse comme une fête breughélienne de William Cliff.Le temps dont il est question ici, c'est celui perdu et retrouvé de l'éternel explorateur de lui-même et du monde qu'est William Cliff, maître de la prosodie fantasque, subtil docteur de la rime et de l'assonance, enchanteur qui sait varier ses métamorphoses en créant le rythme entêtant qui vous invitera à le suivre là où il veut vous emmener, en l'occurrence sur les chemins de sa jeunesse extravagante : locataire improbable d'une mansarde bruxelloise où le précédent occupant a laissé ses seringues de toxicomane, professeur sans vocation dans un lycée plein de jolis garçons, inspecté plus qu'à son tour pour sa désinvolture pédagogique, oscillant entre la recherche d'un radiateur à gaz pour se réchauffer et l'épuisement d'une canicule sous les toits. Mais le poète s'en tire toujours, fragile et joyeux. L'inspecteur lui pardonne puisqu'il lit Rimbaud à ses élèves et célèbre avec eux l'aube d'été qu'on embrasse à pleine bouche.Comme Raymond Queneau dans Chêne et Chien ou Georges Perros dans La Vie ordinaire, William Cliff s'inscrit dans la tradition des autobiographes de la strophe qui réconcilient la poésie et la narration. Et le sarcasme et l'autodérision, ici, se livrent à une partie serrée et sans vainqueur avec la nostalgie et le lyrisme provocateur.Le Temps est complété par un codicille de 1996, un long poème sur Notre-Dame, adresse parnassienne et prophétique à cette cathédrale que Cliff aime parce qu'elle est « ferme et tranquille au milieu des ravages », comme un amer dans une existence flottante et incertaine.
"Quitter Vierzon.
Dans un demi-sommeil, lors d'un arrêt anormalement long en gare de Vierzon, le voyageur à bord du train désert se demanda soudain combien de filles, en cet instant précis, un 10 février à 16h31, faisaient l'amour dans la petite ville un peu triste. Une, cinq, dix, aucune ? Le train repartit, il n'y eut pas de réponse et le voyageur éprouva une très brève mais intense tristesse comme s'il avait laissé échapper la chance unique de résoudre le mystère de toute chose.
Puis il se rendormit et ce fut tout."
'Sur la grand-place où finit le mois d'août où les cafés ont sorti leurs terrasses nous arrivons soin du hasard sans doute soin de ne pas revenir sur nos traces les cocktails qu'on y boit sitôt la nuit ont chacun sa lueur phosphorescente ma tequila sunrise (or c'est minuit) ta marie brizard, l'heure est si pressante qu'on aimerait s'en remettre au hasard t'es qui là ? moi l'os d'un mari brisé recyclé dans un film un peu bizarre et toi la star aux liqueurs anisées qui volontiers s'allume à l'aventure entre les figurants et les tentures.' Sous la plume de Bertrand Degott, le vers rimé file en liberté. Tantôt élégiaque, tantôt triviale, sa poésie entrecroise singulièrement humour et mélancolie.
'Dans l'odeur nue de l'aube le piéton de la plage pouvait croiser la perfection d'un squelette d'oursin, le bras d'honneur d'une branche sur le sable ou l'idée singulière que les ombres mûrissent en douce avant de s'allonger.' 'On frappe à la porte du sommeil. Le songe est mis, rien ne va plus. Des femmes aux désirs fauves se déploient sous de hautes futaies. Une fontaine bruit. Un peuplier tremble. Demain tu seras nu dans l'habitacle de l'aube.' En équilibre sur la pointe des mots, la poésie de Frédéric Musso invoque la mémoire et convoque l'immédiateté des sensations. Elle multiplie les perspectives en jouant à la fois des effets de réel et des effets de surprise.