S'inspirant d'une traversée réellement effectuée en 1980, Jean Rolin raconte, dans Journal de Gand aux Aléoutiennes, un "vrai-faux" voyage en cargo via la Norvège, l'Afrique et le Brésil à destination d'un chapelet d'îles désertes entre Alaska et Kamtchatka.
À bord du Meistersinger, le commandant opiomane boude parce qu'on lui a volé la poire de son goûter ; on se jette du ciment frais à la figure pour se distraire ; un étrange animal, le pil-pil, tout élastique, permet d'anticiper les coups de roulis. Le narrateur ira pourtant au bout de son extravagante aventure : on le débarquera au pied du volcan Shishaldin, surnommé Sisquk par les Aléoutiens, autrement dit "la montagne qui me montre le chemin quand je suis perdu"...
"Venant de Slavonie, ayant franchi la Save à hauteur de Bosanski Samac, la première difficulté que nous ayons rencontrée ce fut à la sortie de Kakanj, au pied de la centrale thermique qui se dresse sur le côté gauche de la route, un barrage de miliciens dont il n'était pas facile de déterminer l'obédience. Après avoir fouillé la voiture, ils nous taxèrent d'un peu d'argent et de quelques paquets de cigarettes. Ils avaient l'air heureux, sinon vraiment de bonne humeur : c'était le début de la guerre, il faisait beau, les pertes étaient encore limitées de part et d'autre, et tout neuf le plaisir de porter les armes et de s'en servir pour imposer sa loi, terroriser les civils, abuser des filles, enfin jouir gratuitement de toutes ces choses si longues et si coûteuses à se procurer en temps de paix, quand il faut travailler, et encore, pour les obtenir."
De l'Ille-et-Vilaine à la Bourgogne en passant par le Midi, Jean Rolin a arpenté la France des canaux. Au fil des chemins de halage, il prend le temps d'écouter un Pakistanais pris de boisson qu'il croise dans une écluse, ou s'interroge sur l'exubérante sexualité des canards. Il donne à voir les lentisques tapissant les eaux stagnantes, les cadavres de chats flottant sur les bras morts, l'étang de Thau brutalement secoué par une tempête. Il bataille contre la pluie, la boue, l'imprécision des cartes, s'émerveille des constructions 'hétéroclites et aléatoires' qui font le charme de Nevers, et s'adonne, chemin faisant, à une lecture singulière et poétique des lignes du paysage.
Des écrivains, des poètes, des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des metteurs en scène, des acteurs, des chanteurs pour figures familières. La Coupole, le Dôme, la Closerie pour décors. La bohème pour atmosphère. Et la nuit pour royaume.
Tout au long du vingtième siècle, ce que le monde a compté d'intelligence et de beauté s'est donné rendez-vous sur le plus parisien des boulevards.
Aujourd'hui, cet univers englouti perdure à travers les oeuvres qu'il a suscitées. Mais il fallait l'érudition et le style de Jean-Paul Caracalla, son amour pour Montparnasse surtout, afin d'en ressusciter, vivante et vibrante, la légende dorée.
«Lisbonne. Je m'y coulerai, j'y reviendrai. Ces allers et retours seront des caresses, des oscillations : les matins du Portugal, le ciel bleu au-dessus des maisons, l'air du Tage et l'incertitude déchirante qui gouverne toute vie portuaire. Longtemps, nous avions gardé ce mot de passe sur nous et entre nous : Lisbonne. Si l'aventure tournait mal, si l'histoire devenait trop noire, la ville blanche serait notre point de chute. Tu avais cette excentricité des femmes slaves promptes à se consumer pour une cause perdue tant qu'il y a du panache, de l'honneur, une injustice à pourfendre. Tu déshabillais les mensonges, brûlais les masques. Je croyais que nos voyages au Portugal allaient tromper la mort, transformer la roulette du sort en toupie folle. Nous allions remporter la mise, une nuit de bringue, dans un casino non loin de Cabo da Roca, le cap le plus à l'ouest de l'Europe. Ma martingale était un mensonge. J'ai trafiqué mes sentiments à coups de paysages, de paradoxes, de vitesse. Tu m'as poussé dans le fossé. Éclopé, je prétendais encore courir les océans.»
"Aux Champs-Élysées, plus qu'ailleurs, la mobilité des espaces et des choses est permanente, les mutations constantes. Ce qui existe aujourd'hui aura peut-être disparu demain."
Après Saint-Germain-desPrés, Montmartre et Montparnasse, Jean-Paul Caracalla se rapproche de chez lui et nous raconte l'histoire de "la plus belle avenue du monde".
« La vision qu'il nous livre de Shanghai est celle d'un homme pour qui cette ville représente non pas un lieu parmi d'autres, mais un nouveau monde. C'est qu'il lui en a coûté pour l'atteindre ! En notre siècle de vitesse et de facilité, Rahmy nous restitue un attribut qui fut longtemps propre au voyage : la difficulté. Il est plus près, à sa manière contemporaine, d'un Marco Polo que de nous. Les dangers que Rahmy a dû affronter ne sont pas les mêmes, mais ils sont aussi nombreux. Il en résulte un appétit de voir multiplié par le long jeûne de l'immobilité. »Extrait de la préface de Jean-Christophe Rufin, de l'Académie française.Lorsque l'Association des écrivains de Shanghai l'invite en résidence, à l'automne 2011, Philippe Rahmy saisit cette chance, synonyme de péril. Fragilisé par la maladie, il se lance dans l'inconnu. Son corps-à-corps intense avec la mégapole chinoise, « couteau en équilibre sur sa pointe », « ville de folle espérance et d'immense résignation » donne naissance à un texte de rires et de larmes, souvent critique, toujours tendre, mêlant souvenirs d'enfance, rêves et fantasmes à la réalité. Bien plus qu'un récit de voyage, Béton armé est un flot d'images et de pensées que seule l'écriture a le pouvoir de contenir et de restituer.
Sur les chemins de Palmyre est le récit d'un voyage en Syrie, la découverte d'un territoire et d'une nation, mais aussi une réflexion sur certaines valeurs politiques et religieuses de notre époque. Jalonné de paysages et de rencontres, cet itinéraire, retranscrit quasiment sur le vif, se déploie à la manière d'un roman, en 'promenant un miroir le long d'un chemin', selon l'expression si chère à Stendhal. On y découvre, entre autres, l'esquisse d'un portrait de la femme syrienne ou encore les vicissitudes d'une dictature inaugurée en 1970 par le coup d'État d'Hafez el-Hassad, le père de l'actuel président. Sur les chemins de Palmyre aurait pu s'intituler Thermidor en Syrie : thermidor, mois du calendrier républicain où se déroule ce récit, est aussi le crépuscule d'un régime de terreur. Car c'est à une aurore démocratique - ou du moins à une société plus libre et plus juste - que ce fabuleux pays aspire à présent, comme on envisage une naissance plutôt qu'une 'renaissance'.