Le charme singulier de Maurice Genevoix joue ici, plus puissamment encore que dans aucun de ses livres. D'une enfance sur les bords de la Loire au secrétariat perpétuel de l'Académie française, en passant - surtout - par l'effrayante déchirure de la Grande Guerre, ces pages retracent neuf décennies de fidélité à soi-même. Qu'il évoque une marche au brame dans les forêts de Sologne, le regard des compagnons massacrés dans la boue des Éparges ou les premières terreurs d'un enfant découvrant la mort, Maurice Genevoix témoigne de la même douceur obstinée, de la même 'justesse' au sens fort qui nous font complice fraternel de sa mémoire. Il y a dans ces Trente mille jours paisiblement restitués l'illustration - et l'explication - du "mystère Genevoix".
Dans la nuit du 2 au 3 janvier 1864, le Grafton sombre au large de la Nouvelle-Zélande. Les cinq hommes qui composent l'équipage, tous de nationalités différentes, trouvent refuge sur une île inhabitée. Pendant les vingt mois qu'ils y passent, François Édouard Raynal, le second du capitaine, apparaît tour à tour comme 'le consolateur, le conseiller, le guide, l'ouvrier par excellence de l'infortunée colonie'. De retour dans sa patrie après vingt ans d'errance, il publie, en 1870, Les Naufragés des Auckland, qui rencontre un très vif succès en France puis à l'étranger. Comme le souligne Simon Leys dans son éclairante préface à la présente édition [collection La petite vermillon n° 350], tout porte à croire que la lecture de Raynal a inspiré à Jules Verne son roman le plus célèbre, L'Île mystérieuse.
Recréer le flux d'une existence singulière, y compris dans ses énigmes et ses absences, tel est le propos de cette biographie. Michel Erman explore le cheminement intellectuel et sensible de l'auteur de la Recherche. Il s'attache à inscrire pleinement l'homme et son oeuvre dans le contexte historique de l'époque (la IIIe République, l'affaire Dreyfus, la Première Guerre mondiale), ainsi que dans l'effervescence artistique et littéraire qui la caractérise. Son Marcel Proust retrace une vie marquée par le sentiment du tragique et montre comment l'oeuvre s'est élaborée dans une course contre la mort.
Qui était Jean Parvulesco (1929-2010) ? De ce mystérieux écrivain d'origine roumaine, auteur de plus de cinquante livres, on ne sait presque rien. Les cinéphiles se souviennent que, dans À bout de souffle de Jean-Luc Godard, il est incarné l'espace d'une scène par Jean-Pierre Melville. Chapeau, lunettes noires, il descend d'un avion. Sur le tarmac, il est assailli par les journalistes. À la question de savoir quelle est sa plus grande ambition dans la vie, il répond : ' Devenir immortel, et mourir. '
Christophe Bourseiller a bien connu Godard, pour lequel il a tourné plusieurs fois quand il était enfant. Des années plus tard, il a rencontré Parvulesco. L'énigme est restée entière. Il a relu son oeuvre fantôme, mené l'enquête sur ce personnage de l'ombre qui fut tour à tour un passager clandestin de la Nouvelle Vague et l'ami intime d'Éric Rohmer, un dandy fascisant et un poète ésotérique. L'inclassable Parvulesco est mort depuis dix ans. Son immortalité commencerait-elle maintenant ?
'J'étais à Chambord. Le hasard m'avait offert cette résidence invraisemblable. Je partageais mon temps entre un bureau de garde-chasse, un logement au château modestement appelé "appartement des Princes" et une forêt percée de trois cents kilomètres d'allées où ne pénétraient avec précaution que des invités de la République et de rares débardeurs.'
Commissaire à l'aménagement du domaine national de Chambord de 2000 à 2003, Xavier Patier y écrivit ce carnet où sont consignés ses réflexions sur le château, son administration, son histoire, ainsi que les portraits de ceux qui en franchissent les portes.
Un écrivain, et rien d'autre, ainsi se définit Denis Tillinac, en épilogue à ce récit d'une balade en zigzags sur les routes de son imaginaire. On le cherche dans sa maison d'édition au quartier Latin, on le surprend en Afrique où Kabila doit le rejoindre. On le croise en terre d'Ovalie avec Pierre Dauzier et André Boniface, on l'aperçoit à l'Élysée en conciliabule avec Chirac. Mais comme il se joue des frontières, le voilà dans l'avion de Sarkozy avant de reprendre son train pour la Corrèze. Puis de repartir à un autre bout de ses mondes intimes. Tout le passionne, surtout les coulisses et surtout les irréguliers. D'où ces scènes de genre et cette galerie de portraits, crayonnés avec autant d'ironie que de tendresse. Car si Denis Tillinac n'aime pas son époque, il a de la sympathie pour les personnages qui tâtonnent aux marches de la gloire. Ou aux frontrières du désespoir. Entre les lignes d'une prose de styliste, miroir parfois cruel des moeurs contemporaines, on perçoit les désarrois d'un écrivain que l'Histoire a floué. Même s'il s'est bien amusé.
'Le Sud-Ouest ressemblait plus à l'Irlande qu'au Midi. Six mois sur douze, on pataugeait dans la fange, avec des bottes en caoutchouc qui faisaient ventouse. Les déplacements étaient compliqués, il fallait tirer les pieds vers le haut, dans un bruit de succion dégueulasse. On mettait son énergie à s'extraire les pieds du sol, de quoi devenir neuneu à la longue. Les mouvements lourds, comme avec un élastique dans le dos et du vent plein la gueule, ça donnait pas des allures de danseur mondain. Le pire, c'est que ce côté laborieux des choses, on l'avait aussi dans la tête.' Âpre et sensible, Les pieds lourds retrace le parcours d'un fils de paysan dont l'enfance est marquée par la dureté de la vie à la campagne dans les années 1960. Il veut échapper à sa condition, quel que soit le prix à payer, et prend la fuite.
"À l'automne 1983, je quitte ma campagne au pied du Jura, pour suivre des cours à l'école du Louvre. Embauché à la brasserie Le Conti pour payer mes études, occupant une mansarde rue Mazarine, voisine de celle où Champollion déchiffra les hiéroglyphes, ébloui par les lumières de la ville, je découvre Saint-Germain-des-Prés, ses librairies, ses éditeurs, ses cafés, ses cabarets. Mais en Suisse, à la ferme, mon père est malade. J'apprends qu'il est à l'agonie le jour où je croise le nom d'Herschel Grynszpan, un adolescent juif ayant fui l'Allemagne nazie en 1936, et cherché refuge à Paris.
Pour des raisons profondément enfouies, que je reconnais aujourd'hui, il m'a fallu trente ans pour raconter son histoire en explorant celle de ma propre famille. Mon enquête à travers l'espace et le temps a porté sur
deux continents et sur trois générations. J'ai frappé à de nombreuses portes, y compris celles des tombeaux. Certaines se sont ouvertes, produisant les rencontres et les amitiés qui ont nourri ce livre. J'ignore quelle aurait été ma vie sans la littérature, mais je sais que tous
mes chemins mènent au sud de la Méditerranée, qu'ils relèvent du rêve impossible de l'aventurier, ou qu'ils aient été arpentés un stylo à la main."
Philippe Rahmy.