Les pauvres et les classes supérieures ont profondément changé : les premiers ont été transformés en une foule semi-clandestine ; les secondes, en roue libre, se sont mises à enfourner et recracher du fric comme un distributeur détraqué. Alors que tout autour est dans le Zola ou dans le Barbara Cartland, le milieu du tableau continue à avancer prudemment en plein ciel après avoir perdu le contact avec la planète. Et si les classes moyennes étaient les seuls et véritables ennemis de la démocratie ?...
'Vous voyez, quelquefois je faisais des articles pour les journaux. De temps en temps j'écrivais pour le dehors, quand le dehors me submergeait, quand il y avait des choses qui me rendaient folle, outside, dans la rue - ou que je n'avais rien de mieux à faire. Ça arrivait.' Outside rassemble une soixantaine de textes, suscités par des événements quotidiens, par l'actualité, écrits avec rapidité à la manière du journaliste, articles 'provoqués du dehors' faits avec plaisir, alimentaires parfois.
Ce deuxième tome des OEuvres de Bernard Noël comprend ses principaux écrits politiques dispersés au gré de publications éphémères ou de livres épuisés. On y découvre une pensée proprement révolutionnaire, radicale, et qui trouve une part de ses origines dans une analyse extrêmement fouillée de l'histoire de la Commune de Paris, de l'espoir qu'elle souleva et qui semble n'être pas tout à fait retombé, même aujourd'hui. L'autre origine de la pensée politique de Bernard Noël se situe dans la langue proprement dite, dans une analyse de plus en plus fine de la violence infligée à la langue par l'emploi qu'en ont fait de tout temps ceux qui, aux yeux de l'auteur, ont confisqué le pouvoir à leur profit en privant le peuple de ses droits élémentaires. Plus loin encore, il y a ce que Bernard Noël appelle 'la sensure', c'est-à-dire la privation de sens, qu'elle s'opère par le détournement du sens des mots ou par son brouillage (communication, télévision, etc.). Mais quand il théorise l'oppression, Bernard Noël ne cesse jamais d'être un écrivain. C'est ce qui confère à cet imposant volume où se côtoient les genres les plus divers, du poème au théâtre, du pamphlet à la fiction, son autorité, son évidence et sa beauté.
Le monde de la mémoire par lequel nous tenons à la réalité passée est un univers dont nous ne sommes pas départagés.
Le retour du passé (vécu, imaginé) est-il celui d'images dans lesquelles nous sommes pris comme des corps transparents, des semblants d'existence? Que régissent les images? Elles sont au carrefour de tout processus de pensée et comme le substrat sur lequel s'édifie l'interprétation d'un réel qui ne peut exister sans langage et sans imaginaire, c'est-à-dire sans les formes par lesquelles nous l'appréhendons.
Cet essai n'a d'ordre que celui d'une promenade (méditation d'un promeneur) dans ce que nous croyons le temps : dans ce que la mémoire a immobilisé pour notre éternité.
Deux tableaux ponctuent ces méditations : le portrait d'une jeune fille par Berthe Morisot, une chambre vide à Venise par Turner. Le texte fait le songe de la réalité que la mémoire invente. Avons-nous jamais été dans les images qui composent nos souvenirs? Elles sont les corps étrangers dont notre mémoire se nourrit.
Le paraître est du côté de la civilisation. C'est le moins qu'il puisse faire, puisque c'est lui qui l'a créée. L'homme est sorti de la barbarie le jour où il a commencé à se soucier du regard de l'autre sur lui, et de l'opinion qu'on pouvait entretenir à son sujet, en face. L'homme est sorti de la barbarie le jour où il s'est vu dans un miroir, ou dans le cours, Narcisse, d'une onde claire. L'homme est sorti de la barbarie le jour où il est sorti de l'être : il voulait voir un peu de quoi l'être avait l'air, vu de l'extérieur. Nous appellerons paraître cette légère couche de paranoïa qui a inventé la ville et même la cité, la civilité, la convention, l'art, la morale, la littérature et le geste inutile. Jeune, c'est par vanité qu'on se regarde dans les miroirs ; plus tard c'est par prudence, ensuite par politesse, et finalement par modestie.
Les choses vont mal. Hubert Lucot souffle au futur (à la future) président(e) les meilleures maximes dans tous les domaines : Économie et Finances, Justice, Défense nationale, Santé, Culture, etc., pour que les choses aillent de plus en plus mal. Contre la racaille qui s'en prend à la démocratie, aux droits de l'homme, à la liberté (du commerce), Hubert Lucot aide un homme (ou une femme) de bonne volonté à maintenir le cap, même si c'est vers la destruction de la planète. Pour obtenir et conserver le pouvoir, les experts préconisent l'usage de la langue de bois. Encore faut-il l'aiguiser et sans cesse innover : une parfaite connaissance de notre livre est indispensable.