Que faisons-nous quand nous voyons ? C'est ce que Bonnard et Giacometti peuvent nous aider à comprendre parce qu'ils ont eux-mêmes cherché à le comprendre.
Quant à P., il est l'auteur du récit de la création sur lequel s'ouvre la Bible. Il a eu l'intuition du pouvoir créateur du langage mais, en le réservant à Dieu, il a commis un impair dont les conséquences se sont étendues jusqu'à nous. En remontant son histoire, nous découvrons quelque chose d'important sur une part de nous-mêmes.
Après avoir été professeur d'études chinoises à Genève, Jean François Billeter a quitté l'Université pour se consacrer à ses propres travaux. Dans ses études sur certains textes remarquables de Tchouang-tseu et sur l'art chinois de l'écriture, il allie la plus grande rigueur sinologique au souci constant de se faire comprendre des lecteurs non sinologues. Il y parvient par la clarté de l'expression et par la richesse des références à l'héritage occidental, ou simplement à l'expérience commune.
Dans La Nature, sa première oeuvre, Emerson expose avec lyrisme les principes philosophiques qui dirigeront toute son oeuvre : la cohérence intime de l'univers, la plénitude et l'harmonie de l'esprit individuel, la correspondance symbolique entre lois naturelles et lois morales.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le "réfugié" préfère en général l'appellation de "nouvel arrivant" ou d'"immigré", pour marquer un choix, afficher un optimisme hors pair vis-à-vis de sa nouvelle patrie. Il faut oublier le passé : sa langue, son métier ou, en l'occurrence, l'horreur des camps. Elle-même exilée aux États-Unis au moment où elle écrit ces lignes dans la langue de son pays d'adoption, Hannah Arendt exprime avec clarté la difficulté à évoquer ce passé tout récent, ce qui serait faire preuve d'un pessimisme inapproprié. Pas d'histoires d'enfance ou de fantômes donc, mais le regard rivé sur l'avenir. Mais aux yeux de ces optimistes affichés, la mort paraît bien plus douce que toutes les horreurs qu'ils ont traversées. Comme une garantie de liberté humaine.
Née en 1906, Hannah Arendt fut l'élève de Jaspers et de Heidegger. Lors de la montée au pouvoir des nazis, elle quitte l'Allemagne et se réfugie eux Etats-Unis, où elle enseigne la thoérie politique. À travers ses essais, tels que La Condition de l'homme moderne, Les Origines du totalitarisme, Eichmann à Jérusalemou encore Le Système totalitaire, elle manifeste sa qualité d'analyste lucide de la société contemporaine. Elle meurt en 1975.
Quelle serait la validité morale de la violence en tant que moyen dès lors que les fins sont justes ? Pour le droit naturel, seule la justesse de la fin compte. Pour le droit positif, tout droit s'établit sur la critique des moyens. Or, il convient de distinguer les différents types de violence indépendamment des circonstances de leur exercice. Pour Benjamin, c'est in finele droit qui s'octroie le privilège de la violence vu qu'il serait menacé si elle venait à s'exercer en dehors de lui. La violence peut être fondatrice de droit ou lui être inhérente, raison pour laquelle le pouvoir y recourt. Le droit positif constitue aux yeux de Benjamin un obstacle à une justice véritable et plaide pour l'usage de moyens d'action "purs", parmi lesquels la grève générale.
Proche de Theodor Adorno, Gershom Scholem et Bertolt Brecht, Walter Benjamin (1892-1940) a d'abord été critique littéraire, avant de publier en 1928 Rue à sens unique (Allia, 2015) et Origine du drame baroque allemand. Il publie également dans des revues Petite Histoire de la photographie (Allia, 2012), préfiguration de L'OEuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (Allia, 2011). Exilé à Paris en 1933, il gagne l'Espagne. Or, menacé d'être remis aux Allemands, il se suicide en 1940.
Célèbre surtout pour son oeuvre romanesque, Robert Musil (1880-1942) est aussi l'auteur de nombreux essais, conférences et aphorismes, qui le montrent attentif aux mutations de la conscience moderne. De la bêtise, qu'il considérait comme l'un de ses textes majeurs, aborde un sujet tabou dans la pensée classique : confrontée à son contraire, la réflexion ne court-elle pas le risque de vaciller sur ses bases ? "Si la bêtise ne ressemblait pas à s'y méprendre au progrès, au talent, à l'espoir ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête."
Une réflexion passionnée et passionnante qui ravira les break dancers, les valseurs du dimanche, les amateurs de tango musette, de cucaracha, de bourrée bretonne, de boogie woogie, les couturiers de la fisel, les noctambules de la zumba ou de la tecktonik, mais aussi ceux qui ne dansent pas, qui n'aiment pas danser, les indécollables de la tapisserie comme les amateurs de philosophie. Se détachant de l'utile, la danse est une action poétique. L'homme a découvert le plaisir pris dans le rythme, dans l'enivrement des sens jusqu'à épuisement. L'oralité du conférencier donne à ce bref texte énergique l'ivresse du mouvement sans fin. Observez le ballet des doigts du pianiste, le mouvement de la toupie, tout est danse. Une poésie de l'arbitraire que Paul Valéry nous fait sentir avec sa sensibilité particulière. On assiste en acte autant à une philosophie de la danse qu'à une danse de la philosophie.
La tradition nous a légué treize lettres de Platon. La Lettre VII, l'une des seule à être jugée authentique, occupe l'essentiel de sa correspondance. C'est l'un des rares textes où le philosophe s'exprime à la première personne, et évoque sa doctrine philosophique, largement transmise à l'oral.
Cette lettre, adressée aux proches de son disciple et ami Dion de Syracuse, mort assassiné, est le texte d'un homme âgé, qui laisse place à la colère et à la confusion. Entre récit, justification et blâme, le philosophe revient sur ses ambitions et ses échecs, en particulier dans sa mission de conseiller du roi. Tour à tour penseur, coach et gourou, Platon délivre ici une philosophie du quotidien, loin de la pensée rationnelle à laquelle on associe le platonisme.
Né au sein de l'aristocratie athénienne aux alentours de 428/427 avant J.-C., et mort vers 348/347, Platon fut l'élève et le disciple de Socrate. Il fonde à Athènes sa propre école de philosophie, l'Académie, et ses ouvrages écrits (les dialogues, La République, Les Lois, Le Politique) comptent parmi les textes fondateurs de la pensée philosophique occidentale.
"Ah oui, la question n'est pas : comment devient-on un moraliste ? La question est plutôt : comment peut-il se faire qu'on ne le devienne pas ? Quand on voit ce que signifie la guerre - et moi, je l'ai vue avec les yeux d'un garçon de quinze ans... Je me rappelle, quand je suis allé en France, j'ai vu dans une gare, probablement à Liège, une file d'hommes qui, chose étrange, 'commençaient aux hanches'. C'étaient des soldats qu'on avait amputés jusqu'en haut des cuisses et qu'on avait simplement posés là, sur leurs moignons. Ils attendaient ainsi le train pour rentrer dans leur patrie. Ce fut ma première impression de la Première Guerre mondiale. Quand on voit un tel spectacle alors qu'on sort d'une famille paisible, il est tout simplement impossible de ne pas devenir un moraliste."Avec la spontanéité propre à l'oralité, Günther Anders livre dans cet entretien quelques anecdotes significatives, notamment l'étonnement du philosophe quand il s'aperçut que lui, juif, pouvait faire le poirier plus longtemps que ses autres disciples, tous grands et blonds. Mais ce livre est surtout le récit d'un parcours philosophique et politique, où l'on croise également Brecht et Husserl et qui révèle en France une personnalité comparable à celle de George Orwell par son courage intellectuel et sa lucidité.
Le Tchouang-tseu, l'ouvrage que l'on appelle ainsi parce qu'on en attribue la paternité à un certain Tchouang-tseu, contient les textes les plus étonnants que nous ayons de l'Antiquité chinoise. Le Court Traité, conservé dans son chapitre 2 et dont on ne connaît pas l'auteur, offre du sujet humain et de son rapport au langage, aux choses et à la réalité une vision qui mérite à plusieurs titres notre attention. Elle coïncide, dans son principe, avec celle du philosophe Héraclite. Un intérêt supplémentaire tient au fait que la vision du Court traité est restée incomprise en Chine comme celle d'Héraclite en Europe. Cela fournit un point de vue critique sur l'une et l'autre tradition et permet d'envisager leur dépassement par une véritable connaissance du sujet.
Après avoir été professeur d'études chinoises à Genève, Jean François Billeter a quitté l'Université pour se consacrer à ses propres travaux. Dans ses études sur certains textes remarquables de Tchouang-tseu et sur l'art chinois de l'écriture, il allie la plus grande rigueur sinologique au souci constant de se faire comprendre des lecteurs non sinologues, à la fois par la clarté de l'expression et par la richesse des références à l'héritage occidental, ou simplement à l'expérience commune.
Peut-on concilier variété des désirs individuels et quête universelle du bonheur ? Y aurait-il un dénominateur commun aux désirs de chacun ? Peut-on imaginer des principes nous permettant de bien vivre ? Spinoza distingue d'emblée actions, portées par la raison, et passions, contraintes depuis l'extérieur. Parce qu'indépendantes de notre seule volonté, les passions sont généralement mauvaises. Le libre examen et l'intelligence confèrent au contraire à l'homme une puissance d'agir, garantie de son bien-être. Il faut donc oeuvrer à parfaire ses facultés d'entendement. D'un même allant, être de nature, l'homme ne peut faire fi des contingences extérieures, et encore moins d'autrui. Spinoza expose les fondements de la sociabilité humaine, vertu à laquelle accéder par l'exercice de la raison.
Né à Amsterdam parmi les descendants des marranes, ces Juifs qui ont été chassés d'Espagne au XVe siècle par les Rois catholiques, Baruch Spinoza s'est rapidement écarté de tous les dogmatismes pour se tourner vers la science et s'intéresser à la pensée de Descartes. Considéré comme le père du rationalisme, il est l'auteur de L'Éthique (1663), du Traité théologico-politique (1665) et du Traité de l'amendement de l'intellect (1677), parus aux éditions Allia.
Curiatus Maternus décide de se retirer pour se consacrer à la poésie. Avec trois amis, un dialogue s'engage... Tacite évoque des problèmes fondateurs de l'art des mots : distance entre Anciens et Modernes ; déclin des belles lettres ; tension entre une poésie retirée de la société et l'efficacité politique de l'art oratoire...
Texte-choral, théâtral et plein d'humour, ce Dialogue nous fait bondir de querelles en débats. Libre au lecteur de se faire sa propre opinion quant aux questions posées : qu'attend-on de la parole publique ? L'absence d'adversité l'appauvrit-elle ? Comment apprendre, non à réciter, mais à penser ? Document historique, la société qu'il décrit nous est terriblement familière. On se laisse donc emporter pour élucider une énigme toujours intacte : à quoi servent les mots ?
Tacite, de son vrai nom Publius Cornelius Tacitus, né en 58 et mort en 120 de notre ère, est un écrivain, homme politique et historien romain. Il est même considéré comme l'un des plus grands historiens romains grâce à ses Annales et ses Histoires (Historiae). Racine le décrit comme étant le "plus grand peintre de l'Antiquité", dans l'introduction de Britannicus. Il est également un génie du style en langue romaine. Une langue épurée, concise que tous ses contemporains louent encore aujourd'hui.
Ce réquisitoire balaie d'un revers de main la démocratie telle qu'elle a cours. Et, ose-t-on ajouter, telle qu'elle a encore cours. Son argumentation repose sur des réflexions philosophiques qui traitent de l'organisation idéale de la collectivité en démocratie, notamment le Contrat social de Rousseau. La raison seule est garante de la justice, et non les passions, nécessairement marquées par l'individualité. Or, les partis, puisqu'ils divisent, sont animés par les passions en même temps qu'ils en fabriquent. Pour Weil, un parti comporte potentiellement, dans sa lutte pour le pouvoir, un caractère totalitaire. Ils défendent leurs intérêts propres au détriment du bien public. Il faut se garder comme de la lèpre de ce mal qui ronge les milieux politiques mais aussi la pensée tout entière. Contre les passions collectives, elle brandit l'arme de la raison individuelle.
Rédigé en 1943, ce texte propose un système fondé sur l'affinité et la collaboration de tous, un hymne à la liberté individuelle capable de s'exprimer dans le cadre d'une collectivité.
L'art connaît une crise sans précédent : « Personne ne croit plus un mot de ce que dit le poète en notre siècle ».
Cette crise se situe au fondement même de notre civilisation, que la rationalisation technique a dénuée de tout fondement spirituel. Sa source est notre perte de contact avec la tradition d'un art dont la fonction était métaphysique. L'absence d'un principe supérieur, à même d'insuffler une direction et une puissance, a affaibli la poésie moderne.
Dans une langue saisissante et visionnaire, habitée par un souffle poétique et mystique, Le Centre perdu nous propose de refonder l'art par le langage. Pour que la poésie soit à nouveau, pour nous, synonyme de vérité. « Il nous faudra de nouveau vivre vraiment pour que nous puissions de nouveau parler vraiment. »
Né en 1915 à Athènes et décédé en 2004, Zissimos Lorentzatos, poète, penseur et critique, est l'une des plus grandes figures des lettres grecques du XXe siècle. Inspirée par la mythologie antique, sa littérature prend racine auprès de grands auteurs qu'il a traduits comme Ezra Pound, Edgar Allan Poe ainsi que William Blake.
Dans ces cinq leçons prononcées au Collège de France sur l'oeuvre de Tchouang-Tseu, figure tutélaire de la pensée taoïste, Jean François Billeter, en partant chaque fois du texte même, qu'il traduit de façon scrupuleuse et sans a priori philosophique, parvient à faire émerger le sens d'une pensée qui n'a rien d'abscons, déconcertante parfois mais toujours précise et profonde.
Écrit peu avant sa mort, cet essai de Simone Weil condense les réflexions d'une vie. Premier constat : nulle personne n'est sacrée, mais le sacré est à chercher en l'Homme. À l'heure où la notion de personne est au centre des discours politiques, du marketing et des réflexions morales, ce renversement est salvateur. De cette affirmation, la philosophe nous entraîne dans une réflexion passionnante sur les droits de l'homme. Le terme de "droit" y est jugé opposé à la quête ultime de l'homme : l'attente qu'on lui fasse du bien. Pour la combler, il est urgent d'inventer des institutions qui aboliront ce qui oppresse les humains, cause l'injustice et qui ne se limiteraient pas à protéger leurs droits. Quelles sont-elles ? Vous le découvrirez au fil de cette pensée extraordinairement lucide.
Nommée professeur de philosophie, Simone Weil (1909-1943) devient en 1934 ouvrière d'usine chez Renault, condition indispensable à l'action militante (La Condition ouvrière). À peine repris son enseignement, elle rejoint en 1936 les anarchistes à Barcelone. Réfugiée en 1940 à Marseille, elle rédige les Cahiers, d'où est extrait La Pesanteur et la Grâce. Elle gagne les États-Unis puis désire rallier la "France libre". Malgré sa santé défaillante, c'est à Londres qu'elle écrit L'Enracinement.
Dans cette leçon inaugurale de la chaire d'histoire de la pensée hellénistique et romaine professée au Collège de France, Pierre Hadot expose la démarche qui préside à l'ensemble de ses travaux et développe l'une de ses idées directrices : la philosophie antique n'était pas un ensemble de connaissances à assimiler, mais une pratique de transformation de soi-même, une initiation.
Nietzsche a 26 ans lorsqu'il rédige La Vision dionysiaque du monde, un texte resté inédit de son vivant. Il s'agit, sous une forme ramassée mais déjà extrêmement aboutie littérairement, du premier exposé de l'un des thèmes fondamentaux de sa pensée : l'opposition entre le monde apollinien et le monde dionysiaque, entre la mesure, l'apparence, la forme et l'ivresse, l'extase, l'oubli de soi ou, pour le dire encore autrement, entre le voile du rêve et la puissance destructrice de la vérité. De l'affrontement de ces deux mondes naît la tragédie grecque. Ces pages qui annoncent et résument à la fois l'ouvrage futur La Naissance de la tragédie, constituent une des plus belles introductions de Nietzsche à sa conception du monde comme musique.
Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses. Le mot signifie modèle ou exemple mais aussi ce qui est central dans la pensée. Après des décennies consacrées à l'analyse et à la traduction du Tchouang-tseu, ouvre centrale de la pensée chinoise, Jean François Billeter s'attaque à la Weltanschauung, la vision du monde. Il décrit un ensemble d'expériences qui influencent la façon dont un individu perçoit la réalité et réagit à cette perception. Il aborde notamment avec lucidité et clarté le phénomène de la dépression, défaillance de la perception du monde, et donc de la relation à soi. Dans une réconciliation inédite et prometteuse du corps et de la pensée, Un Paradigme fait l'apologie de l'observation, de ce qu'elle provoque et de la manière dont elle agit.
Aussi importante et symbolique aux États-Unis que les notions de liberté et d'égalité en France, la self-reliance renvoie non seulement à la confiance en soi mais aussi à l'autonomie de l'individu. L'âme est active : elle recourt à son propre jugement et dévoile un non-conformisme, aussi farouche que vital. Emerson invite à se fier au présent, "de toujours vivre dans un jour neuf". Cette confiance active en soi opère aussi bien sur le plan affectif que sur le plan pratique. Pétri de formules vivifiantes, cet ouvrage inclassable est une invitation salutaire à compter sur soi. Non par pur individualisme, bien au contraire. Et c'est là que la philosophie peut encore agir.
Ralph Waldo Emerson (1803-1882) a été l'une des premières grandes figures intellectuelles des États-Unis et a exercé une influence profonde sur la littérature et la philosophie américaines. Son oeuvre offre une synthèse parfaite des besoins, espérances, aspirations et idéaux de l'Amérique du XIXe siècle. Ses conférences et ses essais ont aussi bien marqué ses compatriotes, de Thoreau à Obama, que des esprits aussi différents que Nietzsche, Bergson ou Proust, qui le lisait "avec ivresse".
La Chine et l'Europe relèvent de deux traditions politiques différentes. En retraçant leur histoire et en les comparant, Billeter en arrive à une compréhension profonde de l'une et de l'autre, précisément au moment où celles-ci entrent en conflit. Depuis un siècle en Chine, les forces du progrès se sont continûment inspirées de la tradition européenne. Or, l'ambition du pouvoir actuel est de les vaincre et d'entraver leur action partout ailleurs. Quand le pouvoir se réclame de la grandeur passée de la Chine, il lance un défi à l'Europe, défi que celle-ci se doit de relever, puisqu'elle dispose des ressources nécessaires. Encore faut-il qu'elle tire de son histoire un nouveau projet politique et philosophique. Billeter en pose les principes, ceux d'une véritable... "révolution culturelle".
Éminent sinologue, Jean François Billeter a dirigé le département de langue et littérature chinoises de l'université de Genève. Il a publié plusieurs ouvrages aux éditions Allia, dont Leçons sur Tchouang-tseu, Contre François Jullien, Un paradigme et Esquisses. En 2013, il a reçu le prix culturel de la Fondation Leenaards. En 2017, il a publié Une rencontre à Pékin et Une autre Aurélia, couronnés du prix Michel-Dentan, du prix Roger Caillois de l'essai et du prix Psychologies magazine.
Dans ce dialogue empli de sagesse, Caton est désigné comme l'avocat de la vieillesse contre quatre chefs d'accusation : elle empêcherait de briller dans la vie publique, affaiblirait le corps, interdirait les plaisirs et ferait sentir l'approche de la mort. Pour Caton au contraire, la vieillesse est l'âge le plus propice aux oeuvres accomplies de l'esprit, le corps étant délivré de la servitude des sens. Elle prépare l'âme à la libération totale procurée par la mort. Caton suggère une attitude exemplaire et loue l'expérience. Celui qui n'attend que de lui-même n'a rien à craindre des lois de la nature : "La faiblesse convient à l'enfance ; la fierté à la jeunesse ; la gravité à l'âge mûr ; la maturité à la vieillesse : ce sont autant de fruits naturels qu'il faut cueillir avec le temps."
Né en 106 av. J.-C., mort en l'an 43, Cicéron put très jeune démontrer ses talents d'orateur, devenir grand avocat de Rome et connaître la gloire, lors du procès qui conduisit à la condamnation de Caius Verrès, gouverneur concussionnaire de la Sicile. Consul, il écrivit des oeuvres de philosphie politique (De oratore, De re publica et De legibus) et un Brutus. Défenseur d'un idéal de formation universelle, il est souvent placé à l'origine de l'humanisme tel que conçu à la Renaissance.
De tous les philosophes antiques, Épicure est peut-être celui dont la pensée a été la plus déformée. Pour y remédier, Walter F. Otto, avec un évident talent d'écrivain, révèle dans cet essai un nouvel Épicure, et rend sa pensée accessible à tous.
Si le fondement de l'épicurisme est la recherche du plaisir, la recette pour y accéder n'est pas celle que l'on pourrait croire : l'épicurisme est une apologie de la simplicité. Mais la véritable singularité d'Épicure réside dans le rapport qu'il entretient avec le divin. Il parvient à faire coexister son matérialisme avec l'absolue certitude de l'existence des dieux. Les dieux épicuriens n'éprouvent pas d'animosité envers les hommes. Ce n'est que dans la conscience de leur indifférence à son endroit que l'homme accomplira sa liberté.
Le philosophe et historien des religions Walter Friedrich Otto (1874-1958) est l'auteur de deux chefs-d'oeuvre, Les Dieux de la Grèce (1929) et Dionysos, le mythe et le culte (1933). Il est l'une des grandes figures de la philologie allemande. Son approche originale du paganisme et des mythes, ancrée dans la vie quotidienne, a permis de renouveler la connaissance de la civilisation grecque. Essais sur le mythe a paru aux éditions Allia (2017).
L'oeuvre théorique de Novalis se présente sous la forme d'un magma en fusion de fragments bizarres et de propositions souvent aberrantes. Jamais là où on l'attend, il ne cesse de brouiller les pistes. Sa folie est de vouloir tout penser, jusqu'au détail le plus insignifiant, son audace est de chercher à "tirer de la vie de toute chose". Composé autour de la question esthétique et des rapports entre poésie et philosophie, ce volume inédit en français constitue la carte d'un univers mental en perpétuelle effervescence, traversé de fulgurantes intuitions.
Novalis (1772-1801) n'est pas seulement l'auteur des Hymnes à la nuit mais aussi, suivant l'esprit encyclopédique du premier romantisme allemand, un homme de science, un penseur et un philosophe de premier plan. Au long de sa brève existence - il meurt de phtisie à l'âge de 29 ans -, Novalis aura abordé tous les genres de l'expression écrite (romans, poèmes, contes, essais...). Les éditions Allia ont publié ses Semences (2004), Le Brouillon général (2015) et À la fin tout devient poésie (2020).
"Socrate apparaît comme un médiateur entre la norme idéale et la réalité humaine. L'idée de médiation, d'intermédiaire, évoque celle de juste milieu et d'équilibre. On s'attend à voir apparaître une figure harmonieuse, mêlant en de fines nuances les traits divins et les traits humains. Il n'en est rien. La figure de Socrate est déroutante, ambiguë, inquiétante."Cette étude ne tente pas de reconstituer le Socrate historique, mais présente la figure paradoxale et ironique du sage telle qu'elle a agi dans la tradition occidentale à travers Le Banquet de Platon et telle qu'elle fut perçue par ces deux grands esprits socratiques que furent Kierkegaard et Nietzsche.