Alors que le premier tome est publié à compte d'auteur chez Grasset en 1913 grâce à René Blum (Proust en conserve la propriété littéraire), la guerre stoppe la publication du deuxième tome et permet à Proust de remodeler son oeuvre, cette dernière prenant de l'ampleur au fil des nuits de travail épuisant. L'auteur retravaille sans cesse ses dactylographies autant que ses brouillons et ses manuscrits, et souhaite interrompre sa collaboration avec l'éditeur. La Nouvelle Revue française, dirigée par Gaston Gallimard, est en pleine bataille éditoriale avec Grasset depuis 1914 mais a commis l'erreur de refuser en 1913 de publier Du côté de chez Swann par l'entremise d'André Gide, figure dominante du comité éditorial de la NRF qui juge que c'est un livre de snob dédié à Gaston Calmette, directeur du Figaro. Extrait : Mais Swann se disait que s'il montrait à Odette (en consentant seulement à la retrouver après dîner), qu'il y avait des plaisirs qu'il préférait à celui d'être avec elle, le goût qu'elle ressentait pour lui ne connaîtrait pas de longtemps la satiété. Et, d'autre part, préférant infiniment à celle d'Odette la beauté d'une petite ouvrière fraîche et bouffie comme une rose et dont il était épris, il aimait mieux passer le commencement de la soirée avec elle, étant sûr de voir Odette ensuite. C'est pour les mêmes raisons qu'il n'acceptait jamais qu'Odette vînt le chercher pour aller chez les Verdurin. La petite ouvrière l'attendait près de chez lui à un coin de rue que son cocher Rémi connaissait, elle montait à côté de Swann et restait dans ses bras jusqu'au moment où la voiture l'arrêtait devant chez les Verdurin. À son entrée, tandis que Mme Verdurin montrant des roses qu'il avait envoyées le matin lui disait : « Je vous gronde » et lui indiquait une place à côté d'Odette, le pianiste jouait, pour eux deux, la petite phrase de Vinteuil qui était comme l'air national de leur amour. Il commençait par la tenue des trémolos de violon que pendant quelques mesures on entend seuls, occupant tout le premier plan, puis tout d'un coup ils semblaient s'écarter et comme dans ces tableaux de Pieter de Hooch, qu'approfondit le cadre étroit d'une porte entr'ouverte, tout au loin, d'une couleur autre, dans le velouté d'une lumière interposée, la petite phrase apparaissait, dansante, pastorale, intercalée, épisodique, appartenant à un autre monde.
Un des chefs d'oeuvre de Jack London, un grand classique de la littérature de jeunesse. Buck, un croisé de terre-neuve et de colley âgé de 4 ans et demi et pesant 70 kg, appartient à un magistrat de la vallée de Santa Clara (Haute-Californie). Loin d'avoir une «vie de chien», Buck coule une existence heureuse dans la famille du juge Miller. Mais tout bascule le jour où, victime de la traîtrise d'un homme, il se retrouve vendu à un conducteur de traîneau dans le Grand Nord américain. Finie la vie d'aristocrate blasé, Buck va devoir affronter son destin dans un univers glacial et sans pitié, où chaque faute, chaque erreur est sévèrement sanctionnée. Saura-t-il survivre dans ce monde cruel où règne la loi du plus fort? Qu'adviendra-t-il de cet admirable chien le jour où il découvrira, d'abord avec amertume, puis avec un plaisir trouble et instinctif, le goût du sang ? Extrait : Étourdi, souffrant cruellement de sa gorge et de sa langue meurtries, à moitié étranglé, Buck voulut faire face à ses tourmenteurs. Mais la corde eut raison de ses résistances ; on réussit enfin à limer le lourd collier de cuivre marqué au nom du juge. Alors les deux hommes lui retirèrent la corde et le jetèrent dans une caisse renforcée de barreaux de fer. Il y passa une triste nuit, ressassant ses douleurs et ses outrages. Il ne comprenait rien à tout cela. Que lui voulaient ces hommes ? Pourquoi le maltraitaient-ils ainsi ? Au moindre bruit il dressait les oreilles, croyant voir paraître le juge ou tout au moins un de ses fils. Mais lorsqu'il apercevait la face avinée du cabaretier, ou les yeux louches de son compagnon de route, le cri joyeux qui tremblait dans sa gorge se changeait en un grognement profond et sauvage.
Version originale traduite par Charles-René-Marie Leconte de L'Isle. Extrait : le messager-tueur d'Argos obéit. Et il attacha aussitôt à ses pieds de belles sandales, immortelles et d'or, qui le portaient, soit au-dessus de la mer, soit au-dessus de la terre immense, pareil au souffle du vent. Et il prit aussi la baguette à l'aide de laquelle il charme les yeux des hommes, ou il les réveille, quand il le veut. Tenant cette baguette dans ses mains, le puissant Tueur d'Argos, s'envolant vers la Piériè, tomba de l'Aithèr sur la mer et s'élança, rasant les flots, semblable à la mouette qui, autour des larges golfes de la mer indomptée, chasse les poissons et plonge ses ailes robustes dans l'écume salée. Semblable à cet oiseau, Hermès rasait les flots innombrables.
OEuvre majeure de Baudelaire, publiée le 25 juin 1857 et rééditée en 1861, Les Fleurs du mal sont l'une des oeuvres les plus importantes de la poésie moderne, empreinte d'une nouvelle esthétique où la beauté et le sublime surgissent, grâce au langage poétique, de la réalité la plus triviale. L'oeuvre exerça une influence considérable sur Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé ou encore Arthur Rimbaud. Le 7 juillet, la direction de la Sûreté publique saisit le parquet pour « outrage à la morale publique » et pour « outrage à la morale religieuse ». Baudelaire et ses éditeurs sont condamnés à une d'amende, ainsi qu'à la suppression de six pièces (sur les cent que compte le recueil), pour délit d'outrage à la morale publique.
Croc-Blanc (1906) est un roman de l'écrivain américain Jack London. Le titre original est White Fang. L'histoire commence avant la naissance de Croc-Blanc, un chien loup. Le roman suit la meute d'où il vient et ses premières semaines de vie sauvage, sa lutte pour la vie; manger ou être mangé. Remarque : la source ne précise pas de nom de traducteur, de date, ni d'édition. Extrait : Quelques minutes s'étaient à peine écoulées quand Henry, qui avait pris la place d'arrière et poussait le traîneau afin d'aider les chiens, jeta vers Bill, en guise d'appel, un sifflement étouffé. Derrière eux, en pleine vue et sur la même piste qu'ils venaient de parcourir, s'avançait, le nez collé contre le sol, une forme velue. La bête trottinait sans effort apparent, semblant glisser plutôt que courir. Les deux hommes s'étant arrêtés, elle s'arrêta ainsi qu'eux et, ayant levé la tête, elle les regarda avec fixité, dilatant son nez frémissant, en reniflant leur odeur, comme pour se faire d'eux une opinion. -- C'est la louve ! dit Bill.
Premier volume de la trilogie comprenant également Vingt ans après et Le vicomte de Bragelonne. Le roman raconte les aventures d'un Gascon désargenté de 18 ans, d'Artagnan, monté à Paris faire carrière. Il se lie d'amitié avec Athos, Porthos et Aramis, mousquetaires du roi Louis XIII. Ces quatre hommes vont s'opposer au premier ministre, le Cardinal de Richelieu et à ses agents, dont la belle et mystérieuse Milady de Winter, pour sauver l'honneur de la reine de France Anne d'Autriche. Avec ses nombreux combats et ses rebondissements romanesques, Les Trois mousquetaires est l'exemple type du roman de cape et d'épée. Extrait : Le coeur du jeune Gascon battait à lui briser la poitrine, non pas de peur, Dieu merci ! il n'en avait pas l'ombre, mais d'émulation ; il se battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son adversaire, changeant vingt fois ses gardes et son terrain. Jussac était, comme on le disait alors, friand de la lame, et avait fort pratiqué ; cependant il avait toutes les peines du monde à se défendre contre un adversaire qui, agile et bondissant, s'écartait à tout moment des règles reçues, attaquant de tous côtés à la fois, et tout cela en parant en homme qui a le plus grand respect pour son épiderme. Enfin cette lutte finit par faire perdre patience à Jussac. Furieux d'être tenu en échec par celui qu'il avait regardé comme un enfant, il s'échauffa et commença à faire des fautes. D'Artagnan, qui, à défaut de la pratique, avait une profonde théorie, redoubla d'agilité. Jussac, voulant en finir, porta un coup terrible à son adversaire en se fendant à fond ; mais celui-ci para prime, et tandis que Jussac se relevait, se glissant comme un serpent sous son fer, il lui passa son épée au travers du corps. Jussac tomba comme une masse.
De la belle poésie, révolutionnaire et moderne, accessible à ceux qui croient ne pas aimer la poésie...
Fille d'un riche fermier, Emma Rouault épouse Charles Bovary, officier de santé et veuf récent d'une femme tyrannique. Elevée dans un couvent, Emma aspire à vivre dans le monde de rêve dont parlent les romans à l'eau de rose qu'elle y a lu. Un bal au château de Vaubyessard la persuade qu'un tel monde existe, mais le décalage qu'elle découvre avec sa propre vie déclenche chez elle une maladie nerveuse. Extrait : Et, tout en se moquant des comices, Rodolphe, pour circuler plus à l'aise, montrait au gendarme sa pancarte bleue, et même il s'arrêtait parfois devant quelque beau sujet, que madame Bovary n'admirait guère. Il s'en aperçut, et alors se mit à faire des plaisanteries sur les dames d'Yonville, à propos de leur toilette ; puis il s'excusa lui-même du négligé de la sienne. Elle avait cette incohérence de choses communes et recherchées, où le vulgaire, d'habitude, croit entrevoir la révélation d'une existence excentrique, les désordres du sentiment, les tyrannies de l'art, et toujours un certain mépris des conventions sociales, ce qui le séduit ou l'exaspère. Ainsi sa chemise de batiste à manchettes plissées bouffait au hasard du vent, dans l'ouverture de son gilet, qui était de coutil gris, et son pantalon à larges raies découvrait aux chevilles ses bottines de nankin, claquées de cuir verni. Elles étaient si vernies, que l'herbe s'y reflétait. Il foulait avec elles les crottins de cheval, une main dans la poche de sa veste et son chapeau de paille mis de côté.
Le professeur Lidenbrock trouve un document dans lequel il apprend l'existence d'un volcan éteint dont la cheminée pourrait le conduire jusqu'au centre de la Terre. Accompagné de son neveu Axel et du guide Hans, il se rend au volcan Sneffels, en Islande, et s'engouffre dans les entrailles de la Terre. Ils ne tarderont pas à faire d'étonnantes découvertes...
Victor Hugo rencontre plusieurs fois le spectacle de la guillotine et s'indigne de ce que la société se permet de faire de sang-froid ce qu'elle reproche à l'accusé d'avoir fait. C'est au lendemain d'une traversée de la place de l'Hôtel-de-Ville où le bourreau graissait la guillotine en prévision de l'exécution prévue le soir même que Victor Hugo se lance dans l'écriture du Dernier Jour d'un condamné qu'il achève très rapidement. Le livre est édité en février 1829 par l'éditeur Charles Gosselin mais sans nom d'auteur. Ce n'est que 3 ans plus tard (15 mars 1832) que Victor Hugo complète sa nouvelle par une longue préface qu'il signe de son nom. À la prison de Bicêtre, un condamné à mort note heure par heure les événements d'une journée dont il apprend qu'elle sera la dernière. Il rappelle les circonstances de la sentence, puis de son emprisonnement et la raison qui le fait écrire, jusqu'au moment où il lui sera physiquement impossible de continuer. Décrivant sa cellule, détaillant la progression de la journée, évoquant d'horribles souvenirs comme le ferrement des forçats, la complainte argotique d'une jeune fille, des rêves, il en arrive au transfert à la Conciergerie.... Hugo ne donne pas son nom, ne dit presque rien sur son passé, ni pourquoi cet homme est emprisonné. Peu importe ! Ce texte est un plaidoyer contre la peine de mort, contre toutes les peines de mort, il n'a pour objet que cette mort qui apparaît dans toute son horreur inouïe et impensable, dans son inhumanité intrinsèque.
Edmond Dantès, victime d'une dénonciation calomnieuse alors qu'il allait épouser la belle Mercédès, est enfermé pour 14 ans dans un sinistre cachot du château d'If en rade de Marseille. Son salut viendra de l'abbé Faria, un autre prisonnier avec lequel il entretient une amitié clandestine des années durant. Celui-ci lui transmet sa vaste culture et à sa mort, un trésor caché... Extrait : « Je ne tirerai rien de ces niais-là, murmura-t-il, et j'ai grand-peur d'être ici entre un ivrogne et un poltron : voici un envieux qui se grise avec du vin, tandis qu'il devrait s'enivrer de fiel ; voici un grand imbécile à qui on vient de prendre sa maîtresse sous son nez et qui se contente de pleurer et de se plaindre comme un enfant. Et cependant, cela vous a des yeux flamboyants comme ces Espagnols, ces Siciliens et ces Calabrais, qui se vengent si bien ; cela vous a des poings à écraser une tête de boeuf aussi sûrement que le ferait la masse d'un boucher. Décidément, le destin d'Edmond l'emporte ; il épousera la belle fille, il sera capitaine et se moquera de nous ; à moins que
Bel-Ami est un roman réaliste de Guy de Maupassant publié en 1885 sous forme de feuilleton dans Gil Blas et dont l'action se déroule à Paris au xixe siècle, en pleine Révolution industrielle. Ce roman, retrace l'ascension sociale de Georges Duroy, homme ambitieux et séducteur (arriviste - opportuniste), employé au bureau des chemins de fer du Nord, parvenu au sommet de la pyramide sociale parisienne grâce à ses maîtresses et au journalisme. Sur fond de politique coloniale, Maupassant décrit les liens étroits entre le capitalisme, la politique, la presse mais aussi l'influence des femmes, privées de vie politique depuis le code Napoléon et qui oeuvrent dans l'ombre pour éduquer et conseiller. Les thèmes sont éternels : le sexe, l'argent et le pouvoir. L'oeuvre se présente comme une petite monographie de la presse parisienne dans la mesure où Maupassant fait implicitement part de son expérience de reporter. Ainsi l'ascension de Georges Duroy peut être une allégorie de la propre ascension de Maupassant. Extrait : Quand ils pénétrèrent dans la salle de bal, elle se serra contre lui, effrayée et contente, regardant d'un oeil ravi les filles et les souteneurs et, de temps en temps, comme pour se rassurer contre un danger possible, elle disait, en apercevant un municipal grave et immobile : « Voilà un agent qui a l'air solide. » Au bout d'un quart d'heure, elle en eut assez, et il la reconduisit chez elle. Alors commença une série d'excursions dans tous les endroits louches où s'amuse le peuple ; et Duroy découvrit dans sa maîtresse un goût passionné pour ce vagabondage d'étudiants en goguette.
Le Temps retrouvé est le septième et dernier tome d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust publié en 1927 à titre posthume. L'oeuvre s'ouvre sur le séjour du Narrateur chez Gilberte de Saint-Loup à Tansonville. Une lecture d'un passage inédit du journal des Goncourt entraîne le Narrateur dans des réflexions sur l'art et la littérature, d'où il conclut que en se demandant si tous les gens que nous regrettons de ne pas avoir connus parce que Balzac les peignait dans ses livres [...] ne m'eussent pas paru d'insignifiantes personnes, soit par une infirmité de ma nature, soit qu'elles ne dussent leur prestige qu'à une magie illusoire de la littérature. L'action se poursuit ensuite à Paris, en 1916. Extrait : Ce qui est curieux et ce sur quoi je ne puis m'étendre, c'est à quel point, vers cette époque-là, toutes les personnes qu'avait aimées Albertine, toutes celles qui auraient pu lui faire faire ce qu'elles auraient voulu, demandèrent, implorèrent, j'oserai dire mendièrent, à défaut de mon amitié, quelques relations avec moi. Il n'y aurait plus eu besoin d'offrir de l'argent à Mme Bontemps pour qu'elle me renvoyât Albertine. Ce retour de la vie, se produisant quand il ne servait plus à rien, m'attristait profondément, non à cause d'Albertine, que j'eusse reçue sans plaisir si elle m'eût été ramenée, non plus de Touraine mais de l'autre monde, mais à cause d'une jeune femme que j'aimais et que je ne pouvais arriver à voir. Je me disais que si elle mourait, ou si je ne l'aimais plus, tous ceux qui eussent pu me rapprocher d'elle tomberaient à mes pieds. En attendant, j'essayais en vain d'agir sur eux, n'étant pas guéri par l'expérience, qui aurait dû m'apprendre -- si elle apprenait jamais rien -- qu'aimer est un mauvais sort comme ceux qu'il y a dans les contes contre quoi on ne peut rien jusqu'à ce que l'enchantement ait cessé.
Edmond Dantès, victime d'une dénonciation calomnieuse alors qu'il allait épouser la belle Mercédès, est enfermé pour 14 ans dans un sinistre cachot du château d'If en rade de Marseille. Son salut viendra de l'abbé Faria, un autre prisonnier avec lequel il entretient une amitié clandestine des années durant. Celui-ci lui transmet sa vaste culture et à sa mort, un trésor caché... Extrait : Eh ! voilà justement ce qui révèle notre origine matérielle, s'écria Simbad ; souvent nous passons ainsi auprès du bonheur sans le voir, sans le regarder, ou, si nous l'avons vu et regardé, sans le reconnaître. Êtes-vous un homme positif et l'or est-il votre dieu, goûtez à ceci, et les mines du Pérou, de Guzarate et de Golconde vous seront ouvertes. Êtes-vous un homme d'imagination, êtes-vous poète, goûtez encore à ceci, et les barrières du possible disparaîtront ; les champs de l'infini vont s'ouvrir, vous vous promènerez, libre de coeur, libre d'esprit, dans le domaine sans bornes de la rêverie. Êtes-vous ambitieux, courez-vous après les grandeurs de la terre, goûtez de ceci toujours, et dans une heure vous serez roi, non pas roi d'un petit royaume caché dans un coin de l'Europe, comme la France, l'Espagne ou l'Angleterre, mais roi du monde, roi de l'univers, roi de la création. Votre trône sera dressé sur la montagne où Satan emporta Jésus ; et, sans avoir besoin de lui faire hommage, sans être forcé de lui baiser la griffe, vous serez le souverain maître de tous les royaumes de la terre. N'est-ce pas tentant, ce que je vous offre là, dites, et n'est-ce pas une chose bien facile puisqu'il n'y a que cela à faire ? Regardez.
L'avarice commence où la pauvreté cesse. Le jour où l'imprimeur entrevit la possibilité de se faire une fortune, l'intérêt développa chez lui une intelligence matérielle de son état, mais avide, soupçonneuse et pénétrante. Sa pratique narguait la théorie. Il avait fini par toiser d'un coup d'oeil le prix d'une page et d'une feuille selon chaque espèce de caractère. Il prouvait à ses ignares chalands que les grosses lettres coûtaient plus cher à remuer que les fines ; s'agissait-il des petites, il disait qu'elles étaient plus difficiles à manier. La composition étant la partie typographique à laquelle il ne comprenait rien, il avait si peur de se tromper qu'il ne faisait jamais que des marchés léonins. Si ses compositeurs travaillaient à l'heure, son oeil ne les quittait jamais. S'il savait un fabricant dans la gêne, il achetait ses papiers à vil prix et les emmagasinait. Aussi dès ce temps possédait-il déjà la maison où l'imprimerie était logée depuis un temps immémorial. Il eut toute espèce de bonheur : il devint veuf et n'eut qu'un fils ; il le mit au lycée de la ville, moins pour lui donner de l'éducation que pour se préparer un successeur ; il le traitait sévèrement afin de prolonger la durée de son pouvoir paternel ; aussi les jours de congé le faisait-il travailler à la casse en lui disant d'apprendre à gagner sa vie pour pouvoir un jour récompenser son pauvre père, qui se saignait pour l'élever.
Une représentation à l'hôtel de Bourgogne (en 1640). La salle du théâtre se remplit: on va y donner une pastorale, la Clorise, dans le genre précieux. Le jeune et beau Christian de Neuvillette y vient contempler la femme qu'il aime: Roxane, une précieuse «épouvantablement ravissante» à qui le comte de Guiche fait la cour. La pièce commence, mais est vite interrompue par le turbulent Cyrano de Bergerac, qui interdit à l'acteur Montfleury de jouer, car il est trop gros! Des spectateurs protestent, et l'un d'eux provoque Cyrano, en critiquant son nez, «très grand» - ce à quoi le héros réplique par la célèbre «tirade des nez», éloge de sa propre laideur, avant de se battre avec l'importun. Pendant le duel, il compose une ballade («À la fin de l'envoi, je touche!»). À son ami Le Bret, il confesse qu'il aime passionnément Roxane sa cousine, mais sa laideur le laisse sans espoir...
treizième roman de la série des Rougon-Macquart. Fils de Gervaise Macquart et de son amant Lantier, le jeune Étienne Lantier s'est fait renvoyer de son travail pour avoir donné une gifle à son employeur. Chômeur, il part, en pleine crise industrielle, dans le Nord de la France, à la recherche d'un nouvel emploi. Il se fait embaucher aux mines de Montsou et connaît des conditions de travail effroyables. Extrait : Sa gaieté redoubla, un grincement de poulie mal graissée, qui finit par dégénérer en un accès terrible de toux. La corbeille de feu, maintenant, éclairait en plein sa grosse tête, aux cheveux blancs et rares, à la face plate, d'une pâleur livide, maculée de taches bleuâtres. Il était petit, le cou énorme, les mollets et les talons en dehors, avec de longs bras dont les mains carrées tombaient à ses genoux. Du reste, comme son cheval qui demeurait immobile sur les pieds, sans paraître souffrir du vent, il semblait en pierre, il n'avait l'air de se douter ni du froid ni des bourrasques sifflant à ses oreilles. Quand il eut toussé, la gorge arrachée par un raclement profond, il cracha au pied de la corbeille, et la terre noircit.
Edition complète des 5 tomes des misérables ! Ce roman, un des plus populaires de la littérature française, a donné lieu à de nombreuses adaptations au cinéma. Victor Hugo y décrit la vie de misérables dans Paris et la France provinciale du xixe siècle et s'attache plus particulièrement aux pas du bagnard Jean Valjean qui n'est pas sans rappeler le condamné à mort du Dernier Jour d'un condamné ou Claude Gueux. C'est un roman historique, social et philosophique dans lequel on retrouve les idéaux du romantisme et ceux de Victor Hugo concernant la nature humaine. L'auteur lui-même accorde une grande importance à ce roman et écrit en mars 1862, à son éditeur Lacroix : « Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon oeuvre ». Jean Valjean, un ancien forçat condamné en 1796, trouve asile, après avoir été libéré du bagne et avoir longtemps erré, chez Mgr Myriel, évêque de Digne. Il se laisse tenter par les couverts d'argent du prélat et déguerpit à l'aube. Des gendarmes le capturent, mais l'évêque témoigne en sa faveur et le sauve. Bouleversé, Jean Valjean cède à une dernière tentation en détroussant un petit Savoyard puis devient honnête homme. En 1817 à Paris, Fantine a été séduite par un étudiant puis abandonnée avec sa petite Cosette, qu'elle a confiée à un couple de sordides aubergistes de Montfermeil, les Thénardier. Elle est contrainte de se prostituer...
En Angleterre, dans la société provinciale guindée, fière de ses privilèges et de son rang social, Mrs. Bennett, mère de cinq filles, veut à tout prix les marier... Elle n'hésite pas à faire la cour à son nouveau voisin, Mr. Bingley, jeune homme riche qu'elle aurait aimé donner comme époux à sa fille aînée Jane. S'ébauche une idylle entre Jane et Mr. Bingley, qui pourrait bien aboutir à un mariage. Elisabeth, soeur cadette de Jane, se réjouit de cet amour naissant. Mais c'est sans compter le dédain et la méfiance de l'ami intime de Bingley, Mr. Darcy qui, n'appréciant pas les manières de Mrs. Bennett et de ses filles, empêche Bingley de se prononcer. Elisabeth de tempérament fort et franc, consciente de la valeur et du mérite de son milieu, affronte Mr. Darcy... Extrait : Mr. Bingley, lui, avait eu vite fait de se mettre en rapport avec les personnes les plus en vue de l'assemblée. Il se montra ouvert, plein d'entrain, prit part à toutes les danses, déplora de voir le bal se terminer de si bonne heure, et parla d'en donner un lui-même à Netherfield. Des manières si parfaites se recommandent d'elles-mêmes. Quel contraste avec son ami !... Mr. Darcy dansa seulement une fois avec Mrs. Hurst et une fois avec miss Bingley. Il passa le reste du temps à se promener dans la salle, n'adressant la parole qu'aux personnes de son groupe et refusant de se laisser présenter aux autres. Aussi fut-il vite jugé. C'était l'homme le plus désagréable et le plus hautain que la terre eût jamais porté, et l'on espérait bien qu'il ne reparaîtrait à aucune autre réunion.
Aux États-Unis, pendant la Guerre de Sécession. En l'absence de leur père, pasteur nordiste (donc anti-esclavagiste) engagé comme aumônier dans le conflit, quatre jeunes soeurs issues de la classe moyenne de la société font face aux difficultés de la vie quotidienne en ce temps de guerre. Extrait : Vous continuerez de jouer la comédie aussi longtemps que vous mettrez avec plaisir une robe blanche à queue et des bijoux de papier doré. Vous êtes notre meilleure actrice, Meg, et tout sera fini si vous nous abandonnez, dit Jo. Nous devrions répéter ce soir quelques passages de notre pièce. Allons, Amy, venez reprendre la scène de l'évanouissement ; vous ferez bien de l'étudier, car vous êtes raide comme un piquet.
A dix-huit ans, désoeuvré, s'ennuyant à mourir dans la douceur dont sa mère l'entourait, il entra chez un marchand de toile, à titre de commis. Il gagnait soixante francs par mois. Il était d'un esprit inquiet qui lui rendait l'oisiveté insupportable. Il se trouvait plus calme, mieux portant, dans ce labeur de brute, dans ce travail d'employé qui le courbait tout le jour sur des factures, sur d'énormes additions dont il épelait patiemment chaque chiffre. Le soir, brisé, la tête vide, il goûtait des voluptés infinies au fond de l'hébétement qui le prenait. Il dut se quereller avec sa mère pour entrer chez le marchand de toile ; elle voulait le garder toujours auprès d'elle, entre deux couvertures, loin des accidents de la vie.
La Comédie humaine - Études de moeurs. Troisième livre, Scènes de la vie parisienne - Tome I. Neuvième volume de l'édition Furne 1842. Extrait : La vieille demoiselle Michonneau gardait sur ses yeux fatigués un crasseux abat-jour en taffetas vert, cerclé par du fil d'archal qui aurait effarouché l'ange de la Pitié. Son châle à franges maigres et pleurardes semblait couvrir un squelette, tant les formes qu'il cachait étaient anguleuses. Quel acide avait dépouillé cette créature de ses formes féminines ? elle devait avoir été jolie et bien faite : était-ce le vice, le chagrin, la cupidité ? avait-elle trop aimé, avait-elle été marchande à la toilette, ou seulement courtisane ? Expiait-elle les triomphes d'une jeunesse insolente au-devant de laquelle s'étaient rués les plaisirs par une vieillesse que fuyaient les passants ? Son regard blanc donnait froid, sa figure rabougrie menaçait. Elle avait la voix clairette d'une cigale criant dans son buisson aux approches de l'hiver. Elle disait avoir pris soin d'un vieux monsieur affecté d'un catarrhe à la vessie, et abandonné par ses enfants, qui l'avaient cru sans ressource. Ce vieillard lui avait légué mille francs de rente viagère, périodiquement disputés par les héritiers, aux calomnies desquels elle était en butte. Quoique le jeu des passions eût ravagé sa figure, il s'y trouvait encore certains vestiges d'une blancheur et d'une finesse dans le tissu qui permettaient de supposer que le corps conservait quelques restes de beauté.
Mark Twain nous décrit, avec beaucoup de talent, les frasques et mésaventures de Tom Sawyer, jeune garçon à l'esprit vif et débordant d'imagination, élevé par sa tante, au bord du Mississipi. Tom ne loupe pas une occasion de se distinguer pour plaire à la jolie Becky, et il est toujours prêt pour vivre des aventures en compagnie de son inséparable ami Huckleberry Finn, fils de l'ivrogne du village. Un soir dans un cimetière, Tom et Huck sont témoins d'un meurtre. Muff Potter est accusé du crime, mais Tom et Huck savent que le véritable assassin est Joe l'Indien... Les Aventures de Tom Sawyer est un des chefs-d'oeuvre de la littérature américaine. Chacun y trouvera certainement des réminiscences de sa propre enfance et prendra un bain de jouvence à la description des exploits de ce petit diable qui a malgré tout un bon fond.
À la fin du XIXe siècle, par un froid dimanche de novembre, un garçon de quinze ans, François Seurel, qui habite auprès de ses parents instituteurs une longue maison rouge - l'école du village -, attend la venue d'Augustin que sa mère a décidé de mettre ici en pension pour qu'il suive le cours supérieur : l'arrivée du grand Meaulnes à Sainte-Agathe va bouleverser l'enfance finissante de François... Extrait : Découragé, presque à bout de forces, il résolut, dans son désespoir, de suivre ce sentier jusqu'au bout. À cent pas de là, il débouchait dans une grande prairie grise, où l'on distinguait de loin en loin des ombres qui devaient être des genévriers, et une bâtisse obscure dans un repli de terrain. Meaulnes s'en approcha. Ce n'était là qu'une sorte de grand parc à bétail ou de bergerie abandonnée. La porte céda avec un gémissement.