Inscrit dans les gènes de tous les animaux sociaux, le soutien mutuel est reconnaissable aussi bien chez les chimpanzés qui s'épouillent les uns les autres que chez les enfants qui construisent un château de sable ou les hommes et les femmes qui amassent des sacs de terre pour parer à une inondation soudaine : tous coopèrent pour accomplir ce qu'ils ne peuvent faire seuls.Cette tendance naturelle, innée, est pourtant moins un trait génétique qu'un art, une capacité sociale, qui requiert un rituel pour se développer. Dans un monde structuré par la concurrence, où la compétition prime toujours sur l'entente, savons-nous encore ce que c'est qu'être ensemble, par-delà le repli tribal du « nous-contre-eux » ?Dans ce deuxième volet de la trilogie qu'il consacre à l'Homo faber, Richard Sennett, se fait tour à tour historien, sociologue, philosophe ou anthropologue pour étudier cet atout social particulier qu'est la coopération dans le travail pratique. De la coordination des tâches dans l'atelier de l'imprimeur aux répétitions d'un orchestre, il nous fait découvrir de nombreuses expériences de communauté et d'action collective qui permettent de proposer une vision critique des sociétés capitalistes contemporaines. La richesse des références, l'originalité des points de vue, la liberté du style et la volonté de rester toujours au niveau de l'expérience quotidienne font la force de ce livre singulier et engagé. Et si, pour sortir de la crise, il suffisait de réapprendre à coopérer ?
« Si nos processus de pensée étaient moins pressants, moins crus, moins hypnotiques, nos déceptions constantes, la masse grise de la nausée nichée au coeur de l'être, nous désempareraient moins. Les effondrements mentaux, les fuites pathologiques dans l'irréalité, l'inertie du cerveau malade peuvent, au fond, être une tactique contre la déception, contre l'acide de l'espoir frustré. Les corrélations manquées entre pensée et réalisation, entre le conçu et les réalités de l'expérience, sont telles que nous ne saurions vivre sans espoir. Espérer contre tout espoir est une formulation forte, mais en définitive accablante de la brunissure que la pensée jette sur la conséquence. »
George Steiner
Édition bilingue
Quand notre monde est devenu chrétien a reçu le prix du Sénat du livre d'histoire et le grand prix Gobert (décerné sur proposition de l'Académie française) 2007. Il faisait en outre partie des sélections des 20 meilleurs livres de l'année 2007 sélectionnés par le magazine LIRE, ainsi que des 20 meilleurs livres de l'année 2007 sélectionnés par Le Point.C'est le livre de bonne foi d'un incroyant qui cherche à comprendre comment le christianisme, ce chef-d'oeuvre de création religieuse, a pu, entre 300 et 400, s'imposer à l'Occident tout entier. À sa manière inimitable, érudite et impertinente à la fois, Paul Veyne retient trois raisons :1. Un empereur romain nommé Constantin, maître de cet Occident, s'est converti sincèrement au christianisme et a résolu de christianiser le monde pour le sauver.2. Constantin s'est converti parce qu'au grand empereur qu'il voulait être il fallait une grande religion. Or, à cette époque, face aux dieux païens, le christianisme, bien que secte très minoritaire, était le frisson nouveau, la religion d'avant-garde qui déroulait un gigantesque plan d'amour pour le salut éternel de l'humanité.3. Constantin n'a forcé personne à se convertir, il s'est contenté d'aider financièrement et administrativement les chrétiens à mettre en place leur Église, c'est-à-dire un réseau d'évêchés tissé sur l'immense empire romain. Lentement, par docilité, les foules païennes se sont retrouvées chrétiennes. La christianisation de cent millions de personnes n'a pas fait de martyrs. Dès lors, on naîtra chrétien comme auparavant on naissait païen.Au passage, Paul Veyne est amené à évoquer certaines questions : d'où vient le monothéisme ? Faut-il parler ici d'idéologie ? La religion a-t-elle des racines psychologiques ? Avons-nous des origines chrétiennes ?Quand notre monde est devenu chrétien a reçule prix du Sénat du livre d'histoire 2007ainsi que le grand prix Gobert, décerné sur proposition de l'Académie française, et récompensant « le morceau le plus éloquent d'histoire de France, ou celui dont le mérite en approchera le plus ». « Paul Veyne est un formidable conteur. Il a une façon inimitable et joyeuse de nouer le dialogue avec les textes classiques et les lecteurs d'aujourd'hui, de prendre ces derniers à témoin en leur offrant, par des analogies éclairantes et audacieuses, un livre passionnant qui examine chaque facette de cette aventure humaine, religieuse et politique extraordinaire. » Gilles Heuré, Télérama. « Une revigorante promenade spirituelle, imagée, anticonformiste, passionnante, qui rend le lecteur plus intelligent. » L'Express. « Une démonstration aussi rigoureuse qu'enlevée. Une revigorante promenade spirituelle, imagée, anticonformiste, passionnante, qui rend le lecteur plus intelligent. » Christian Makarian, Le Vif/L'Express. « Paul Veyne mêle histoire et philosophie avec talent et impertinence. » Juliette Cerf, Philosophie magazine. « Pétillante d'ironie, cette sociologie des commencements du christianisme n'est pas seulement un modèle, elle est un plaisir de lecture. » Lire. « Un sommet d'érudition mais aussi une somme écrite dans une langue magnifique. » Le Point. « Une magistrale leçon d'histoire qui renvoie au débat contemporain sur les fondements de notre culture. » Le Figaro Magazine.
La vie philosophique ne consiste pas uniquement dans la parole et l'criture, mais dans l'action communautaire et sociale. C'tait dj l'opinion d'pictte et de Marc Aurle. C'est aussi dans cette perspective de l'agir qu'il faut comprendre la maxime goethenne N'oublie pas de vivre, car elle rsume l'extraordinaire amour de la vie que l'on peut observer chez Goethe.
Grand lecteur de Goethe, Pierre Hadot analyse ici comment le matre allemand se situe dans la longue tradition occidentale des exercices spirituels inspirs par la philosophe antique. Par cette pratique quotidienne, l'individu s'efforce de transformer sa manire de voir le monde afin de se transformer lui-mme.
l'instar des Anciens, Goethe croyait la ncessit de vivre dans le prsent, dans la sant du moment , de saisir le bonheur dans l'instant au lieu de se perdre dans la nostalgie romantique du pass ou du futur. Le dpassement du moi partiel et partial , la concentration sur l'instant prsent, le regard d'en haut , la perspective universelle sont autant de thmes, chers Pierre Hadot, que Goethe a abords.
Que signifie être juif et qu'est-ce qu'un antisémite ? Pourquoi faut-il que, périodiquement, l'énigme attachée à l'identité des fondateurs du premier monothéisme soit l'objet de telles passions ?Pour bien distinguer, d'abord, l'antijudaïsme médiéval (persécuteur) de l'antijudaïsme des Lumières (émancipateur) quand d'aucuns, aujourd'hui, prétendent identifier le second au premier : tous antisémites, affirment-ils, de Voltaire à Hitler. Pour passer ensuite en revue les grandes étapes de la constitution de l'antisémitisme en Europe. Puis, pour assister, entre Vienne et Paris, à la naissance de l'idée sioniste et à sa réception dans les pays arabes et au sein de la diaspora. Une idée, trois légitimités.« Juif universel » contre « Juif de territoire », tel est désormais le couple autour duquel s'organisele débat, auquel Freud et Jung apportent une contribution décisive. Le voici bientôt relancé après la création de l'Etat d'Israël (1948) et le procès Eichmann (1961), tandis que gagne souterrainement l'idée que le génocide serait pure invention des Juifs.Et pour finir, ceci : comment expliquer la multiplication, depuis dix ans, des procès intellectuels et littéraires en antisémitisme ?
« Tous les hommes vastes et profonds de ce siècle aspirèrent au fond, dans le secret travail de leur âme, à préparer cette synthèse nouvelle et voulurent incarner, par anticipation, l'Européen de l'avenir », écrit Nietzsche en 1885. C'est à cette tâche qu'Heinz Wismann s'est consacré en interrogeant les traditions intellectuelles qui, dans leurs différences et leurs contradictions, constituent la culture philosophique et scientifique contemporaine. Au centre de ses activités de passeur entre l'Allemagne et la France : l'analyse des mécanismes par lesquels une tradition se sédimente et tout à la fois innove. La conception des rapports entre les langues en est le terrain d'exercice privilégié, car ce qui se joue entre elles modifie leur structure syntaxique. En déployant son enquête à l'intérieur d'un triangle allemand-français-grec, il met en lumière différentes hypothèses de sens, chaque fois portées par une autre manière de parler. Ainsi découvrons-nous comment certains auteurs majeurs ont dit dans leur langue autre chose que ce qu'elle dit communément : ils inventent une langue dans leur langue. D'Homère à Benjamin, de Platon à Kant, de la philologie à la musique, de la langue au texte, c'est ce tissage de la pensée qu'Heinz Wismann évoque avec un savoir et un talent exceptionnels.
« Il semblerait qu'à peu d'exceptions près le désir de toucher le fond même du réel pousse Bacon, d'une manière ou d'une autre, jusqu'aux limites du tolérable et que, lorsqu'il s'attaque à un thème apparemment anodin (cas de beaucoup le plus fréquent, surtout dans les oeuvres récentes), il faille que le paroxysme soit introduit du moins par la facture, comme si l'acte de peindre procédait nécessairement d'une sorte d'exacerbation, donnée ou non dans ce qui est pris pour base, et comme si, la réalité de la vie ne pouvant être saisie que sous une forme criante, criante de vérité comme on dit, ce cri devait être, s'il n'est pas issu de la chose même, celui de l'artiste possédé par la rage de saisir. »
Michel Leiris
« Soulages aime se trouver absolument seul et dans une pièce en ordre, comme s'il faisait une peinture pour la première fois. Aussi, lorsque l'on pénètre dans un atelier de Soulages, est-on toujours frappé par le grand vide d'un espace où rien ne traîne. Toutes ses peintures sont cachées, sauf (et encore cela est exceptionnel), celle à laquelle il s'attaque. Jamais il n'étale ses peintures terminées, comme la plupart des artistes, mais les range hors de la vue. Homme de toutes les curiosités, homme de l'outil, Soulages s'est attaché à créer des objets porteurs d'émotions esthétiques, que ce soient de ces objets peints que l'on appelle des tableaux, ou de ces objets gravés que l'on appelle des estampes, ou des planches de ces gravures devenues bas-reliefs de bronze, ou de ces objets tissés que l'on appelle des tapisseries, ou de ces objets qui captent et émettent la lumière que l'on appelle des vitraux. Tous ces objets (il préfère dire : ces ''choses'') sont la composante d'une oeuvre unique, dont l'ampleur paraît de plus en plus évidente. »
Michel Ragon
Remettant en cause l'interprétation ordinaire du parricide qui en fait une catégorie de l'homicide relevant d'une action privée, Yan Thomas entend retracer ses origines, sa genèse et son évolution, mais aussi sa dimension symbolique et fondatrice à travers les différents régimes politiques romains. Au-delà de la lignée familiale, le père a en effet une fonction étatique. à Rome, le parricide est une injure suprême, un crime d'état. Il traduit surtout la peur obsessionnelle des pères qui craignent d'être évincés ou tués par leurs propres fils qu'ils ont privés de toute autonomie politique, personnelle et financière.
Il ne s'agit pas, pour Yan Thomas, de décrire la réalité de pratiques de meurtres de pères par des fils, mais de saisir plus généralement ce que le droit de vie et de mort impose, ce qui se joue dans la substitution d'un rapport de puissance et d'un modèle juridique au lien biologique. L'auteur s'attache alors à montrer que le sens, le rôle et la structure de toute la politique romaine se comprend à l'articulation du public et du familial, et que la famille est constitutive du code politique romain.
Cette enquête passionnante, qui, pour comprendre la spécificité de la notion de parricide mêle la philologie et le droit à l'archéologie et à l'anthropologie, permet à Yan Thomas de proposer une lecture inédite et éclairante de la politique romaine et de la nature même de l'état romain.
Dans les années 1960-1970, l'état français encourage l'avortement et la contraception dans les départements d'outre-mer alors même qu'il les interdit et les criminalise en France métropolitaine.
Comment expliquer de telles disparités ?
Partant du cas emblématique de La Réunion où, en juin 1970, des milliers d'avortements et de stérilisations sans consentement pratiqués par des médecins blancs sont rendus publics, Françoise Vergès retrace la politique de gestion du ventre des femmes, stigmatisées en raison de la couleur de leur peau.
Dès 1945, invoquant la « surpopulation » de ses anciennes colonies, l'état français prône le contrôle des naissances et l'organisation de l'émigration ; une politique qui le conduit à reconfigurer à plusieurs reprises l'espace de la République, provoquant un repli progressif sur l'Hexagone au détriment des outre-mer, où les abus se multiplient.
Françoise Vergès s'interroge sur les causes et les conséquences de ces reconfigurations et sur la marginalisation de la question raciale et coloniale par les mouvements féministes actifs en métropole, en particulier le MLF. En s'appuyant sur les notions de genre, de race, de classe dans une ère postcoloniale, l'auteure entend faire la lumière sur l'histoire mutilée de ces femmes, héritée d'un système esclavagiste, colonialiste et capitaliste encore largement ignoré aujourd'hui.
Le 21 mai 2001 fut publiée au Journal officiel la loi reconnaissant la traite négrière et l'esclavage comme « crimes contre l'humanité ».Françoise Vergès revient sur l'extraordinaire capacité de l'esclavage à s'adapter aux nouvelles technologies comme au progrès social et juridique. Hier, la prédation signifiait razzias, guerres, kidnapping ; aujourd'hui, guerres et enlèvements perdurent comme sources d'asservissement, auxquelles il convient d'ajouter la fabrication par la violence économique de vies vulnérables et fragiles.Il est temps d'étudier les politiques et les économies de prédation non comme des traces de l'arriération, mais comme des formes régulièrement réinventées, tout à fait compatibles avec l'existence de discours humanitaires et une économie du profit.
Cet ouvrage, issu d'une série de conférences données par Josef Van Ess à l'Institut du monde arabe, ne se présente pas seulement comme une synthèse de l'ensemble des travaux de ce grand orientaliste - son oeuvre monumentale de près de 4000 pages, parue entre 1991 et 1997, reste une référence incontournable sur le plan mondial -, il constitue également une excellente introduction aux problèmes majeurs de la théologie musulmane.
Josef Van Ess retrace avec une grande clarté les débuts de la réflexion théologique musulmane et apporte des éclairages importants sur la manière dont s'est fixée la réflexion religieuse sans dogme ni église. On trouvera dans ce livre la clé de nombreuses questions actuelles sur le fonctionnement de l'orthodoxie, sur l'anathème, etc., en islam.
À travers les parcours exemplaires d'excentriques et de rebelles de la Chine ancienne, Jean Levi interroge les deux dimensions essentielles de la civilisation chinoise, wen, lettrée, et wu, militaire, dans leur rapport ambigu au langage.Des Entretiens de Confucius aux traités de stratégie et d'art de la guerre et de la politique de Sunzi et Han Fei, en passant par les poème de l'anarchiste Xi Kang, il aborde les questions de la relation maître-disciple, la transmission, la traduction ou encore la philosophie comme mode d'expression littéraire. Partant d'exemples concrets, de dialogues allégoriques, ironiques, aporétiques, Jean Levi fait vivre la pensée chinoise.Et, par un subtil jeu de miroirs, ces réflexions sur des phénomènes intellectuels et idéologiques propres à la culture chinoise renvoient une image qui nous invite à réfléchir sur nous-mêmes : les relations de similitude et d'écart entre la Chine et l'Occident s'approfondissent ici d'un reflet spéculaire, sans que jamais la figure de l'Occident soit réellement présente ; elle n'existe que comme absence à interroger.Directeur de recherche au CNRS, sinologue réputé, Jean Levi est aussi romancier.
Montrer les principaux gestes qui sont au principe d'une oeuvre majeure, restituer le contexte intellectuel au sein duquel elle s'est construite, expliciter ses dimensions anthropologiques et philosophiques : tels sont les objectifs de Louis Pinto, dont le travail, en cela bien différent d'une simple exégèse, intègre les enseignements que propose cette oeuvre.
La théorie élaborée par Pierre Bourdieu, loin d'être objectiviste ou scientiste, implique la réflexivité au coeur même d'une pratique scientifique qui met en question le privilège de l'observateur. Elle nous offre les moyens intellectuels de transformer le regard que nous portons sur le monde social ainsi que sur nous-mêmes. En ce sens, elle peut être considérée comme une socioanalyse nous permettant de comprendre des choses à la fois personnelles et générales, les jeux que nous jouons, les intérêts que nous y investissons et les résistances que nous opposons à la reconnaissance de tout ce qui était jusqu'alors voué à la méconnaissance.
S'il est vrai que l'ordre social repose sur des croyances profondément enfouies autant que sur des structures objectives, la sociologie enferme nécessairement une vision politique du monde social. Elle nous apprend à associer l'esprit d'utopie à la connaissance réaliste de cet ordre.
"Mes pensées ce sont mes catins." Denis Diderot inventa un nouveau rapport à la philosophie, un rapport libre, libertin, fait de plaisir, d'abandon et de lucidité. Éric-Emmanuel Schmitt remet en question l'image traditionnelle de Diderot, celle du philosophe matérialiste, positiviste, scientiste. Il nous présente un Diderot problématique, incertain, aussi tenté par l'ombre que par la lumière, le rationnel que l'irrationnel. Quel philosophe du XVIIIe siècle fut aussi attentif à la nuit, au rêve, au délire, à l'extravagance, au génie ? Diderot se mit à l'écoute des contradictions et des impasses de l'esprit. Pour lui, la vérité devient un idéal inaccessible, et la pensée se doit de penser cette inaccessibilité. Le philosophe s'apparente davantage au Sphinx qu'à OEdipe, il répond moins qu'il n'interroge. C'est bien une nouvelle philosophie que propose Diderot, ainsi qu'une nouvelle manière d'écrire la philosophie. Loin des certitudes, il s'en tient aux paradoxes. "Je vois le matin la vraisemblance à ma droite, et l'après-midi elle est à ma gauche." Il flirte avec les théories comme avec les femmes, elles exercent leur séduction sur lui, et Diderot nous propose ultimement une érotique de la philosophie.
Le livre papier est-il mort ? Non. Si le livre papier risque de devenir commercialement obsolète, cela ne signifie pas qu'il soit obsolète cognitivement. N'en déplaise aux colonialistes numériques, les nouveaux formats n'ont pas ouvert de nouveaux horizons de lecture ; au contraire, cette lecture a été volée.
Dans cet essai percutant, Roberto Casati montre comment choisir utilement entre des parcours qui capturent l'attention et d'autres qui la protègent. C'est pourquoi l'introduction du numérique à l'école doit se faire prudemment et toujours être soumise à des évaluations rigoureuses. L'école et les enseignants qui en sont la sève n'ont aucune raison de se laisser intimider par la normativité automatique qu'imposent les technologies nouvelles : le « maître électronique » est un mythe. L'école, au contraire, est un espace protégé dans lequel le zapping est exclu. Accéder à l'information, ce n'est pas lire ; lire, ce n'est pas encore comprendre; et comprendre, n'est pas encore apprendre. Il nous faut inventer les moyens de résister à la culture de l'impatience.
Il était une fois un enfant pauvre de Souabe. Par la seule force de sa pensée et l'acharnement, de son travail personnel, il devint mondialement célèbre et conquit l'intelligentsia de l' " ennemi héréditaire ", la France. Comment Heidegger a-t-il pu occuper, durant plus d'un demi-siècle, la position privilégiée de philosophe à la mode et de maître à penser à Paris, capitale de l'intelligence et de la culture ?
Malgré l'abondance des traductions, des interprétations et des interventions polémiques, on n'avait jamais tenté d'écrire en français l'histoire complète de la réception, singulièrement mouvementée et imprévisiblement féconde, de la pensée sans doute la plus originale du XXe siècle.
Récit et analyses s'articulent pour retracer les phases principales d'une aventure intellectuelle multiforme nullement réductible à une réception passive et où l'on retrouve les grandes figures intellectuelles du dernier demi-siècle, de Sartre à Ricoeur, de Lacan à Char, de Levinas à Derrida. Document et témoignage, cette fresque historique et philosophique entend aussi offrir des instruments critiques pour enrichir le débat sur la portée d'une pensée toujours controversée.
L'étonnante réception de la pensée. de Heidegger en France se poursuit et ne cesse de s'enrichir de nouvelles précisions ou interprétations. Les Entretiens menés ici par Dominique janicaud viennent compléter son Récit, premier volume de Heidegger en France.
D'abord recueillis à titre d'apports documentaires, ces dialogues ont révélé leur intérêt propre, leur vivante diversité, leur portée historique et philosophique.
Entre les deux cas extrêmes du doyen des interlocuteurs, Walter Biemel, étudiant de Heidegger dès les années quarante, et la cadette, Nicole Parfait, auteur d'une thèse sur l'engagement politique du Maitre, le lecteur verra s'étager les représentants de générations et de sensibilités fort différentes : admirateurs, détracteurs, traducteurs, érudits, écrivains, interprètes d'aspects très variés de l'oeuvre (les incidences politiques bien entendu, mais aussi l'histoire de la métaphysique, l'éthique, la poésie, la critique littéraire, l'herméneutique, l'esthétique, la théologie).
Les animaux sont-ils de « simples vivants », comme le ressasse une tradition de pensée encore dominante ? L'opposition entre vie et existence les range, avec les plantes, dans un ensemble homogène - le grand tout de la Nature - pour mieux réserver à l'homme la tragédie de l'existence. N'y a-t-il donc que lui pour vivre sa vie ? pour naître et mourir, ressentir l'angoisse ou la joie ? Le dualisme entre vie animale et existence humaine ne résiste pourtant pas à un examen sérieux.Au terme d'un parcours critique à travers les philosophies qui ont pensé l'animal, Florence Burgat se demande à quelles conditions une vie peut être qualifiée d'existence. Chaque fois, nous dit-elle, qu'un être vivant est non seulement un centre à partir duquel s'organisent ses relations à l'entourage, mais aussi le sujet de ses propres expériences.Tracée à partir des perspectives ouvertes par la phénoménologie, la notion d'existence animale ne saurait être sans conséquences sur le débat éthique. Affirmer que les animaux existent en première personne constitue une réponse forte à un utilitarisme qui se borne à condamner la souffrance, sans souci du caractère unique et irremplaçable de chaque existence. L'interrogation philosophique sur ces autres existences doit être telle que « celui qui questionne est lui-même mis en cause par la question » (Merleau-Ponty). Florence Burgat est philosophe, directrice de recherche à l'INRA. Elle a publié plusieurs ouvrages fondamentaux sur la question animale dont Animal mon prochain (Odile Jacob, 1997), et Liberté et inquiétude de la vie animale (Kimé, 2006).
Les hommes ont inventé plusieurs types d'écritures. Deux se partagent le monde moderne : les alphabétiques, qui sont multiples, et la chinoise, qui est unitaire et pratiquée par plus d'un milliard d'êtres humains. Cette écriture « différente » fascine depuis toujours les Occidentaux, au point que la question de la langue est souvent reléguée au second plan. Dans cet ouvrage passionnant, Viviane Alleton bouscule quelques idées reçues nées de la croyance en la supériorité des alphabets sur une écriture considérée, à tort, comme complexe et qui serait l'apanage d'une minorité. Les caractères ne sont pas de petites images d'où émanerait un sens, mais correspondent à des mots qui se prononcent et se lisent dans des textes grammaticalement articulés. La transcription des sons en caractères latins, le pinyin, est avant tout un moyen d'enseigner une même prononciation à tous les enfants chinois, quel que soit le dialecte parlé chez eux. Il n'y a pas plus d'illettrés en Chine qu'ailleurs. L'apprentissage du chinois n'est guère plus long que celui du français. Et l'enseignement massif de l'anglais, perçu comme un outil de communication indispensable dans le monde actuel, ne constitue pas une menace aux yeux des Chinois.
Loin d'être en péril face au défi à la modernité, l'écriture chinoise a su s'adapter en permanence aux évolutions historiques et techniques, comme le prouve son passage réussi à l'ère de l'informatique.
Comment penser le monde aujourd'hui entre le rationalisme des Lumières, les traditions religieuses et prophétiques et l'exigence démocratique ; quels sont les « états d'être » qui habitent la conscience tant en Orient qu'en Occident ? En analysant l'impact de l'Europe et de ses universaux sur un Orient déboussolé, Daryush Shayegan définit une nouvelle configuration de la « pensée nomade » qui n'oppose pas les civilisations, mais déjoue les amalgames politiques, les ankyloses identitaire, et interroge les métamorphoses de notre rapport au monde. La conscience métisse dessine aussi le parcours intellectuel hors normes d'un des penseurs phares des relations Orient-Occident, qui a forgé il y a plus de trente ans le concept d'idéologisation de la religion et pour qui l'exercice de la pensée ne se limite ni à la philosophie, l'histoire ou la mystique, mais englobe toutes les formes de création, en particulier la littérature. Né à Téhéran en 1935, il a publié de nombreux ouvrages dont Hindouisme et soufisme, Qu'est-ce qu'une révolution religieuse ?, Le Regard mutilé et La lumière vient de l'Occident.
Dans le Deutéronome, consacré à l'enseignement de la loi juive, on trouve une référence brève mais claire à l'origine et à l'histoire du peuple hébreu. Errance, esclavage en Égypte, installation dans le pays de Canaan en constituent les trois phases. Si les données géographiques nous sont à peu près connues, les époques où sont censés se dérouler ces événements sont beaucoup plus difficiles à définir. En mettant délibérément de côté les contraintes de l'interprétation littérale, Javier Teixidor montre qu'il y a dans ce récit un dynamisme bien précis, celui des tribus qui, de semi-nomades, deviennent sédentaires. Les trois épisodes, un raccourci frappant de l'histoire des Hébreux, acquièrent la dimension d'une épopée : l'épopée des patriarches bibliques. Nous découvrons ainsi comment les anciens intellectuels juifs se sont représenté le parcours suivi par une population araméenne qui deviendra le peuple juif après l'Exil. Ce n'est qu'à ce moment qu'apparaît la nouvelle communauté religieuse qui allait marquer l'histoire de l'Occident.
L'inconscient dévoilé participe éminemment à la crise de civilisation qui aura marqué notre siècle, et les institutions des psychanalystes sont maintenant des lieux parmi d'autres dans la cité. C'est dans ce contexte que, le 15 décembre 1989, Serge Leclaire, Philippe Girard, Lucien Israël, Danièle Lévy et Jacques Sédat ont proposé à leurs collègues la création d'interfaces entre les différentes associations psychanalytiques d'une part et l'Etat de droit d'autre part. L'Association pour une instance est issue de cette initiative.
Cet Etat des lieux de la psychanalyse réalisé par l'A.P.U.I. vise à mettre à la disposition de tout psychanalyste comme de tout "honnête homme" une information aussi complète que possible sur les pratiques, les modes de fonctionnement et les usages d'un ensemble de professionnels qui se réclament de la même discipline. Il s'articule autour de cinq grands thèmes : le cadre et le dispositif, le cursus et la formation, l'extension de la psychanalyse dans la société, les rapports de la psychanalyse et de l'Etat dans un certain nombre de pays, et le statut juridique de la psychanalyse.
Les initiés trouveront des éléments pour composer selon leurs penchants différents plans d'aménagement de ce territoire et les profanes de quoi s'orienter dans un champ aux contours difficiles à cerner. Mais cet Etat des lieux offre aussi à tous une relance de la réflexion sur la psychanalyse.
Qu'advient-il quand la mythologie est saisie par l'écriture, quand elle est livrée à des scribes ou pis, quand elle est enfermée dans un mausolée ?
Que se passe-t-il quand certains se mettent à travailler les grands mythes, les discours de la tradition avec le stylet dont dispose la gent de l'écriture ?
Poursuivant son exploration des frontières, qu'elles soient frontières de la langue (Savoirs de l'écriture en Grèce ancienne) ou frontières spatiales (Tracés de fondation), le groupe réuni autour de Marcel Detienne tente de comprendre comment une civilisation définit et transcrit son patrimoine oral, comment elle le conserve et le transmet aux générations suivantes.
Ainsi, les historiens et les anthropologues Georges Charachidzé, Gilbert Hamonic, Christian Jacob, Gérard Lenclud, François Macé, Thomas Rmer, John Scheid, Carlo Severi, Françoise Smyth et Léon Vandermeersch - qui ont participé à cet ouvrage contribuent à éclairer par leur analyse des grandes traditions (japonaise, chinoise, grecque, etc.) la question de la transmission culturelle si cruciale dans nos sociétés modernes.