Les sciences du vivant ont enrichi massivement les connaissances scientifiques, en particulier dans le domaine de la médecine, avec des découvertes importantes telles que les cellules, les bactéries, les molécules organiques, et plus tard l'ADN. Les savoirs, images, modèles de pensée sur lesquels elles se sont fondées se sont peu à peu étendus à d'autres disciplines. Elles ont également conduit à la formulation de nouvelles interrogations sur le pouvoir de l'homme, sur ses interventions dans le domaine du vivant, sur son rapport à l'environnement, dépassant le cercle d'intérêt de la science elle-même, et encourageant de ce fait l'approche transdisciplinaire. Cet ouvrage montre, d'une part, l'implication de l'imaginaire et de l'esthétique dans les discours scientifiques sur le vivant, et, d'autre part, la plasticité des savoirs du vivant ainsi que leur puissance modélisante, qui expliquent leur diffusion dans le champ des sciences humaines.
D'où vient l'idée étrange que les Blancs seraient aujourd'hui, au même titre que les minorités, victimes de discriminations, voire d'un "racisme anti-Blancs" ? Fruit d'une conscience raciale blessée, cette croyance trouve ses racines dans les Etats-Unis du XVIIIe siècle. Depuis quelques années, Donald Trump l'a plus que jamais politisée avec sa promesse de restauration d'une préséance blanche perdue, confisquée par d'autres. Une telle rhétorique victimaire résonne de notre côté de l'Atlantique, où l'on parle désormais de "déclin" ou de "stigmatisation" de l'homme blanc. En dévoilant les origines de ce discours, Sylvie Laurent démontre que le "pauvre petit Blanc" est un mythe, un tour de passe-passe des élites blanches qui s'approprient la posture de l'opprimé pour préserver leur statut et leur privilège racial, vivement contestés depuis les années 1960 jusqu'à Black Lives Matter.
L'expression « construction de la paix » évoque un scénario trop bien connu : la violence éclate, les pays étrangers s'en émeuvent, les Casques bleus se précipitent, les donateurs versent des millions de dollars, les belligérants signent des accords, la presse fait ses gros titres sur la paix enfin retrouvée et, quelques mois plus tard, la situation revient à son point de départ, si ce n'est pire. Pourtant, des stratégies ont permis de construire une paix durable dans les zones de conflit, en particulier pour les citoyens ordinaires. Quelles sont-elles ? Et pourquoi d'autres citoyens ordinaires, à des milliers de kilomètres de là, devraient-ils eux aussi s'en inspirer ? Dans Sur les fronts de la paix, Séverine Autesserre, chercheuse primée et activiste, examine l'industrie de la paix, si bien intentionnée et pourtant si défectueuse. En s'appuyant sur des cas du monde entier, elle montre que la paix peut se développer dans les circonstances les plus improbables. Contrairement à ce que prêchent la plupart des politiques, sa construction ne nécessite pas des milliards d'aide ou des interventions internationales massives; en réalité, une paix durable exige de donner le pouvoir aux citoyens locaux. Ce livre raconte l'histoire d'individus et d'organisations ordinaires mais extraordinaires, qui luttent efficacement contre la violence dans leurs communautés. La réussite de la construction de la paix (dans les pays en guerre comme dans ceux qui ne le sont pas) repose sur des initiatives novatrices, menées par les populations locales - parfois soutenues par des étrangers -, et qui usent de méthodes souvent snobées par l'élite internationale. En décrivant de tels succès, Séverine Autesserre nous montre les changements d'approche radicaux à opérer si nous voulons construire une paix durable autour de nous - au Congo, en France ou ailleurs.
Depuis les années 1990, des associations, comme Allegro Fortissimo et plus récemment Gras politique, ainsi que des militantes et autrices comme Gabrielle Deydier, ont imposé un nouveau terme pour parler des discriminations liées au poids : la grossophobie. La tendance « body positive », résultat de ces mobilisations contre les normes esthétiques et pondérales dominantes, a renouvelé les problématiques propres aux mouvements féministes et queer, mettant à nouveau la question du corps au coeur des revendication des militantes dans le monde entier. Pourtant, les réseaux sociaux demeurent saturés d'« humour » grossophobe et la tyrannie de la minceur continue de sévir, générant mal-être, troubles du comportement alimentaire ou encore pratiques d'autocensure. Plus grave encore, les études chiffrées sur la grossophobie montrent qu'au-delà d'un certain poids les discriminations se systématisent. Elles ont lieu à l'embauche, au travail, mais aussi sur les applications de rencontre, dans les salles de sport, chez le médecin et même dans l'intimité, avec la famille. Avec cet ouvrage, Solenne Carof, signe une des premières études sociologiques sur la grossophobie en France. Que vivent les personnes très corpulentes dans une société comme la nôtre ? Que révèle le stigmate de gros ou de grosse des normes qui pèsent différemment sur les hommes et sur les femmes ? Quelles conséquences cette stigmatisation a-t-elle sur les personnes concernées ? Au fil de son enquête, l'autrice dévoile les rapports de pouvoir qui se nichent dans la question du poids et structurent les hiérarchies propres à notre société. Une étude décisive pour mettre en évidence l'importance d'une discrimination encore peu condamnée, tant socialement que juridiquement.
Dans l'entre-deux-guerres à Paris, au moment où une frange d'intellectuels unit ses voix aux mouvements nationalistes, des critiques d'art gravitant autour de l'École de Paris prennent des positions esthétiques et idéologiques parfois déroutantes. L'ouvrage examine les motivations personnelles, communautaires et sociales des divers auteurs qui ont débattu la question d'un art juif et de son éventuel caractère ethnique. Il étoffe notre compréhension de la politisation des discours sur l'art, sans céder à une vision simplificatrice ou binaire : à l'heure de la montée des fascismes, la critique d'art s'est adaptée aux circonstances, reflétant ainsi les glissements et les instabilités de l'époque.
Entre affirmation d'appartenances et confrontation aux différences, quel rôle la notion de culture joue-t-elle dans l'orientation des conduites individuelles et collectives ? Comment est-elle devenue un référent moral globalisé, construit autour des idéaux de respect et d'enrichissement mutuels, et, simultanément, un support de distinctions parfois rigides et conflictuelles ? Quelle place les considérations éthiques et morales prennent-elles dans la régulation des politiques et pratiques culturelles ? De l'Australie au Pérou, des Pays-Bas au Mali, de la Suède au Mexique, en passant par la France et la Roumanie, les quatorze anthropologues et sociologues réunis pour ce livre par Guillaume Alevêque et Arnauld Chandivert portent un regard critique sur leurs terrains de recherches pour interroger les processus de moralisation de la culture et du patrimoine. À l'heure où les nationalismes, les migrations, les religions et les pratiques mémorielles, artistiques ou festives nourrissent de vives polémiques, cet ouvrage constitue une approche aussi inédite qu'essentielle des interactions entre culture et morale. Que font l'éthique et la morale à la culture ? Que fait la culture à la morale ? Loin de ne rendre compte que d'oppositions et d'asymétries, les contributions témoignent de l'imbrication des régimes éthiques et moraux appliqués aux problématiques culturelles, sans se satisfaire de lectures schématiques des questions de valeurs, qui saturent de nos jours les discours et débats publics.
En 2007, une polémique secoue le monde du jeu vidéo : Resident Evil 5, nouvel épisode d'une série mondialement connue, est accusé de racisme ! La bande-annonce du jeu met en scène le héros, un soldat blanc nommé Chris Redfield, dans une petite ville d'Afrique indéterminée. Chargé d'enquêter sur les agissements d'une corporation soupçonnée de produire un virus mutagène, il est soudain assailli par une horde de zombies, tous noirs. Il se met à les abattre à la chaîne. Certains dénoncent ces images, d'autres relativisent la violence. Face aux polémiques, comment l'industrie du jeu vidéo pense-t-elle la diversité ? Dans cet ouvrage, Mehdi Derfoufi, joueur et chercheur, interroge le rôle des stéréotypes de race et de genre dans la fabrique des jeux vidéos. Alternant l'analyse politique et la critique culturelle, il réfléchit aux conditions qui permettent aux productions alternatives de voir le jour - notamment dans les pays du Sud. Une nouvelle culture vidéoludique émerge, polycentrique et multiculturelle. Contre l'hégémonie, la riposte s'organise.
Depuis le milieu des années 1970, des associations défendant les droits des pères - à l'image de SOS Papa ou de Les papas = Les mamans - ont imposé l'idée dans le débat public que les pères séparés seraient éloignés de leurs enfants par une justice favorisant les femmes. Après trois années d'enquête auprès de ces militants, le sociologue Edouard Leport révèle à contrario une réalité sombre : une part non négligeable des pères mobilisés sont accusés de violences conjugales ou de violences envers leurs enfants et tous sont en procédure de divorce conflictuelle. En off, lors des permanences des associations, les langues se délient et le combat de ces pères se révèle finalement très éloigné des préoccupations éducatives et des revendications d'égalité des sexes qu'ils affichent dans la sphère médiatique. Pour payer moins de pensions alimentaires et faire taire les dénonciations de leurs enfants et de leurs ex-femmes, ces hommes sont prêts à tout. Ils demandent notamment la reconnaissance médicale d'un « syndrome d'aliénation parentale » - une dangereuse théorie qui prétend que les accusations des enfants à l'égard de leurs pères sont nécessairement mensongères dans le cadre d'une séparation conflictuelle. En matière de violence, ces pères engagés ne sont malheureusement pas des exceptions : le nombre d'accusations les concernant reflète les violences que subissent les femmes et les enfants lors des séparations des parents. Aussi, Edouard Leport nous propose de déconstruire l'argumentaire bien ficelé de ces pères engagés, de sorte qu'il ne puisse plus être invoqué innocemment pour défendre la préséance des hommes.
Entre 1927 et 1930 à Berlin, puis de 1934 à 1940 à Paris, Walter Benjamin travaille à accumuler des matériaux pour un projet de vaste envergure : retracer, à partir de l'étude des passages parisiens, une « préhistoire du XIXe siècle ». La rédaction du texte est sans cesse différée, tandis que l'immense corpus préparatoire semble voué à croître indéfiniment, devenant une somme composite de citations que double parfois, à la manière d'une note de régie, une réflexion ou une remarque énigmatique. Au fil de ses recherches, Benjamin se rend à l'évidence : il faudra que son Livre des passages soit enrichi par des images. Une « documentation visuelle » se constitue bientôt, écrit-il, glanée pour l'essentiel dans les recueils du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale où il travaille pendant son exil parisien. Une centaine de notes témoignent de cette collecte et conservent, enfermée dans leurs plis, la mention d'une ou de plusieurs images qui sont restées pour la plupart inconnues jusqu'ici. Steffen Haug a voulu retrouver cette réserve enfouie. Gravures et dessins de presse, tracts, réclames, affiches et photographies, de Meryon et Grandville à Daumier, en passant par la cohorte anonyme et le tout-venant de la production visuelle à grand tirage du XIXe siècle : la moisson rapportée ici est surprenante. Elle invite à lire ou relire les Passages en faisant à l'image toute la place qu'elle occupe dans la pensée du dernier Benjamin, à l'heure où s'élaborent, sous la menace de temps assombris, son essai « L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique », le projet de livre sur Baudelaire ou ses Thèses sur le concept d'histoire.
Dans l'Espagne de la période du franquisme tardif (1957-1975), les critiques d'art jouent un rôle essentiel dans les mouvements de contestation qui agitent une société alors en pleine mutation. Contre la doctrine d'un art moderne autonome et dépolitisé prônée par le régime, ils produisent des discours esthétiques qui rétablissent le lien entre culture et politique et poussent les artistes à inscrire leurs oeuvres dans le cadre élargi des questions éthiques et des enjeux sociaux. En s'appuyant sur l'étude d'archives restées jusqu'ici inexplorées et sur des entretiens inédits, Compagnons de lutte s'attache au travail de sept critiques et historiens de l'art espagnols qui ont pris une part extraordinairement active à la vie intellectuelle et politique de leur pays dans les années 1960 : ils publient, éditent, traduisent, ils organisent des expositions, des débats, des rencontres. Grâce à la complicité nouée avec Giulio Carlo Argan et Umberto Eco en Italie, Adolfo Sánchez Vázquez au Mexique, Gérald Gassiot-Talabot, Pierre Restany et le Salon de la Jeune Peinture à Paris, ils s'approprient les théories et les tendances artistiques circulant à ce moment-là en Europe et sur le continent américain, en les adaptant avec succès aux conditions spécifiques de l'Espagne franquiste. Fruit d'une approche interdisciplinaire et transnationale des réseaux artistiques du Sud global, l'ouvrage de Paula Barreiro López révèle un pan longtemps négligé par l'historiographie de l'art européen, en éclairant le fonctionnement de l'avant-garde espagnole dans les dernières années de la dictature, sa diffusion et sa réception critique dans les milieux culturels de gauche à l'époque de la guerre froide.
Le portrait est sans conteste le genre artistique le plus fécond du début des Temps modernes. Dans la France du XVIIe siècle, qui se distingue par une mobilité sociale inconnue jusqu'alors, le portrait permet précisément d'appuyer la revendication d'un nouveau statut social ou d'assurer un rang acquis, mais désormais remis en question. Le portrait se fait également l'écho de la discussion capitale concernant le rapport entre le corps et l'âme. Pourtant, les sources écrites parvenues jusqu'à nous, qui s'intéressent au portrait, sont étonnamment parcimonieuses. L'Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648, en particulier, est presque totalement muette à ce sujet. Et ce, bien que nombre de ses membres gagnent leur vie comme portraitistes et que le genre voie son importance s'accroître au cours du Grand Siècle : les portraits se multiplient, tandis que leur prix augmente constamment. Il semble que l'Académie ait sciemment passé sous silence le portrait et les débats afférents, afin de mieux célébrer comme sa véritable mission la peinture d'histoire, sur laquelle l'institution nous a laissé d'innombrables témoignages. La présente étude reconstitue les discours autour du portrait dans la France du XVIIe siècle et dévoile une discussion d'une vivacité surprenante, où d'aucuns se sont même demandé si le portrait ne méritait pas - plutôt que la peinture d'histoire - d'occuper la première place dans la hiérarchie des genres.
L'Orchestre national du Capitole de Toulouse, l'Orchestre de Paris, Les Siècles, l'Orchestre philharmonique de Radio France, le Philharmonia Orchestra, Les Dissonances, le Concerto Kln... Quels points communs entre ces formations musicales ? Quelles forces faut-il réunir pour que les concerts aient lieu, à quoi le succès des représentations tient-il ? Qu'est-ce qu'être musicien d'orchestre, et quid aujourd'hui de l'idée romantique selon laquelle le véritable artiste devrait, tout offert à sa passion, vivre dans l'incertitude ? Sociologue et musicienne d'orchestre, Delphine Blanc dresse dans cet ouvrage, où vibre, fortissimo, l'amour de la musique classique, une typologie des orchestres. Elle décrit les relations, parfois frémissantes, parfois houleuses, qui unissent un groupe autour d'un concert, et fait entendre, avec brio et humour, une partition inédite, celle du hors-scène. Son approche ethnographique donne à voir comment se joue l'engagement individuel de chacun dans la prestation artistique d'ensemble. Par le biais d'entretiens menés allegro vivace avec des instrumentistes, des chefs, mais aussi des régisseurs, techniciens et administrateurs, ainsi que par des extraits du journal que l'auteure tient depuis son pupitre d'altiste, L'Accord parfait ? plonge le lecteur, au coeur des orchestres, sur les plateaux, dans les bureaux, de tournées en répétitions, dans le vif des interactions quotidiennes dont se nourrit le collectif musical.
À l'heure où l'Amazonie connaît une crise majeure affectant la planète dans son ensemble, il est indispensable de (re)lire ce classique de l'anthropologie de la nature, qui a fait l'objet d'un nouveau travail éditorial et propose une préface inédite. Isolés dans la forêt du haut Amazone, les Jivaro Achuar d'Amazonie équatorienne domestiquent dans l'imaginaire un monde sauvage qu'ils ont peu transformé. En peuplant la jungle, les rivières et les jardins de parents animaux et végétaux qu'il faut séduire, contraindre ou cajoler, cette ethnie guerrière donne à la nature toutes les apparences de la société. À partir d'une ethnographie minutieuse de l'économie domestique, l'auteur montre que cette écologie symbolique n'est pas réductible à un reflet illusoire de la réalité, car elle influence les choix techniques des Achuar et, sans doute même, leur devenir historique.
Avec la loi de séparation des Églises et de l'État (1905) et son inscription dans la Constitution (1946 et 1958), la laïcité apparaît comme une référence importante en France. Depuis le début du xxie siècle, elle est de plus en plus invoquée, et une très grande majorité de Français affirment qu'ils y sont « attachés ». La plus grande confusion règne pourtant sur le sens de ce terme. De plus, hier valeur essentielle de la gauche, elle est de plus en plus omniprésente dans le discours politique de la droite et de l'extrême droite. En fait, nous explique Jean Baubérot, il n'existe pas de « modèle français » unique de laïcité mais des visions divergentes qui s'affrontent dans un rapport de forces toujours évolutif. Ainsi le contenu de la loi de 1905 a représenté un enjeu entre quatre conceptions différentes de la laïcité. Celles-ci ont subsisté en s'adaptant, alors que trois « nouvelles laïcités » ont apparu. Ces sept laïcités, l'auteur nous les décrit en les qualifiant : laïcité antireligieuse, laïcité gallicane, laïcité séparatiste stricte, laïcité séparatiste inclusive, laïcité ouverte, laïcité identitaire et laïcité concordataire. Pour finir, Jean Baubérot expose les mutations de la laïcité depuis la fin du xixe siècle et propose des hypothèses sur son devenir.
Les phénomènes migratoires atteignent une ampleur inédite et suscitent de graves crises sociétales en Europe et ailleurs. C'est pourquoi il importe d'en renouveler les analyses en se penchant sur la condition des exilés. Si les discours actuels font du migrant une figure propre à alimenter chiffres et statistiques, ils gomment son vécu et ses parcours, ses espoirs et ses souffrances. Or, le migrant est d'abord un exilé, porteur à ce titre d'une identité plurielle et d'une expérience de multiappartenance propres à enrichir le vivre-ensemble. Comprendre le migrant en tant qu'exilé permettra de mieux l'accueillir et, en place d'un droit d'asile défaillant, d'esquisser les fondements d'un droit d'exil.
Dans la foulée de la révolution iranienne, et avec notamment les attentats du 11 septembre 2001, un vaste mouvement témoigne dans le monde entier de logiques de violence qui en premier lieu mettent en avant la religion musulmane. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs, les chercheurs, les responsables politiques, les think tanks, les agences de sécurité et les médias se sont massivement emparés du phénomène qu'ils qualifient de radicalisation afin de l'analyser et le comprendre. En France, et pour des raisons idéologiques, la notion de radicalisation est mise de côté. Pourtant, les problèmes qu'elle recouvre sont vastes et nombreux : il était urgent d'en analyser les ressorts. Qui se radicalise, comment, pour quelle raison ? Quels rôles jouent l'idéologie, le contexte politique, la situation sociale, la religion elle-même pour les individus qui s'engagent dans des processus aboutissant à des attitudes où se conjuguent inflexibilité, désir et pratique d'une violence sans limites, dans une guerre totale contre la société ? Farhad Khosrokhavar était le mieux préparé par ses recherches pour suivre les méandres les plus récents de l'islam radical. Il nous apporte des connaissances souvent étonnantes et une analyse approfondie de la radicalisation jihadiste en Europe et dans le monde arabe. Il nous propose aussi un éclairage particulièrement saisissant des processus se traduisant par exemple par l'afflux de jeunes Européens vers la Syrie.
Les images d'archives - bien précieux à la fois matériel et immatériel - sont aujourd'hui indispensables pour écrire et penser l'histoire. Pourtant, à l'heure où le numérique révolutionne leurs conditions d'accès, de reproduction et intensifie leur circulation, elles ne bénéficient pas d'un statut équivalent à celui des archives écrites ou des oeuvres d'art. Leur valorisation tout comme leurs métamorphoses soulèvent de nombreuses questions : politiques, juridiques, éthiques, économiques et esthétiques qui nécessitent une réflexion interdisciplinaire. Autour de Sylvie Lindeperg et d'Ania Szczepanska, des personnalités influentes du monde des images ouvrent le débat pour tenter de préserver ce qui est au fondement de l'imaginaire collectif du passé.
Le 11 mars 2011, au large des côtes de l'île japonaise de Honshu, un séisme de magnitude 9,1, doublé d'un tsunami, provoque plusieurs explosions et la fonte de trois des six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Dai ichi. Dix ans après, les conséquences sociales de la gestion de l'accident sont en cause. Les nombreuses victimes, dont la vie a été profondément bouleversée par la tragédie, peinent à retrouver une vie normale. Cécile Asanuma-Brice, chercheuse au CNRS et résidente permanente au Japon, revient sur le déroulé d'un désastre qui se prolonge jusqu'à nos jours. L'ouvrage mêle témoignages et analyse scientifique des politiques d'administration de la catastrophe : refuge, incitation au retour, actions citoyennes, décontamination, répercussions sanitaires, communication du risque et résilience. Autant d'enjeux cruciaux pour une reconstruction en débat.
Enquête policière autant qu'ouvrage d'histoire politique et d'érudition, ce livre nous entraîne dans les passionnantes aventures des grands hommes qui ont été les acteurs de la séparation des Églises et de l'État en France, comme Briand, Buisson, Clemenceau, Combes, Jaurès et les autres, sans oublier le combat des femmes pour exister face au sexisme ordinaire. L'ouvrage révèle l'importance des modèles étrangers (le Mexique, le Japon...), traque les oublis et les déformations de la mémoire collective, profane la légende dorée d'une « mise au pas » ou d'un « compromis » comme la légende noire d'une « persécution », montre les failles encore présentes dans le renouveau historiographique de ces dernières décennies. Le but de cette étude, qui conjugue anecdotes significatives et hypothèses théoriques, consiste à débusquer le secret de la Séparation : par quel « miracle » (Buisson) a-t-on pu aboutir à une « loi de liberté » (Briand), au moment même où, au nom de l'« émancipation », l'anticléricalisme d'État se trouvait entraîné dans une spirale de mesures de plus en plus répressives ? Cette loi constitue une double victoire pour la République française : victoire sur ses adversaires et, aussi, victoire sur elle-même, sur sa tentation, au nom d'un « État idéal », de refuser d'admettre « la diversité dans la liberté » (Clemenceau).
Par quelles opérations un édifice ou un objet se trouve-t-il intégré au corpus du patrimoine ? Quelles sont les étapes de la "chaîne patrimoniale", depuis le premier regard jusqu'à l'éventuelle obtention du statut juridique de "monument historique" ? Quels sont les critères mis en oeuvre par les chercheurs de l'Inventaire pour décider que tel château, telle ferme, tel tableau d'église possède ou non une valeur patrimoniale ? Quels émotions animent les mobilisations des profanes en faveur des biens à préserver ? Et finalement, sur quelles valeurs fondamentales repose la notion même de patrimoine ? Telles sont les questions auxquelles répond de livre, à partir d'enquêtes au plus près du terrain. Car c'est dans le détail des procédures, des propos enregistrés, des scènes et des gestes observés que l'on peut réellement comprendre comment - c'est-à-dire pourquoi - les limites du patrimoine n'ont cessé, en une génération, de s'étendre, englobant désormais non seulement la "cathédrale" mais aussi la "petite cuillère" - selon les mots d'André Chastel définissant le service de l'Inventaire -, voire, tout récemment, la borne Michelin. Appliquant à la question patrimoniale les méthodes de la sociologie pragmatique, cette étude s'inscrit dans la perspective d'une sociologie des valeurs, tentant d'élucider ce qu'on entend aujourd'hui dans notre société par l'ancienneté, l'authenticité, la singularité ou la beauté - et ce qu'on en attend.
"L'orgue joue", dit-on souvent, en oubliant que derrière les buffets de ces instruments et derrière leurs tuyaux impressionnants, un musicien oeuvre dans l'ombre, tissant ensemble les notes et les sons, façonnant dans l'acoustique une voie pour la musique. A l'écart des scènes de concerts, dans les hauteurs des églises, les organistes s'effacent autant que la présence de leur instrument en impose. Qui sont ces musiciens méconnus, ces artistes de l'invisible que l'on entend sans les voir ? Comment devient-on musicien lorsqu'on joue d'un instrument caractérisé par sa démesure, à l'écart du monde de la musique, dans l'intimité des églises ? Ce livre est une invitation à grimper les marches des tribunes et à entrer dans l'univers insoupçonné des organistes. Il s'appuie sur une enquête de terrain menée en France ainsi que sur des récits de vie qui, disposés en échos, révèlent la trame initiatique de l'apprentissage de cet instrument singulier qu'est l'orgue. Au fil des pages, l'auteure, ethnologue, rend sensible la nécessaire et délicate transformation des apprentis-organistes en musiciens accomplis, depuis la découverte de l'instrument jusqu'à sa maitrise, qui est aussi celle de la passion qu'il suscite. A la croisée d'une ethnologie contemporaine de la musique et des savoirs, et recourant à l'histoire, cet ouvrage rend compte des mutations profondes qui, dans une société sécularisée, modèlent le devenir de celles et ceux qui choisissent la voie des orgues.
Alors que les débats sur la laïcité sont nombreux et vifs, il est essentiel de revenir sur le processus qui a conduit à loi de 1905, séparant les Églises et l'État. Jamais une « loi de liberté » (A. Briand), n'aurait dû advenir car deux France - la « fille aînée de l'Église » et celle issue de la Révolution - se combattaient, entraînant le pays vers une « guerre civile ». Or un retournement de situation se produit. La loi la plus importante de la Troisième République s'élabore avec des majorités variables, issues des deux camps antagonistes. Ce résultat découle de la superposition de deux conflits ; en effet à cette « guerre » séculaire de deux France s'ajoute une très inattendue « guerre » des gauches, significativement oubliée, qui met aux prises Jaurès et Clemenceau. En définitive se réalise un « équilibre des frustrations », fondé sur de nombreux paradoxes. Cette étude, de loin la plus complète jamais rédigée sur une loi plus célèbre que connue, renouvelle son approche en traquant les oublis mémoriels, en montrant l'importance du contexte international (guerre russo-japonaise), la référence à des modèles étrangers (Mexique, États-Unis...), les stratégies des forces politiques et religieuses, les différentes visions de la Séparation qui se sont opposées et les stratagèmes victorieux de Briand, oscillant entre Weber et Marivaux. L'auteur énonce 32 thèses novatrices : elles permettent de comprendre pourquoi une loi, qui semblait irréalisable, est devenue un fait historique majeur, toujours actuel en notre xxie siècle, où la liberté de conscience et la neutralité de la puissance publique, bref la laïcité, sont plus que jamais au premier plan de nos préoccupations.
L'euthanasie fait débat. Cela fait vingt ans que des législations françaises entretiennent l'espoir de partir dignement chez ceux que la maladie condamne. Plusieurs ont pourtant fui en Belgique ou en Suisse. D&rsquoautres ont eu moins de chance. Ils sont morts seuls, suicidés. Philippe Bataille raconte leur combat et celui de leurs proches. Avec une grande finesse, le sociologue prolonge les débats éthiques qui laissent sans recours les désespérés qui demandent à partir. La clandestinité ne recule pas, elle devient la règle. La loi ne met pas fin à toutes les injustices, elle les renouvelle. Privés de droits, des condamnés réclament. Qui les entend?
Ce volume dresse une bibliographie générale - quoique nécessairement lacunaire, fondamentalement inachevée - de l'oeuvre de Daniel Fabre. Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Daniel Fabre (1947-2016) est une figure marquante de l'anthropologie française. Son insatiable curiosité le porte à étudier la littérature orale, le carnaval, les communautés rurales et la théorie de l'initiation, les écritures ordinaires, les formes modernes du culte de l'artiste et de l'écrivain, à aborder l'anthropologie des arts et de la littérature, à considérer l'histoire européenne du regard ethnologique, à promouvoir une ethnologie du patrimoine et à inscrire l'institution de la culture dans une approche anthropologique. Fondateur, avec le préhistorien Jean Guilaine, du Centre d'anthropologie des sociétés rurales (devenu par la suite Centre d'anthropologie de Toulouse), il a structuré la recherche et l'enseignement de l'anthropologie à Toulouse par les nombreux séminaires qu'il y a donné jusqu'à la fin des années 1990. En 2000, il a participé à la création du Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture (Lahic) au sein de l'Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain (IIAC UMR 8177, CNRS / EHESS), dont il a pris la direction en 2013. À partir de 1999, il a enseigné l'anthropologie des religions à l'université de Rome Tor Vergata. De 2004 à 2008, il fut président de la section 38 (« Anthropologie ») du Comité national de la recherche scientifique du CNRS. De 1993 à 1997, il a présidé le conseil de la mission du Patrimoine ethnologique du ministère de la Culture. Il a également contribué à fonder et dirigé l'ethnopôle Garae (Carcassonne). Membre du comité de rédaction de la revue Ethnologie française et de L'Homme. Revue française d'anthropologie, il a codirigé avec Jean Jamin la revue Gradhiva.