Ces lettres ne feront pas de vous un poète talentueux, là n'est d'ailleurs pas la question. Mais le lecteur se surprendra peut-être à découvrir en Rilke l'un de ses semblables. L'écrivain de génie s'y révèle de fait d'une déconcertante accessibilité. Face aux doutes d'un jeune poète, Rilke conseille et rassure son correspondant, avec patience et humilité.
Et si la poésie dépendait moins du travail sur le texte que d'un travail sur soi ? À défaut de révéler les ressorts de la création littéraire, c'est une véritable éthique que le poète tâche d'exposer.
La traduction de l'écrivain Gustave Roud, longtemps introuvable, révèle brillamment la puissance poétique intacte de ces lettres. Demeure un texte culte, universel : un guide pour tous ceux éprouvant cette « noble inquiétude de vivre ».
Né à Prague en 1875, Rainer Maria Rilke est sans doute le poète de langue allemande le plus important de la première moitié du XXe siècle. Au fil d'une vie ponctuée de nombreux voyages, il liera des amitiés avec quelques-uns des créateurs les plus novateurs de son époque : Auguste Rodin, dont il fut le secrétaire, Boris Pasternak, Marina Tsvetaïeva, Tolstoï, Lou Andreas-Salomé. Rilke succombera, en 1926, à une leucémie.
"Ils m'ont rien laissé... pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit", se plaignait Louis-Ferdinand Céline. En 1944, l'écrivain fuit vers l'Allemagne. Des manuscrits disparaissent de son appartement, parmi lesquels plusieurs inédits.
Au début des années 1980, Jean-Pierre Thibaudat entre en possession d'une caisse, un mètre cube de papiers... de la main de Céline. Des documents de toute sorte, dont les mythiques manuscrits. Une condition était posée : ne rien divulguer avant la mort de Lucette Destouches, veuve de Céline.
Au début du mois d'août 2021, leur découverte est rendue publique à la suite d'un imbroglio judiciaire. Le dépositaire accidentel d'archives de l'un des plus grands mythes littéraires du XXe siècle livre ici la véritable histoire de ce trésor retrouvé.
Né en 1947, Jean-Pierre Thibaudat est un journaliste et écrivain français. De 1978 à 2006, à Libération, il est responsable de la rubrique théâtre, puis correspondant à Moscou durant quatre ans et enfin grand reporter. De 2006 à 2016, il est conseiller artistique du festival Passages, à Nancy et Metz. Depuis 2007, il tient le blog "Balagan" d'abord à Rue89 et désormais sur Mediapart. Il a publié de nombreux ouvrages ayant trait au théâtre.
Contraint de quitter Beyrouth-Ouest dans un pays déchiré par la guerre civile, un adolescent s'installe avec sa mère et sa soeur dans un bungalow exigu d'une station balnéaire.
Dans le temps suspendu de la guerre, tout devient irréel. Les Blocs, la plage, les piscines, le béton... Décor obsédant d'un paradis amer, désert l'hiver, grouillant l'été.
Dans ce réel insaisissable, les amitiés, les fugues et les premiers émois restent possibles. Dans la violence d'abord latente puis omniprésente, les jeunes corps s'éprouvent et se construisent.
Guerre et vie ordinaire, lucidité et naïveté adolescentes... "Chant balnéaire" est un collage de sensations qui nous fait vivre l'éveil d'un corps, d'une langue, façonnés par l'exil et la tragédie des déchirements fratricides.
Oliver Rohe est né en 1972 à Beyrouth, d'un père allemand et d'une mère libanaise, et vit en France depuis 1990. Membre fondateur du collectif et des éditions Inculte, il écrit également des pièces radiophoniques et collabore à plusieurs revues. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, essais et fictions. Allia a publié ses deux premiers romans : "Défaut d'origine"(2003) et "Terrain vague" (2005).
Que faisons-nous quand nous voyons ? C'est ce que Bonnard et Giacometti peuvent nous aider à comprendre parce qu'ils ont eux-mêmes cherché à le comprendre.
Quant à P., il est l'auteur du récit de la création sur lequel s'ouvre la Bible. Il a eu l'intuition du pouvoir créateur du langage mais, en le réservant à Dieu, il a commis un impair dont les conséquences se sont étendues jusqu'à nous. En remontant son histoire, nous découvrons quelque chose d'important sur une part de nous-mêmes.
Après avoir été professeur d'études chinoises à Genève, Jean François Billeter a quitté l'Université pour se consacrer à ses propres travaux. Dans ses études sur certains textes remarquables de Tchouang-tseu et sur l'art chinois de l'écriture, il allie la plus grande rigueur sinologique au souci constant de se faire comprendre des lecteurs non sinologues. Il y parvient par la clarté de l'expression et par la richesse des références à l'héritage occidental, ou simplement à l'expérience commune.
De ce pamphlet publié pour la première fois à Londres en 1870, probablement de manière clandestine, on ne sait presque rien. Auteur ? Date ? Le mystère reste entier.
Il nous apprend les formes du despotisme, des plus violentes aux plus insidieuses. Si pour le tyran "la société est une proie", il sait isoler, corrompre voire travestir son joug en liberté. La complicité, la nécessité ou la peur font le reste. Sidéré, on est saisi par ces fulgurances si actuelles :
"Il est plus facile d'organiser le silence que la liberté."
"Chacun sentant qu'il est tenu d'obéir, méprise chez les autres l'humiliation que lui-même il subit."
Avec le sentiment troublant de l'interdit, on se glisse dans ce texte brut qui bouillonne, esquissé furtivement par un esprit libre et révolté.
Le Bateau-usine nous plonge en pleine mer d'Okhotsk, zone de conflit entre la Russie et le Japon. Nous sommes à bord d'un bateau de pêche, où le crabe, produit de luxe, est conditionné en boîtes de conserve. Marins et ouvriers travaillent dans des conditions misérables. Un sentiment de révolte gronde...
Ce récit bouleversant, inspiré de faits réels, provoque un puissant sentiment d'empathie avec ces hommes et leurs aspirations. L'oralité, le style incisif et le "regard caméra" adopté par le narrateur font de cette identification un appel à la révolte en soi.
Phénomène de société au Japon, livre culte en France et traduit dans le monde entier, Le Bateau-usine reste une référence pour tous les révoltés et contestataires. Un phare donc, pour naviguer sur les eaux de notre présent tempétueux.
Kobayashi Takiji est né en 1903. Devant le succès de ses premiers livres, auprès des intellectuels comme des ouvriers et des paysans, il est mis sous surveillance par l'appareil de sécurité de l'État. La publication, en 1929, du Bateau-usine le consacre comme l'un des plus grands romanciers de la classe ouvrière japonaise. Mais, dans un contexte de répression, l'ouvrage est censuré dès sa sortie. Il est soumis à interrogatoire par la police secrète et meurt sous la torture le 20 février 1933.
1975 : Mario Santiago Papasquiaro fonde avec Roberto Bolaño l'infraréalisme. Ils font partie de cette jeunesse mexicaine révoltée, alors aux prises avec la répression politique.
Papasquiaro répond à ce contexte en repoussant les limites, pour ouvrir un passage entre aventure subjective et lutte historique.
Dans ce texte fou, tous les opposés se heurtent : prose et poésie, fragments et continuité, lyrisme et théorie. Il cherche la beauté, l'intensité et vandalise la page à coups de caractères typographiques, pour atteindre les sommets de grands poèmes-fleuves : "Le Bateau-ivre", "La Prose du transsibérien", "Howl"... Frénétiquement total, "Conseils d'1 disciple de Marx à 1 fan d'Heidegger" est à l'image de son auteur flamboyant.
Édition bilingue, précédée d'une préface de Roberto Bolaño.
Mario Santiago Papasquiaro est le pseudonyme de José Alfredo Zendejas Pineda (1953-1998), poète mexicain et cofondateur avec Robert Bolaño du mouvement littéraire infraréaliste. Ses poèmes ont paru dans diverses revues, deux anthologies collectives ainsi que deux recueils : "Beso eterno" (1995) et "Aullido de cisne" (1997).
Papasquiaro inspirera à Roberto Bolaño le personnage d'Ulises Lima, dans son roman culte "Les Détectives sauvages".
La Peste à Naples traite de deux épisodes survenus à quelques années d'écart dans la ville de Naples, alors sous domination espagnole : la révolte de Masaniello en 1647 et l'épidémie de peste de 1656. Deux crises, a priori, que rien ne rattache.
Pourtant, Herling va démontrer comment le pouvoir a su tirer parti de l'épidémie. Un « état [d'exception] pestilentiel » servira ainsi à étouffer les braises de la révolte populaire qui avait failli faire basculer le régime neuf ans plus tôt. L'auteur va même plus loin : les soldats espagnols venus de Sardaigne, porteurs de la peste, auraient sciemment été autorisés à pénétrer dans la ville pour y répandre le fléau.
Documenté, concis et limpide, La Peste à Naples est une exploration aussi dérangeante que nécessaire des pathologies du pouvoir.
Gustaw Herling est né en Pologne en 1919. En 1939, il fonde le PLAN (pour "Action du peuple polonais pour l'indépendance") ; arrêté par la police stalinienne alors qu'il tentait de passer la frontière pour rejoindre l'armée polonaise en France, il est envoyé en camp de travail pendant un an et demi. Après la guerre, il s'installe en Italie, où il collabore activement à la revue Kultura. En 1951 paraît Un monde à part, témoignage majeur sur l'univers concentrationnaire. Il meurt à Naples en 2000.
L'Éloge de l'oisiveté est une pépite dénichée dans l'oeuvre immense et protéiforme de Bertrand Russell. Dans la grande tradition des essayistes anglais (Swift, Stevenson), il manie le paradoxe pour s'attaquer aux fondements mêmes de la civilisation moderne. Derrière l'humour et l'apparente légèreté du propos se cache une réflexion de nature à la fois philosophique et politique qui s'exprime avec une ironie mordante : "Il existe deux sortes de travail : le premier consiste à déplacer une certaine dose de matière à la surface de la terre ; le second à dire à quelqu'un d'autre de le faire."
"Aujourd'hui, chacun est contraint, sous peine d'être condamné par contumace pour lèse-respectabilité, d'exercer une profession lucrative, et d'y faire preuve d'un zèle proche de l'enthousiasme. La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des accents de bravade et de gasconnade. Il ne devrait pourtant pas en être ainsi. Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail." On se persuadera à la lecture de ces textes jubilatoires, où défile une galerie d'excentriques anglais de la plus belle eau, que la paresse et la conversation - au même titre que l'assassinat - méritent de figurer parmi les beaux-arts.
Dans La Nature, sa première oeuvre, Emerson expose avec lyrisme les principes philosophiques qui dirigeront toute son oeuvre : la cohérence intime de l'univers, la plénitude et l'harmonie de l'esprit individuel, la correspondance symbolique entre lois naturelles et lois morales.
C'est sur le plateau d'Arménie qu'Ossip Mandelstam commence à rédiger ces Nouveaux poèmes, qui recouvrent la période vagabonde du poète. L'exil lui redonne courage dans les mots, dont il manie avec dextérité le chant. Ce recueil exprime au mieux son désir d'une langue universelle : le russe est relié sous sa plume à une atmosphère hellénistique mais aussi aux poètes persans qu'il lit en traduction française, aux auteurs allemands et à Dante. D'une grande spontanéité, ces poèmes allient le pouvoir du mot, considéré comme une forme autonome, et sa capacité, marié à d'autres, à égréner des images fortes et lumineuses. Outre des allusions éparses à la vie quotidienne, ils fourmillent de sous-entendus politiques et religieux. Ils sont des miroirs à visage double.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le "réfugié" préfère en général l'appellation de "nouvel arrivant" ou d'"immigré", pour marquer un choix, afficher un optimisme hors pair vis-à-vis de sa nouvelle patrie. Il faut oublier le passé : sa langue, son métier ou, en l'occurrence, l'horreur des camps. Elle-même exilée aux États-Unis au moment où elle écrit ces lignes dans la langue de son pays d'adoption, Hannah Arendt exprime avec clarté la difficulté à évoquer ce passé tout récent, ce qui serait faire preuve d'un pessimisme inapproprié. Pas d'histoires d'enfance ou de fantômes donc, mais le regard rivé sur l'avenir. Mais aux yeux de ces optimistes affichés, la mort paraît bien plus douce que toutes les horreurs qu'ils ont traversées. Comme une garantie de liberté humaine.
Née en 1906, Hannah Arendt fut l'élève de Jaspers et de Heidegger. Lors de la montée au pouvoir des nazis, elle quitte l'Allemagne et se réfugie eux Etats-Unis, où elle enseigne la thoérie politique. À travers ses essais, tels que La Condition de l'homme moderne, Les Origines du totalitarisme, Eichmann à Jérusalemou encore Le Système totalitaire, elle manifeste sa qualité d'analyste lucide de la société contemporaine. Elle meurt en 1975.
Le Mont analogue, l'oeuvre maîtresse de René Daumal, ne sera découverte qu'après sa mort. Dans ce récit, le poète du Grand Jeu embarque le lecteur dans un voyage initiatique vers le Mont Analogue, mystérieux et invisible sommet, objet de tous les fantasmes. Pierre Sogol, curieux monsieur, convainc le narrateur de l'accompagner dans une quête qui les conduira à traverser le Pacifique, avant d'accoster à l'énigmatique Port-des-Singes. Ils entreprendront de gravir le Mont, sans atteindre le sommet : Daumal mourra avant d'avoir terminé son récit.
Mythique, inaccessible, le Mont Analogue demeurera un mystère pour l'auteur et ses lecteurs. Horizon lointain et pénétrant, le Mont, par sa puissance allégorique, fascinera plusieurs générations d'artistes et inspirera à Jodorowski sa Montagne sacrée.
Entre 1922 et 1925, René Daumal (1908-1944) est élève au lycée de Reims, où il fait la connaissance de Roger Gilbert-Lecomte, Robert Meyrat et Roger Vaillant. Il se lance dans l'étude du sanskrit et multiplie les expériences sur l'état de la conscience dans les phases de sommeil. Avec ses camarades, il fonde en 1928 une revue : Le Grand Jeu. Après la publication d'une recueil de poèmes Contre-ciel (1935) puis de La Grande Beuverie (1939), il se lance dans la traduction de textes hindous.
Quelle serait la validité morale de la violence en tant que moyen dès lors que les fins sont justes ? Pour le droit naturel, seule la justesse de la fin compte. Pour le droit positif, tout droit s'établit sur la critique des moyens. Or, il convient de distinguer les différents types de violence indépendamment des circonstances de leur exercice. Pour Benjamin, c'est in finele droit qui s'octroie le privilège de la violence vu qu'il serait menacé si elle venait à s'exercer en dehors de lui. La violence peut être fondatrice de droit ou lui être inhérente, raison pour laquelle le pouvoir y recourt. Le droit positif constitue aux yeux de Benjamin un obstacle à une justice véritable et plaide pour l'usage de moyens d'action "purs", parmi lesquels la grève générale.
Proche de Theodor Adorno, Gershom Scholem et Bertolt Brecht, Walter Benjamin (1892-1940) a d'abord été critique littéraire, avant de publier en 1928 Rue à sens unique (Allia, 2015) et Origine du drame baroque allemand. Il publie également dans des revues Petite Histoire de la photographie (Allia, 2012), préfiguration de L'OEuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (Allia, 2011). Exilé à Paris en 1933, il gagne l'Espagne. Or, menacé d'être remis aux Allemands, il se suicide en 1940.
Célèbre surtout pour son oeuvre romanesque, Robert Musil (1880-1942) est aussi l'auteur de nombreux essais, conférences et aphorismes, qui le montrent attentif aux mutations de la conscience moderne. De la bêtise, qu'il considérait comme l'un de ses textes majeurs, aborde un sujet tabou dans la pensée classique : confrontée à son contraire, la réflexion ne court-elle pas le risque de vaciller sur ses bases ? "Si la bêtise ne ressemblait pas à s'y méprendre au progrès, au talent, à l'espoir ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête."
Voici un ouvrage d'un genre nouveau, dans lequel Walter Benjamin pratique le collage à la manière de ces amoureux des télescopages poétiques que furent Dada et les surréalistes. Rue à sens unique se compose de notes autobiographiques, de souvenirs d'enfance, d'aphorismes, de scènes de la vie urbaine, de considérations acérées sur l'état du monde, et de l'Allemagne en particulier, mais aussi de réflexions sur l'écriture elle-même, sur la graphologie. Benjamin se penche par exemple sur l'entrelacs des manuscrits arabes. Voire va-t-il jusqu'à donner des conseils à l'écrivain : par exemple, ne jamais faire lire une oeuvre non encore achevée ; une musique et quelques voix en fond sonore sont recommandées, de même que l'attachement maniaque à tel type de papier ou à telle plume. Benjamin rend compte par la même occasion de l'éclatement de l'écrit dans la signalétique qui émaille nos villes, désormais parsemées de messages à décrypter. Arrachée du livre imprimé, son asile de prédilection, l'écriture se retrouve désormais dans la rue, à travers la publicité, prise dans le chaos d'une économie devenue toute-puissante. Et l'auteur ne manque pas d'humour en ce sens, reprenant pour titre de ses pensées les recommandations, mises en garde et autres slogans assenés dans nos villes : "Travaux publics", "Défense d'afficher", "Attention aux marches" ou encore "Allemands ! Buvez de la bière allemande". Emprunter cette Rue à sens unique, c'est se laisser entraîner dans une dérive au coeur d'une ville certes de papier mais dont les mots fournissent autant de repères urbains pour qui sait jeter des passerelles. Du reste, entre la ville décrite et le paysage fait de mots que dessine l'écrivain, il n'y a pas loin, quand Benjamin nous propose de découvrir les "principes des pavés ou l'art de faire des livres épais".
L'OEuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique annonce, dès son titre, le tournant opéré par la modernité : Benjamin montre dans cet essai lumineux que l'avènement de la photographie, puis du cinéma, n'est pas l'apparition d'une simple technique nouvelle, mais qu'il bouleverse de fond en comble le statut de l'oeuvre d'art, en lui ôtant ce que Benjamin nomme son "aura". L'auteur met au jour les conséquences immenses de cette révolution, bien au-delà de la sphère artistique, dans tout le champ social et politique. Un texte fondamental, dont les échos ne cessent de se prolonger dans les réflexions contemporaines.
Pour étancher la soif, qui est une soif d'absolu, deux possibilités se présentent : la boisson et la drogue. Les uns boivent par peur de penser, d'autres par crainte de ne pas trouver plus sot que soi. Mais comment en sortir ? Le mystérieux "personnage de derrière les fagots" pourrait bien détenir la clef de l'issue : un « véritable mode d'emploi de la parole ». Des jeux de langage réjouissants se déversent à flots continus dans ce récit inclassable, entre la pataphysique de Jarry et la Divine Comédie de Dante. De page en page, le lecteur va de surprise en surprise, et l'auteur de dénonciation en dénonciation, celle des faux semblants et du bas matérialisme. Du cercle de la soif, le lecteur plonge dans les paradis artificiels, avant de retrouver « la lumière ordinaire du jour ».
Entre 1922 et 1925, René Daumal (1908-1944) est élève au lycée de Reims, où il fait la connaissance de Roger Gilbert-Lecomte, Robert Meyrat et Roger Vaillant. Il se lance dans l'étude du sanskrit et multiplie les expériences sur l'état de la conscience dans les phases de sommeil. Avec ses camarades, il lance en 1928 une revue : Le Grand Jeu. Après la publication d'une recueil de poèmes Contre-ciel (1935) puis de La Grande Beuverie (1939), il se lance dans la traduction de textes hindous.
Une réflexion passionnée et passionnante qui ravira les break dancers, les valseurs du dimanche, les amateurs de tango musette, de cucaracha, de bourrée bretonne, de boogie woogie, les couturiers de la fisel, les noctambules de la zumba ou de la tecktonik, mais aussi ceux qui ne dansent pas, qui n'aiment pas danser, les indécollables de la tapisserie comme les amateurs de philosophie. Se détachant de l'utile, la danse est une action poétique. L'homme a découvert le plaisir pris dans le rythme, dans l'enivrement des sens jusqu'à épuisement. L'oralité du conférencier donne à ce bref texte énergique l'ivresse du mouvement sans fin. Observez le ballet des doigts du pianiste, le mouvement de la toupie, tout est danse. Une poésie de l'arbitraire que Paul Valéry nous fait sentir avec sa sensibilité particulière. On assiste en acte autant à une philosophie de la danse qu'à une danse de la philosophie.
En proie à de multiples doutes quant à son inspiration, confronté à l'angoisse de la maladie dont il vient de connaître les affres, Rainer Maria Rilke se promène sur les rochers du château de Duino, non loin de Trieste, quand il entend soudain une voix. Celle-ci lui dicte ces mots : "Qui donc, si je criais, m'écouterait dans les ordres des anges ?" Il tient là la première sentence des Élégies de Duino, recueil dont la rédaction s'échelonne de 1912 à 1922. Ces dix années résument à elles seules les interrogations fondamentales du poète et y répondent. Dans ces poèmes, vie et mort ne s'opposent plus. Elles constituent des forces qui forment une "grande unité", un éternel devenir. Une inspiration entièrement renouvelée guide cette prose poétique, expression d'une vie intérieure intense dont elle suit le rythme. Comment vivre avec la menace de la mort ? Comment accepter les limites de l'homme, qui n'est ni animal ni Ange ? L'amour peut lui offrir ce soupçon d'éternité, permettre un dépassement. En acceptant de se plier à sa condition terrestre, l'homme peut résolument accepter la mort. Avec la figure tutélaire de l'Ange, intercesseur entre le monde visible et l'Invisible, la mort devient une condition de l'éternité.
Edmond Teste mène une vie sans relief. La quarantaine, dénué d'opinions ou d'émotion, il hait la mélancolie et les choses extraordinaires, le compliment constitue pour lui une injure. Mécanique plaquée sur du vivant, il incarne l'esprit détaché des contingences. Ascète, "teste" où siège seule la pensée, il se défend cependant à toute force d'être supérieur. Monsieur Teste représente la figure du créateur sans oeuvre, de l'intellectuel sans livre, de l'artiste sans gloire.OEuvre de jeunesse, puisque Valéry n'a que 25 ans quand il l'écrit, ce texte n'en garde pas moins un caractère définitif."Pourquoi M. Teste est-il impossible ?- C'est son âme que cette question. Elle vous change en M. Teste", prévient-il.Une mise en garde, en somme, face à ce que peut l'intelligence.
Génie fulgurant, écorché vif et mort prématurément : tout est réuni pour faire de Georg Trakl, poète expressionniste majeur, une figure aussi mythique que brûlante. Les dettes de Trakl vont d'abord à Rimbaud et à Hlderlin, pour leur poésie hantée et flamboyante. Sa poésie est habitée de visions désespérées, obsédée par le sentiment de la faute et de la déchéance. Mais la fulgurance de ses mots traverse sans encombres les ténèbres qui habitent le poète pour nous parvenir dans toute son évidence poétique.
En 1978, Philippe Jaccottet fit paraître en 1978 un recueil des poèmes de Trakl traduits par Gustave Roud. La présente édition y ajoute des traductions inédites ainsi que des extraits de lettres de Rainer Maria Rilke, fervent défenseur de Trakl.
Georg Trakl est né en 1887 à Salzbourg. Mobilisé en août 1914, il part en Galicie dans une colonne sanitaire. Marqué par la consommation de drogue et une relation incestueuse avec sa soeur Margarete, il sera également profondément atteint par l'horreur de son expérience sur le front. Il fait une tentative de suicide qui l'envoie à l'hôpital à Cracovie en observation psychiatrique. Il se suicide probablement dans sa cellule le 3 novembre 1914 d'un empoisonnement par cocaïne, à l'âge de 27 ans.
La tradition nous a légué treize lettres de Platon. La Lettre VII, l'une des seule à être jugée authentique, occupe l'essentiel de sa correspondance. C'est l'un des rares textes où le philosophe s'exprime à la première personne, et évoque sa doctrine philosophique, largement transmise à l'oral.
Cette lettre, adressée aux proches de son disciple et ami Dion de Syracuse, mort assassiné, est le texte d'un homme âgé, qui laisse place à la colère et à la confusion. Entre récit, justification et blâme, le philosophe revient sur ses ambitions et ses échecs, en particulier dans sa mission de conseiller du roi. Tour à tour penseur, coach et gourou, Platon délivre ici une philosophie du quotidien, loin de la pensée rationnelle à laquelle on associe le platonisme.
Né au sein de l'aristocratie athénienne aux alentours de 428/427 avant J.-C., et mort vers 348/347, Platon fut l'élève et le disciple de Socrate. Il fonde à Athènes sa propre école de philosophie, l'Académie, et ses ouvrages écrits (les dialogues, La République, Les Lois, Le Politique) comptent parmi les textes fondateurs de la pensée philosophique occidentale.