L'OEuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique annonce, dès son titre, le tournant opéré par la modernité : Benjamin montre dans cet essai lumineux que l'avènement de la photographie, puis du cinéma, n'est pas l'apparition d'une simple technique nouvelle, mais qu'il bouleverse de fond en comble le statut de l'oeuvre d'art, en lui ôtant ce que Benjamin nomme son "aura". L'auteur met au jour les conséquences immenses de cette révolution, bien au-delà de la sphère artistique, dans tout le champ social et politique. Un texte fondamental, dont les échos ne cessent de se prolonger dans les réflexions contemporaines.
John Cage rencontre Marcel Duchamp en 1941. Trente après, il confie les souvenirs qu'il conserve de cet homme aussi simple qu'énigmatique. Et d'abord il salue en lui la beauté de son indifférence. En 1913, Duchamp a composé un Erratum musical de manière aléatoire. Raison pour laquelle John Cage le hisse en précurseur de ses propres recherches. Il rapporte aussi quelques anecdotes, et notamment la rare fois où Duchamp a perdu son sang-froid, lui d'ordinaire si magnanime : une mémorable partie d'échecs, que Cage aurait dû gagner mais qu'il a perdue, mettant Duchamp dans une colère noire. Le compositeur rend aussi compte avec sa simplicité coutumière des grandes problématiques soulevées par Marcel Duchamp, et notamment le rapport entre l'oeuvre et le spectateur, préoccupation partagée entre les deux hommes. Les deux oeuvres s'offrent d'ailleurs l'une l'autre dans un miroir inversé : Cage explique avec une grande clarté avoir voulu développer la dimension physique de l'écoute quand Duchamp voulait réduire cette dimension dans la peinture. Pédagogique, drôle, émouvant, un témoignage inédit en français sur celui qui "prenait le fait de s'amuser très au sérieux".
Dans cette conférence donnée à New York en 1948, John Cage jette un regard lucide sur les débuts de sa carrière ponctués d'anecdotes édifiantes. C'est avec la plus totale sincérité que John Cage décrit ici le cheminement qui l'a conduit à devenir compositeur. Il a d'abord commencé par des études d'architecture. À ce sujet, il raconte, non sans humour, un voyage en France, pays qui lui sembla totalement recouvert d'architecture gothique ! Mais très vite, il se tourne vers la peinture et la composition. Il détaille ses influences, ses préoccupations et ses envies. L'éventail de ses références est à cet égard vertigineux : les mouvements de la danse moderne, le jazz, les futuristes italiens ou encore les rites des Indiens Navajo. Sans crier gare, il livre là, de manière extrêmement limpide, une théorie de la musique avant tout tirée de son expérience. On y apprend notamment que sa musique était diffusée à la radio durant la guerre pour démontrer que l'Amérique aimait l'Orient... John Cage se révèle ici, outre un "maître du hasard" à la manière de Duchamp, un immense pédagogue.
Nul doute pour John Cage, il serait un artiste. Mais, de là à choisir une seule et unique forme d'expression artistique, il y a toute une vie : architecture, peinture, composition de musique, théâtre, art du cirque, Cage touche à tout, laisse de côté, puis revient, et décide finalement que c'est la musique qui l'anime. Cette musique, cependant, il l'expérimente : Cage repousse les règles académiques et base ses oeuvres sur le silence et le hasard. Par ces fragments de 1989, d'une écriture fluide et ramassée, le compositeur dresse un tableau à la fois succinct et complet des moments forts et charnières de sa vie pourtant extrêmement riche, tout en va-et-vient, recherches et changements d'avis. Le tout, sans jamais se défaire de son humour et de son esprit de dérision inimitables.
Compositeur de musique contemporaine expérimentale de génie, sans doute le plus stimulant du XXe siècle, mais aussi poète et plasticien, John Cage (1912-1992) est l'nventeur du piano préparé. Celui-ci consiste à placer divers objets entre les cordes de l'instrument afin d'en modifier le timbre, Il est aussi l'initiateur de la musique électronique. L'une de ses oeuvres les plus célèbres est sans doute 4'33'', un morceau joué en silence.
Le terme de "monument" est ici à comprendre dans son sens élargi, soit toute oeuvre humaine qui nous vient du passé, édifice, peinture, sculpture ou parchemin. L'auteur distingue notamment sa valeur historique proprement dite de sa valeur artistique. Surtout, il est le premier à différencier sa valeur historique, voire documentaire, et sa durée, qu'il associe à notre faculté de remémoration, c'est-à-dire l'écho qu'il fait résonner en nous, au présent, par sa patine, les traces du vieillissement ou encore l'étrangeté d'un mot ou d'une tournure de phrase. Il s'agit, en un mot, de la valeur accordée au passage du temps. Ainsi maints objets deviennent des "monuments" en raison de notre goût actuel, sans qu'ils aient été initialement imaginés, à l'époque de leur conception, comme tels.
Historien de l'art autrichien, Aloïs Riegl (1858-1905) a dirigé le département des textiles du Musée des arts industrielsSon oeuvre fondamentale, Questions de style, est centrée sur la question de l'ornement. Il a contribué à ouvrir le champ de l'histoire de l'art à des périodes, des supports ou des genres alors jugés "mineurs". Il pose le concept de Kunstvollen, de "vouloir d'art" et avance l'idée que l'oeuvre d'art est comprise comme une forme de pensée et l'expression d'une conception du monde.
De 1899 jusqu'à sa mort, Karl Kraus (1874-1936) fut le fondateur, et parfois l'unique rédacteur, de Die Fackel (Le flambeau), revue lue par les plus grands (Musil, Wittgenstein ou encore Adorno). Les milieux intellectuels et les journalistes redoutent cette plume acerbe, admirée par Thomas Bernhard et à laquelle Walter Benjamin rend hommage dans cet essai lumineux. Kraus fut un fin limier du langage et a su faire apparaître « le journalisme comme l'expression parfaite du changement de fonction du langage dans le capitalisme avancé ». Mais Benjamin ne fait pas que commenter des idées, il dresse le portrait sans concession d'un dramaturge qui fut aussi son propre personnage : « "Shakespeare a tout prévu" ; en effet ! Il a surtout prévu Kraus lui-même. »
Walter Benjamin (1892-1940) a compté parmi ses interlocuteurs Theodor Adorno, Gershom Scholem et Bertolt Brecht. Il est l'auteur d'Origine du drame baroque allemand, Paris, capitale du XIXe siècle, Petite Histoire de la photographie préfiguration de L'OEuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique. Il s'exile à Paris en 1933. Lors de l'invasion allemande, il gagne l'Espagne pour s'embarquer pour les USA. Menacé d'être remis aux Allemands, il se suicide en 1940.
À 32 ans, Glenn Gould décide de ne plus se produire en public en faveur des enregistrements en studio. Ce revirement dans sa carrière restait à ce jour une énigme. Il s'en explique ici, dans un texte étonnant. Pourtant, il affranchit d'emblée : il ne souhaite pas parler de musique. De quoi, selon lui, favoriser les révélations. Et en effet. Mais la forme même du texte est plus évocatrice encore ; dans ce dialogue avec lui-même, l'auteur met en scène un subtil jeu de thèses-antithèses. L'attraction magnétique que le musicien exerce sur son public ravit ici, au sens propre et figuré, le lecteur.
Enfant prodige, pianiste de génie, Glenn Gould (1932-1982) est un des rares interprètes qui aient touché le grand public grâce à l'usage de l'audiovisuel. Avec l'enregistrement des Variations Goldberg de Bach en 1955, il devient mondialement célèbre.
L'art abstrait n'est pas né de l'art. Mais d'un contexte. Il émerge au moment où les conditions matérielles et psychologiques de la culture moderne connaissent une profonde mutation. Pour Schapiro, l'art abstrait n'est pas une révolte contre les mouvements artistiques précédents, mais une réaction, entre autres, aux transformations technologiques, qui métamorphosent notre rapport à la représentation. Puisant ses exemples dans différents mouvements artistiques, de l'impressionnisme aux avant-gardes historiques, Schapiro met au jour des aspirations humaines fondamentales, intimement liées à l'histoire. Cependant il montre également, par la voix des artistes, l'intimité de ce contexte avec l'intériorité. L'oeuvre de Kandinsky est certes une lutte contre le matérialisme de la société moderne, mais provient aussi de cette "nécessité intérieure" par laquelle l'artiste, présenté comme le premier peintre abstrait, rejoint la quête expressionniste. Schapiro prend ici le contre-pied des penseurs de son époque, promoteurs du critère de la nouveauté purement artistique et du dualisme manichéen abstraction/figuration. L'art abstrait est au contraire une matière généreuse envers les autres disciplines et a permis de reconsidérer les autres arts, primitifs, les dessins d'enfants ou ceux des aliénés.
Mine de propositions subversives, ce manifeste dans le plus beau style des avant-gardes fait de son titre l'étendard d'un projet d'envergure : la destruction en règle des mass media au moyen de leurs possibilités mêmes. Entre répandre de fausses nouvelles à l'aide d'enregistrements diffusés aux heures de pointe, procéder par contagion sonore - les bruits d'une émeute peuvent la stimuler dans la réalité - ou encore introduire dans le discours d'un politicien bredouillements et autres incongruités, Burroughs applique la technique du cut-up au monde sonore, arme à même de contrer cette autre arme de destruction massive, la médiatisation à outrance, moyen féroce de manipulation des consciences. Brouillons les pistes, aux sens propre et figuré. C'est piquant, stimulant et hautement explosif !
Lawrence dénonce dans cet écrit sur l'art la maladie charnelle dont, selon lui, la Beauté est atteinte. Les arts y jetteraient un voile pudique en refusant de représenter le corps, surtout dans sa dimension sexuelle, et se spiritualiseraient en choisissant le paysage pour objet. L'art serait devenu ennuyeux, dénué de passion et de sensualité. Lawrence oppose ici les maîtres anglais, de Constable à Turner, aux Impressionnistes français qui, s'ils n'échappent pas au cliché, ont inventé la lumière, et entretiennent un rapport au corps, hygiénique certes, mais jouisseur. Seul Cézanne avec ses pommes échappe aux limites imposées par l'esprit et à célébrer la matière. Avec verve, ironie et cynisme, D.H. Lawrence plaide ici en faveur d'un art libéré de toute entrave.
Samson Raphaelson et Ernst Lubitsch ont travaillé en étroite collaboration sur de nombreux films. Les deux hommes s'appréciaient et se respectaient, pourtant, une pudeur réciproque empêcha longtemps que leurs relations prennent un tour plus intime. Lorsque Lubitsch fut victime d'une attaque, on chargea Raphaelson de rédiger sa notice nécrologique. C'est dans ce texte que, pour la première fois, il dévoile tous les sentiments que jamais il n'avait osé exprimer directement au cinéaste. Mais Lubitsch survécut à son attaque et prit connaissance du texte, allant même jusqu'à le retoucher avec son auteur. À la fin de sa vie, Raphaelson a publié dans le New Yorker, l'histoire de cette émouvante amitié. Il livre un portait extrêmement fin et sensible du cinéaste autrichien installé à Hollywood, analyse sa façon de travailler et lève le voile sur le secret de la fameuse "Lubitsch touch".
Le 3 juin 1959, Yves Klein donne une conférence à la Sorbonne : "L'évolution de l'art vers l'immatériel". Porte d'entrée idéale vers son oeuvre et sa biographie, ce texte révèle les motifs constitutifs de son oeuvre: le rituel, la couleur, le vide, le judo, le ciel et le feu... Au-delà de la provocation et la performance, il élabore une théorie autant poétique que spirituelle d'un art sans limites, à l'instar du travail d'un John Cage sur le silence.
Nombre des pistes esquissées ici aboutiront dans les années suivantes. Yves Klein élaborera par exemple une Architecture de l'air, ou encore délivrera des reçus aux acquéreurs d'oeuvres immatérielles. Avant de mourir, il confie à un ami : "Je vais entrer dans le plus grand atelier du monde. Et je n'y ferai que des oeuvres immatérielles."
Yves Klein (1928-1962) est un artiste français. En 1957, il met au point le "bleu Klein", signature de ses monochromes. En 1958, il expérimente sa technique emblématique du "pinceau vivant" : une femme au corps enduit de peinture qu'elle applique sur la toile. Dès lors, Klein s'évertue à s'affranchir de la ligne et du dessin. Il a une première crise cardiaque en 1962, après avoir assisté à la projection de Mondo Cane, dans lequel son travail est tourné en dérision. Il meurt le 6 juin 1962.
Plongés dans l'atelier d'un tailleur, on assiste ici à la dissection de tous les revers et autres boutonnières, comme il nous faut en découdre, pour notre plus grand plaisir, avec les plis tombants des redingotes. Doté d'un oeil aussi acéré qu'expert, Darwin fils révise ici les tenues, de la tête aux pieds. Déceler dans les formes actuelles du vêtement la survivance d'usages fort anciens, telle est la tâche qu'il se donne. Il applique pour cela la théorie de l'évolution à l'habillement, prompt à révéler la progression des besoins et des moeurs. Raison pour laquelle il choisit de s'intéresser au vêtement masculin - plus changeant à l'époque -, depuis le chapeau jusqu'aux bottes, en passant bien entendu par l'habit, qu'il détaille dans toutes ses parties. La veste sera différente si, au lieu de monter à cheval, l'on emprunte la voie ferrée. Mais elle conservera des traces de cette nécessité d'aisance, jusque dans nos manteaux actuels, fendus à l'arrière. La manière même de retrousser les bords de son chapeau répond à différentes exigences jusqu'à l'habitude encore bien vivace de cirer ses bottes. Quant aux rubans qui enserrent la plupart de nos feutres, ils trouveraient leur source dans le cordon qui tenait la matière molle des couvre-chefs d'autrefois. Autant d'éléments de décor qui portent la marque du passé et retracent en eux-mêmes une évolution du vêtement. Mais la mode prend aussi sa source dans l'amour de la nouveauté et dans le désir de marquer par le détail sa position sociale.
Daté de 1913, L'Art des bruits, sous-titré "Manifeste futuriste", impressionne par son anticipation des nouvelles formes de musique qui règnent aujourd'hui : partant du principe que les sons purs ont fait leur temps, il affirme que la musique nouvelle devra régler harmoniquement et rythmiquement des bruits très variés.