On s'obstine à porter aux nues les auteurs de chefs-d'oeuvre, sans prendre la mesure des dégâts qu'ils provoquent. Ils relèguent en effet d'autres créateurs dans l'obscurité, imposent des canons arbitraires à notre sensibilité et déforment notre regard sur le passé. Ce livre propose d'étudier les mondes alternatifs où ils n'existent pas et de mettre ainsi en valeur toutes les oeuvres dont ils nous ont injustement privés.
Même s'ils n'ont pas lu le chef-d'oeuvre d'Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, de nombreux lecteurs, surtout parmi les amateurs de romans policiers, connaissent le procédé qui l'a rendu célèbre et croient pouvoir affirmer : l'assassin est le narrateur.
Mais est-ce si sûr ? Comment se fier à un texte où les contradictions abondent et qui s'organise autour d'un récit unique, celui du prétendu criminel ? Et qui peut dire qu'Hercule Poirot, dans son euphorie interprétative, ne s'est pas lourdement trompé, laissant le coupable impuni ?
Roman policier sur un roman policier, cet essai, tout en reprenant minutieusement l'enquête et en démasquant le véritable assassin, s'inspire de l'oeuvre d'Agatha Christie pour réfléchir sur ce qui constitue la limite et le risque de toute lecture : le délire d'interprétation.
« Le plus excitant roman policier d'énigme de l'année et un essai subtil sur la narration et la lecture, sur leurs limites, leurs périls, leurs délires, au premier rang desquels le délire d'interprétation. » (Josyane Savigneau, Le Monde)
De quoi procèdent nos gestes de soulèvement ? D'une certaine puissance à en finir avec quelque chose. Mais, aussi, à imaginer que quelque chose d'autre est en train de recommencer. Ce livre propose les éléments d'une anthropologie de l'imagination politique dont on s'apercevra, très vite, qu'elle ne va pas sans une philosophie du temps et de l'histoire.
À la structure tous azimuts du premier volume de cette enquête répond ici un propos concentré sur le moment politique, intellectuel et artistique lié au soulèvement spartakiste de 1918-1919 en Allemagne. Que se passe-t-il lorsqu'une révolution, ayant chez beaucoup fait lever l'espoir, se trouve écrasée dans le sang ? Que reste-t-il de cet espoir ? On découvre qu'à partir du Malgré tout ! lancé par Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg à la veille de leur assassinat, c'est toute la pensée moderne du temps et de l'histoire qui se sera trouvée remise en chantier, « recommencée » : notamment par Ernst Bloch et Walter Benjamin, les deux personnages principaux de ce livre (qui s'opposèrent à la pensée du temps mise en place, à la même époque, par Martin Heidegger).
C'est toute une constellation qui gravite ici autour de Bloch et de Benjamin. Elle compte des penseurs tels que Hannah Arendt ou Theodor Adorno, Martin Buber ou Gershom Scholem ; mais aussi des écrivains tels que Franz Kafka ou Kurt Tucholsky ; des dramaturges tels que Bertolt Brecht ou Erwin Piscator ; des artistes visuels tels que George Grosz ou John Heartfield, Käthe Kollwitz ou Willy Rmer.
La leçon que nous proposent ces survivants d'une « révolution trahie » est considérable. Elle innerve toute la pensée contemporaine à travers le prisme de l'imagination politique. Elle nous incite à repenser l'utopie à l'aune d'un certain rapport entre désir et mémoire : ce que Bloch nommait des images-désirs et Benjamin des images dialectiques. Elle nous aide, ce faisant, à ouvrir la porte et à faire le pas.
Les personnages littéraires ne sont pas, comme on le croit trop souvent, des êtres de papier, mais des créatures vivantes, qui mènent une existence autonome à l'intérieur des textes et vont jusqu'à commettre des meurtres à l'insu de l'auteur.
Faute de l'avoir compris, Conan Doyle a laissé Sherlock Holmes se tromper dans sa plus célèbre enquête, Le Chien des Baskerville, et accuser à tort un malheureux animal, permettant au véritable assassin d'échapper à la justice. Ce livre rétablit la vérité.
Ces textes ne constituent en rien une théorie du roman ; ils tentent seulement de dégager quelques lignes d'évolution qui me paraissent capitales dans la littérature contemporaine. Si j'emploie volontiers, dans bien des pages, le terme de Nouveau Roman, ce n'est pas pour désigner une école, ni même un groupe défini et constitué d'écrivains qui travailleraient dans le même sens ; il n'y a là qu'une appellation commode englobant tous ceux qui cherchent de nouvelles formes romanesques, capables d'exprimer (ou de créer) de nouvelles relations entre l'homme et le monde, tous ceux qui sont décidés à inventer le roman, c'est-à-dire à inventer l'homme. Ils savent, ceux-là, que la répétition systématique des formes du passé est non seulement absurde et vaine, mais qu'elle peut même devenir nuisible : en nous fermant les yeux sur notre situation réelle dans le monde présent, elle nous empêche en fin de compte de construire le monde et l'homme de demain. (A. R.-G.)
Pour un nouveau roman a été publié en 1963. Ce recueil de textes, à visée polémique, reprend et combine plusieurs articles d'Alain Robbe-Grillet parus entre 1953 et 1963.
Lorsqu'en 1968 parut la première édition d'Asphyxiante culture, Jean Dubuffet ne prenait pas en marche le train de la mode. Ses positions étaient anciennes, exprimées dès 1946 dans son Prospectus aux amateurs de tous genres.
Aujourd'hui encore la culture institutionnalisée, publicitaire, continue de régner dans l'attente de cette autre, souhaitée par Jean Dubuffet, qui désignerait « l'actif développement de la pensée individuelle ».
Asphyxiante culture est reparu aux Éditions de Minuit en 1986.
Paris, juin 1930, Samuel Beckett a vingt-quatre ans. Il finit sa seconde année en tant que lecteur d'anglais à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm. Avec Whoroscope il vient de remporter un concours - lancé par Richard Adlington et Nancy Cunard qui dirigent les éditions Hours Press à Paris -, pour le meilleur poème de moins de cent vers ayant pour sujet le temps. Adlington et Cunard apprennent alors qu'à Londres les éditions Chatto & Windus envisagent de publier une monographie sur Marcel Proust. Ils proposent cette commande à Samuel Beckett qui accepte.
Samuel Beckett reproche aux critiques littéraires de pratiquer volontiers « des hystérectomies à la truelle » et pour son Proust ce n'est certes pas oeuvre de critique littéraire qu'il entend faire. Il ne se livre pas non plus à une analyse académique en bonne et due forme : c'est là un genre qu'il ne goûte guère, il est à mille lieues de tout formalisme et de toutes conventions universitaires. C'est en écrivain accompli que Samuel Beckett s'exprime et s'affirme déjà ici.
Cet ouvrage nous ouvre des perspectives nouvelles aussi bien sur l'oeuvre de Marcel Proust que sur celle, alors encore à venir, de Samuel Beckett lui-même. C'est un acte de compréhension où se révèlent tout à la fois l'oeuvre comprise et celui qui la comprend.
Publié en français en 1990, traduit de l'anglais et présenté par Edith Fournier.
Choses vues, non, pas même vues jusqu'au bout. Choses simplement entrevues, aperçues. Êtres qui passent, souvent au féminin pluriel, comme la Béatrice de Dante, Laura de Pétrarque, la « nymphe » d'Aby Warburg, la Gradiva de Jensen et de Freud ou la « passante » anonyme des rues parisiennes selon Charles Baudelaire. Créatures ou simples formes qui surgissent ou qui tombent. Instants de surprise, ou d'admiration, ou de désir, ou de volupté, ou d'inquiétude, ou de rire. Impressions enfantines, deuils. Colères aussi. Réflexions esquissées. Instants critiques. Ou descriptions, tout simplement.
Phraser le passage des aperçues ? Comme un recueil de circonstances, de visions en bribes, d'émotions inattendues, de pensées qui s'inventent devant des choses ou des êtres apparaissants, apparus et, très vite, disparaissants, disparus. Une phénoménologie, une poétique, une érotique du regard s'esquissent. Tout cela devenu, sans crier gare, un journal sans continuité, un ensemble de récits sans personnages bien définis, un autoportrait sans visage unique.
Remonter ce journal en désordre. Découvrir, alors, qu'il était fait d'occasions (où les temps passent vite), de blessures (où les temps frappent fort), de survivances (où les temps reviennent toujours) et de désirs (où les temps adviennent pour un futur entraperçu).
Force de Kafka. Politique de Kafka. Déjà les lettres d'amour sont une politique où Kafka se vit lui-même comme un vampire. Les nouvelles ou les récits tracent des devenirs-animaux qui sont autant de lignes de fuite actives. Les romans, illimités plutôt qu'inachevés, opèrent un démontage des grandes machines sociales présentes et à venir. Au moment même où il les brandit, et s'en sert comme d'un paravent, Kafka ne croit guère à la loi, à la culpabilité, à l'angoisse, à l'intériorité. Ni aux symboles, aux métaphores ou aux allégories. Il ne croit qu'à des architectures et à des agencements dessinés par toutes les formes de désir. Ses lignes de fuite ne sont jamais un refuge, une sortie hors du monde. C'est au contraire un moyen de détecter ce qui se prépare, et de devancer les « puissances diaboliques » du proche avenir. Kafka aime à se définir linguistiquement, politiquement, collectivement, dans les termes d'une littérature dite « mineure ». Mais la littérature mineure est l'élément de toute révolution dans les grandes littératures. Kafka est paru en 1975.
« ... il crée de toutes pièces, à contre-courant du monde et de sa cruauté, une situation dans laquelle un enfant existe, fût-il déjà mort. Pour que nous-mêmes sortions du noir de cette atroce histoire, de ce "trou noir" de l'histoire. »
Les étoiles se lèvent-elles à l'ouest ? Et un poème peut-il faire polémique dans les journaux plusieurs semaines durant ? Que doit aux éléphants la rondeur de la Terre ? Et à Dürer La Guerre des étoiles ? Lequel des deux est le plus sémiologue, Tintin ou Milou ? Une boucle de cheveux et une bulle de savon méritent-elles de monter au ciel ? Et quels vers inédits de Shakespeare dans Hamlet auraient suffi à modifier l'oeuvre de Proust ?
À tant de questions fondamentales comme à bien d'autres ce livre apporte des réponses précises et argumentées, ainsi qu'à celle-ci, qui les résume toutes : que peut une image ? À partir de deux mots pris dans l'un des poèmes les plus célèbres de la langue française, l'ouvrage raconte la découverte du monde, de la terre et du ciel par le langage et la littérature.
Car ce livre traite des étoiles et de la poésie. Il parle du plus loin de nous, le firmament, et de ce qui nous touche au plus près, les mots du poète, des mots qui parfois nous découvrent le ciel. C'est un livre sur tout et sur l'inaccessible, sur l'altérité et les relations Nord-Sud, sur l'esthétique, la science et le pouvoir, sur la mémoire et les possibles de l'histoire. À partir de deux mots seulement, il dévoile les métamorphoses de la poésie en même temps que celles de notre connaissance du monde.
Si tout grand créateur est une énigme, aucun ne l'est autant que le célèbre écrivain russe Léon-Fiodor Tolstoïevski.
Qui mieux que cette personnalité multiple, auteur de romans aussi différents qu'Anna Karénine et Crime et châtiment, ou Les Frères Karamazov et Guerre et paix, peut nous aider, en nous entraînant dans les profondeurs de l'âme slave, à résoudre la question principale de toute réflexion sur le psychisme : pourquoi suis-je plusieurs ?
L'étude des différentes manières de ne pas voyager, des situations délicates où l'on se retrouve quand il faut parler de lieux où l'on n'a pas été et des moyens à mettre en oeuvre pour se sortir d'affaire montre que, contrairement aux idées reçues, il est tout à fait possible d'avoir un échange passionnant à propos d'un endroit où l'on n'a jamais mis les pieds, y compris, et peut-être surtout, avec quelqu'un qui est également resté chez lui.
Ce livre s'inscrit dans un cycle qui comprend également Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?, traduit en plus de vingt-cinq langues.
Le cadre, cet accessoire excentrique, qui n'est ni dehors ni dedans, et qui échappe à toutes nos catégories, vient paradoxalement au centre de l'attention philosophique en raison même de son indétermination. D'autant que, au-delà de la toile peinte, il se reconduit comme le principe régulateur de l'espace urbain, des artefacts, de l'organisation sociale et de l'ordre symbolique en général.
Les auteurs d'Art Brut, qui, par définition, ne sont pas assujettis à nos conventions culturelles, en font un usage insolite et déconstructeur, qu'il serait par trop expéditif de verser dans le registre de la pathologie. Car, justement, de telles irrégularités nous amènent à envisager le cadre sous une incidence d'étrangeté. Peut-être son office de protection physique et de suspension murale n'est-il qu'un alibi utilitaire au formatage idéologique dont il détermine les axes.
S'il est vrai que le pathologique éclaire le normal, on franchit en l'occurrence un seuil de réversion : c'est le cadre lui-même, dans son principe et son usage culturel, qui est susceptible d'une pathologie, sous l'éclairage de l'Art Brut.
Cet ouvrage accompagne l'exposition L'Art Brut s'encadre, présentée du 11 décembre 2020 au 25 avril 2021 à la Collection de l'Art Brut à Lausanne.
Les textes rassemblés dans ce volume ne sont pas des interviews à vocation ponctuelle de communication dans l'instant, mais des conversations de Heiner Müller avec des collègues et amis, hommes de théâtre et universitaires de RFA et de RDA. Ces conversations éclairent sa démarche de pensée et accompagnent la publication de ses pièces, de l'année 1975, période à laquelle débute sa reconnaissance internationale aux États-Unis, en RFA et en France, jusqu'à sa mort en 1995.
Deux événements ponctuent ce recueil. Le premier est d'ordre biographique. Il s'agit d'un séjour que Heiner Müller, écrivain d'Allemagne de l'Est qui avait été exclu de l'Union des Écrivains en 1961 et qui était à la fois reconnu et marginalisé dans son pays, fit « miraculeusement » aux États-Unis en 1975-76. Le second concerne l'histoire européenne. Il s'agit de la chute du mur de Berlin en 1989, suivie de la réunification allemande en 1990. Ces deux événements, de nature différente, sont reliés par un autre, à certains égards prémonitoire, auquel Heiner Müller fut confronté à son retour des États-Unis : la déchéance de citoyenneté est-allemande du chanteur et auteur de cabaret Wolf Biermann, qui fut le premier symptôme de la crise qui allait s'amplifier dans la RDA des années 1980.
Ce recueil de conversations a vocation à montrer comment l'oeuvre de Heiner Müller, dans la seconde moitié du XXe siècle, est le pendant de l'oeuvre de Brecht dans la première moitié de ce même siècle et, à certains égards, la déconstruit.
On ne cesse d'évoquer l'influence des écrivains et des artistes sur leurs successeurs, sans jamais envisager que l'inverse soit possible et que Sophocle ait plagié Freud, Voltaire Conan Doyle, ou Fra Angelico Jackson Pollock.
S'il est imaginable de s'inspirer de créateurs qui ne sont pas encore nés, il convient alors de réécrire l'histoire de la littérature et de l'art, afin de mettre en évidence les véritables filiations et de rendre à chacun son dû.
Au cours du second semestre 1976, Jean Dubuffet eut de nombreuses conversations sur son travail avec Marcel Péju, lequel en établit ensuite une transcription. Mais Jean Dubuffet s'opposa à sa publication : dans son esprit, il s'agissait seulement d'une ébauche en vue de la préparation d'entretiens plus élaborés.
Cependant, il autorisa en 1980 Jacques Berne à mettre ces textes au net et, quelques mois plus tard, il s'en inspira pour rédiger lui-même une série d'entretiens fictifs. Ce sont ces pages, regroupées à l'origine sous le titre Questionnaire à bâtons rompus qui constituent les cent quatre premiers numéros du présent volume.
À la mort de Jean Dubuffet, en mai 1985, on trouva le manuscrit sur sa table, pourvu du titre, abrégé, de Bâtons rompus et augmenté, selon sa propre expression, d'un « train de rallonge », rédigé en mai 1983 et en avril 1984.
Fondation Jean Dubuffet
Cet ouvrage est paru en 1986.
Ils l'ont attaquée, conspuée, condamnée, sous tous les prétextes, sous tous les régimes, avec les meilleures ou les pires intentions, pour de mauvaises raisons et parfois même pour de bonnes. Ils ont exilé les poètes, brûlé leurs livres - ou en ont simplement formulé le souhait. Voilà 2500 ans que la littérature est sujette à toutes les critiques et toutes les accusations de la part de philosophes et de théologiens, de prêtres et de pédagogues, de scientifiques et de sociologues, de rois, d'empereurs et même de présidents.
De Platon à Nicolas Sarkozy, ce livre fournit toutes les pièces de ce procès ahurissant, fait le portrait d'une incroyable galerie de grotesques et de ridicules, et retrace à sa manière une autre histoire de la littérature occidentale depuis les origines, pleine de bruit et de fureur, de bêtise, d'hypocrisie et d'ignorance, avec ses querelles et ses combats, ses défaites et ses triomphes, ses stratèges, ses traîtres et ses héros.
Avec la haine de la littérature se révèle la face cachée de l'histoire de la littérature - celle qui lui donne peut-être son sens véritable.
Les quatre conférences réunies dans ce livre, prononcées entre 1980 et 1993, sont ainsi des réécritures ultimes et marquent le point le plus abouti de considérations toujours très réfléchies à partir de quatre objets : La Recherche du temps perdu, la mémoire, la poétique et l'écriture. Entre elles, de nombreux échos ou des références récurrentes font choeur, assez pour faire entendre que leur auteur ne séparait pas des préoccupations que l'exercice de la conférence oblige à dissocier. (P. L.)
Il est regrettable que les critiques ne recourent pas plus souvent aux changements d'auteur, qui permettent de découvrir les oeuvres sous un angle inhabituel. Attribuée à un nouvel auteur, l'oeuvre demeure certes matériellement identique à elle-même, mais elle en devient dans le même temps différente et prend des résonances inattendues qui enrichissent sa perception et stimulent la rêverie.
On imagine les effets positifs que pourrait avoir l'extension de cette pratique dans l'enseignement où, déjà familière aux élèves, elle permettrait de revisiter à moindre frais les grands classiques. Et dans la recherche scientifique où, en incitant à travailler sur L'Étranger de Kafka, Autant en emporte le vent de Tolstoï ou Le Cuirassé Potemkine d'Hitchcock, elle contribuerait à ouvrir des voies nouvelles.
Pour sauver de l'échafaud Geneviève Dixmer - l'héroïne du roman de Dumas et Maquet Le Chevalier de Maison-Rouge -, dont je suis tombé amoureux dans mon adolescence, je ne vois qu'une solution : entrer moi-même dans le livre et devenir l'un de ses personnages.
Transporté sous la Révolution, je serai alors confronté à une série de dilemmes éthiques, que la période rend encore plus sensibles (« La fin justifie-t-elle les moyens ? », « Peut-on sacrifier une personne pour en sauver plusieurs ? », « Devons-nous assistance à tous ceux que nous croisons ? »...) et qui peuvent se réduire à la question, aussi déterminante aujourd'hui qu'hier : « Qu'est-il juste de faire ? »
De Joachim du Bellay à Marguerite Duras, les plus grands écrivains de notre littérature ont connu des moments de faiblesse et ont raté certaines de leurs oeuvres. Histoires aberrantes, personnages inconsistants, style boursouflé, vers boiteux - ces textes plongent tout lecteur sensé dans la consternation.
Comment ces auteurs en sont-ils arrivés là ? Tenter de répondre à cette question conduit à interroger, avec l'aide de la psychanalyse, les mystères de l'acte créateur. Si l'oeuvre parfaite, en effet, isolée dans sa plénitude, n'offre souvent que peu de prise à la réflexion, l'oeuvre ratée, par son échec même, dévoile une partie des mécanismes du génie.
Soucieux d'être constructif et de tirer toutes les conséquences de ses hypothèses théoriques, cet essai propose aussi des améliorations concrètes. Changements de forme, variations dans les intrigues, déplacements de personnages d'un livre à l'autre permettent d'imaginer, entre rêve de perfection et délire de réécriture, ce que ces oeuvres auraient pu être dans des mondes littéraires différents.
Proust est trop long. Tirant les conséquences logiques de cette constatation qui décourage de nombreux lecteurs potentiels, ce livre se propose de réduire la Recherche en supprimant les digressions.
Un tel projet implique, comme préalable, de réfléchir sur la figure de la digression, injustement méconnue par la rhétorique. Toute une série de questions se posent alors, portant sur l'essence même de la littérature. Quand, par exemple, peut-on dire d'un texte qu'il est trop long ? Existe-t-il des passages inutiles ? Comment glisse-t-on d'une idée à l'autre ? Et surtout, au point de rencontre entre la littérature et la psychanalyse - qui donnent à la notion de sujet une acception différente -, que signifie être hors sujet ?
Ils lisent des textes, les rassemblent, les éditent, les commentent, les transmettent aux générations futures, produisent à leur tour d'autres textes : ce sont les lettrés, apparus parmi nous voici déjà quelques millénaires. Voués à l'écrit, ils forment le socle d'une civilisation, en garantissent la continuité, mais participent aussi à sa contestation. Le plus souvent invisibles ou méconnus, ils composent une communauté secrète, reliée à travers les temps et les lieux par des rites partagés, des habitudes analogues, des affinités mystérieuses.
Qui sont-ils ? Comment vivent-ils ? Où habitent-ils ? Que mangent-ils ? À quelles amours s'adonnent-ils ? Comment naissent-ils et meurent-ils ? À toutes ces questions et à bien d'autres, ce livre apporte des réponses précises et concrètes. Il peut se lire comme la description d'un mythe fondateur des civilisations à écriture, de Confucius à Barthes, en passant par Cicéron, Pétrarque et Freud. Mais peut-être vaut-il mieux le prendre comme une invitation à se détacher de l'existence ordinaire, pour entrer dans un autre rapport au monde et au temps. C'est un manuel de savoir-vivre. Ou de savoir-livre.