« La question à présent est de savoir si légiférer est bien. »
Quatre mille amendements posés sur le perchoir comme un solide obstacle à toute issue au débat sur la fin de vie à l'Assemblée le 8 avril 2021 : voilà de quoi se poser des questions. Textes et projets de loi imparfaits, affaires médiatisées, témoignent d'une incapacité à aborder le problème du déclin de la vie sans tomber dans des pièges. Pièges qu'il convient de connaître avant de s'aventurer aux abords périlleux de ce trou de la pensée où le mot exception devrait régner en maître.
Tenter de soustraire au maximum le facteur humain, trop humain, du système hospitalier, c'est prendre le risque que ce système s'effondre. Il faudra quand même, un jour, se demander si c'est bien.
Stéphane Velut.
Tout juste soixante ans se sont écoulés depuis la création des Centres hospitaliers universitaires. Ces structures sont le coeur d'un système à la réputation excellente. Mais ce coeur s'est emballé. Le corps soignant s'épuise et les patients s'inquiètent. Les crises se succèdent avec leurs ordonnances de vains remèdes. Le mal est profond. Il s'entend dans le nouveau langage qui s'est imposé au sein des pratiques hospitalières. Tel est l'éloquent symptôme qui révèle le dessein de faire de l'hôpital une nouvelle industrie, au mépris de son humaine justification. Un dessein indicible, qui rêve de rabattre le soin dans la technicité abstraite et gestionnaire de notre société.
« J'habite Betrachtungstrasse. Au 18 précisément. J'y suis depuis un an. Cette nuit est ma dernière ici, je vais quitter ce lieu et je suis affligé. Je suis affligé parce que tout ici me ressemblait - on me dit peu accueillant. C'était ma tanière, mon trou, mon chantier. »
Munich, 1933. Un peintre, chargé d'exécuter le portrait d'une enfant louant l'avenir radieux de la nouvelle Allemagne, se cloître en compagnie de son modèle. Mais c'est tout autre chose qu'il fait de sa jeune pensionnaire et qu'il déploie comme un cérémonial au fil de son récit. Car ce sont ses carnets que l'on lit ; le narrateur y prend son lecteur à témoin.
On hésitera à discerner dans cet étrange huis clos le jeu du rite ou de la soumission.
Le terme de "système de soins" est le plus judicieux des termes consacrés par le langage qualifiant le dispositif sanitaire des pays industrialisés. Il n'y a pas de procédés performants à grande échelle sans système. Soigner efficacement n'échappe pas à cette règle. Mais tout système appliqué à l'humain le déshumanise. D'abord parce que systématiser c'est voiler la singularité. Aussi parce que la technique a scindé l'être en entités sur lesquelles l'acteur de santé n'est compétent que ponctuellement. De cette parcellisation résulte une incompétence à saisir l'être.
« Et voilà l'Occident face à sa vulnérabilité. Tétanisé, il fait le hérisson. Fragile, il n'a pas le choix. La vitesse, dont il avait naguère fait sa façon de vivre, de croître et de communiquer, soudain le fit trembler. À l'heure près, il devint attentif aux voyages du virus en question, des grippés, des fiévreux, des tousseux et même des porteurs sains, bref, tous les êtres humains. L'inhibition de l'action fait oeuvre d'ultime parade.
Mais cela ne suffit pas car la réalité s'impose. Se terrer ne suffit pas. Derrière : le hérisson, mais devant : l'hôpital. »
Stéphane Velut