Nous sommes profondément imprégnés par l'idée que la modernité réside dans la canalisation des passions par la raison, soit par la prise en compte de normes universelles, soit par la composition d'intérêts bien compris. Leur résurgence dans les conflits contemporains, avec son cortège d'extrêmes violences, nous apprend qu'il n'en est rien. À l'heure où la mondialisation met en question la cohérence de l'État national, où les armes, notamment atomiques, changent la nature de la guerre, les conflits interétatiques cèdent le pas aux guerres civiles, au terrorisme et à la montée de la violence sociale. Ce déchaînement des passions est-il à l'origine des bouleversements actuels, ou en sont-ils la cause ?Pour saisir les dynamiques de notre monde complexe et mouvant, il nous faut reprendre à nouveaux frais l'analyse de la guerre et de la paix et, avec elle, toutes nos catégories de la philosophie politique. Nous comprendrons ainsi quel rôle jouent les passions, leur circulation, leur interaction, leur équilibre et déséquilibre, non seulement dans le déclenchement des conflits mais aussi dans leur possible dépassement. C'est tout le problème du politique que de penser la coexistence possible entre citoyens, alliés et adversaires à l'intérieur d'un ordre global commun. Pierre Hassner est directeur de recherche honoraire au CERI (Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po), spécialiste des relations internationales. Ce brillant recueil d'articles, qui conclut une série commencée avec La Violence et la Paix (Esprit, 1995) et La Terreur et l'Empire (Seuil, 2003), explore la possibilité et les conditions d'une économie politique et d'une éthique des passions. Il est introduit par une longue introduction inédite de l'auteur et se clôt sur un entretien entre Pierre Hassner et Joël Roman.
L'époque qui s'ouvre avec le 11 septembre pourrait combiner la brutalité et le primat de la puissance, qui caractérisaient la guerre froide, avec la fluidité, les incertitudes et les ambiguïtés de l'après-guerre froide. Des trois combinaisons historiques, celle de la division et de la dissuasion (guerre froide), celle de la guerre civile et de l'intervention internationale (les années 1990), celle de la terreur et de l'empire (l'après-11 septembre 2001), la dernière est sans doute la plus instable et, peut-être, la plus dangereuse.
Le précédent tome de La Violence et la Paix retraçait le basculement du monde bipolaire dans l'ère de l'après-guerre froide. La Terreur et l'Empire prolonge cette réflexion et donne la mesure des mutations actuelles en proposant un double éclairage. Le premier revient sur la scène tragique des évènements et les logiques de ses acteurs (sociétés, États, systèmes inter- ou supranationaux). Le second introduit le lecteur dans les débats intellectuels contemporains (de Fukuyama à Kagan) et dans un dialogue avec les grands philosophes (de Thucydide à Nietzsche en passant par Hobbes et Kant). Ce double éclairage permet de comprendre le glissement de la "dialectique du bourgeois et du barbare" vers une véritable "géopolitique des passions".