L'actualité judiciaire récente et celle des mois à venir (HSBC, Fillon, Cahuzac, Bolloré, Ghosn ou Sarkozy) le confirment si besoin : les transgressions des élites sont monnaie courante. Leur pérennité dans le monde politique et économique suscite des indignations aussi régulières que passagères.
Pierre Lascoumes montre que des facteurs structuraux expliquent cet état de fait. Les élites ont développé une économie morale singulière, à l'écart des normes sociales. Détentrices du pouvoir, elles énoncent des règles générales mais usent de l'autorégulation pour ce qui les concerne. Si nécessaire, un vaste répertoire de justification relativise leurs fautes intentionnelles. Enfin, la faiblesse des sanctions institutionnelles, en particulier judiciaires, assure la robustesse de ce système.
Pierre Lascoumes est directeur de recherche CNRS au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po. Il est notamment l'auteur de Une démocratie corruptible. Arrangements, favoritisme et conflits d'intérêts (Seuil, 2011), Sociologie des élites délinquantes (avec Carla Nagels, Armand Colin, 2e éd, 2018).
Confrontés aux questions environnementales, les pays industrialisés ont dû repenser l'action publique pour tenter d'y répondre : que faire au niveau national quand la plupart des enjeux écologiques sont autant régionaux que planétaires ? Comment prendre des décisions valides dans un contexte de forte incertitude, quand les informations manquent et que les expertises sont souvent partielles, voire contradictoires ? Comment intégrer à l'action publique des acteurs de la société civile (des acteurs économiques, des ONG et de plus en plus des citoyens) fortement mobilisés sur ces sujets, mais aux intérêts divergents ? En analysant les politiques publiques de l'environnement menées aujourd'hui, Pierre Lascoumes montre qu'elles transforment peu à peu la manière d'agir en politique. Il pointe aussi les faiblesses de ces nouvelles régulations, depuis leur conception et jusqu'à leur application, au regard des enjeux écologiques si pressants de notre époque.
La dénonciation régulière des « affaires » et des « scandales » laisse croire que les élites économiques et politiques ne sont plus à l'abri des mises en cause et des procès. Ces événements masquent pourtant une tout autre réalité. Les déviances et délinquances des élites restent en effet perçues comme ayant une moindre gravité
que celles portant atteinte aux personnes et aux biens. Et elles sont loin de susciter la même réaction sociale.
S'intéresser aux élites délinquantes permet alors de poser des questions qui ne sont jamais soulevées dans les cas d'atteintes aux biens et personnes. Où placer le curseur entre les déviances acceptables et celles qui menacent l'ordre social ? L'existence d'une norme pénale est-elle suffisante pour identifier un acte transgressif ? Les auteurs d'abus sont-ils vraiment mal intentionnés et responsables ? Ne sont-ils pas victimes d'organisations laxistes et d'une grande tolérance collective ? Quelle est enfin la sanction adéquate à ces débordements ? Ces enjeux sont autant intellectuels que politiques et éthiques.
Afin de pouvoir construire des positions réfléchies sur le sujet, la maîtrise des connaissances scientifiques existantes est un préalable indispensable. Tel est l'apport de cet ouvrage.
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L'auteur soutient brillamment le paradoxe suivant : au départ, les revendications écologiques étaient profondément critiques des savoirs scientifiques et techniques et du développement social qu'ils conduisent. Trente ans plus tard, leur traduction en politiques d'environnement débouche au contraire sur un appel croissant aux experts, détenteurs véritables d'un " éco-pouvoir " montant.
" L'environnement " et ses " problèmes " sont devenus un enjeu d'une telle force d'évidence qu'il paraît presque impossible d'apporter la contradiction à ce projet : " il faut protéger l'environnement ! " C'est précisément cet ordre, au double sens de commandement et d'idéal d'organisation, qu'interroge ce livre profond et informé. L'auteur soutient brillamment le paradoxe suivant : au départ, les revendications écologiques étaient profondément critiques des savoirs scientifiques et techniques et du développement social qu'ils conduisent. Trente ans plus tard, leur traduction en politiques d'environnement débouche au contraire sur un appel croissant aux experts, ingénieurs et techniciens, détenteurs véritables d'un éco-pouvoir montant. La rationalité scientifique et technique, longtemps cible privilégiée de l'opprobre écologique, se prétend désormais au service de la dépollution et de la sauvegarde des milieux naturels. Notre capacité collective à débattre de ces questions demeure en revanche très faible. Les médias, qui donnent trop souvent une représentation naturaliste naïve du monde, ont leur part de responsabilité dans cette situation, et l'auteur en fait une critique sans cession. Mais il analyse aussi avec précision le jeu de l'administration publique dans la gestion des nuisances par débats contradictoires. Il passe enfin au crible le rôle des associations de défense, qui s'exténuent dans des mobilisations et des contre-expertises sans moyens suffisants. Avec le concept d' " éco-pouvoir ", Pierre Lascoumes dévoile l'émergence d'une nouvelle rationalité, qui prétend prendre le contrôle de tous les systèmes vivants, avec les effets de normalisation qui en découlent.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
La question du droit, et plus précisément celle des activités juridiques menées tant par les acteurs politiques que par les professionnels du droit et les acteurs de la société civile ont été intégrées par Max Weber à l'ensemble de sa réflexion historique et sociologique. Longtemps, la sociologie durkheimienne fut considérée comme un obstacle à la réception en France de cette oeuvre. L'absence d'interaction intellectuelle entre les deux courants de pensée a pu être présentée comme une suite de « rendez-vous manqués ». Ces oppositions sont aujourd'hui en voie de dépassement, ou du moins de transformation. Des relectures attentives et libérées des anciens conflits mettent l'accent sur des perspectives complémentaires. Ainsi leurs approches non monolithiques du droit soulignent l'importance de la pluralité des formes juridiques produites par l'histoire sociale et de leurs combinaisons selon les conjonctures historiques. La parution de la traduction française, si longtemps attendue, de la Sociologie de droit de Max Weber avait été pour la revue Droit et Société l'occasion de faire, en 1988, un premier point sur ces débats ; c'est le contenu actualisé et enrichi de ce numéro que nous présentons aujourd'hui. Ce livre est organisé autour de deux approches principales. D'une part, l'analyse de la place faite à Max Weber dans différents champs intellectuels, français, allemand, nord-américain, italien, etc. D'autre part, la présentation d'un ensemble de pistes de recherche contemporaine en sociologie du droit d'inspiration wébérienne : sociologie des activités juridiques, analyse de la bureaucratie, systèmes de rationalité et de légitimité, sociologie des contrats.
Le pacte civil de solidarité (Pacs) est partout présenté comme l'une des grandes réformes sociales de la gauche française. La loi du 15 novembre 1999 a été adoptée à l'arraché après beaucoup d'incertitudes gouvernementales, de guerres d'experts, de mobilisations sociales, et après un marathon parlementaire très conflictuel. Avec deux ans de recul, la victoire finale est-elle aussi éclatante ? L'un de ses enjeux fondamentaux était la place que la société accorde à l'homosexualité. Certes, depuis vingt ans, nous sommes entrés dans l'ère de la tolérance que l'épidémie du sida a mêlée de compassion solidaire. Mais dès qu'il s'agit d'aller au-delà et de raisonner en termes d'égalité de droits ou en termes de respect des différences dans les orientations sexuelles, force est de constater que l'homosexualité retrouve une partie de sa marginalité. Dans cet ouvrage, Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes montrent que, malgré l'adoption du Pacs, l'homophobie demeure une composante forte de nos sociétés qui, pour démocratiques qu'elles prétendent être, se révèlent en réalité incapables de se penser hors de la norme hétérosexuelle. Retraçant les grandes lignes de la controverse qui a conduit de la revendication d'un partenariat pour les concubins jusqu'au Pacs, ils s'attachent à montrer comment la gauche a finalement contourné l'une de ses valeurs cardinales, l'égalité : si la droite politique assume souvent une homophobie explicite, la gauche est " hétérosexiste " par sa croyance dans une hiérarchie des sexualités qui met l'homosexualité dans une place subordonnée. Les auteurs montrent comment homophobie et hétérosexisme se sont alors associés pour refuser de reconnaître l'existence d'un véritable pluralisme des orientations sexuelles justifiant une égalité réelle dans l'exercice de la citoyenneté, et pour cantonner l'homosexualité dans une place mineure.
Ces dernières années, les domaines d'intervention de l'État ont proliféré. Ce manuel permet de comprendre les dynamiques et les transformations des politiques publiques.Il reprend les principaux concepts et modèles d'analyse à partir de deux questions fondamentales : Qu'est-ce qu'une politique publique ? Comment changent les politiques publiques?
Alors que la plupart des débats autour des politiques publiques se focalisent sur les objectifs annoncés et sur les résultats obtenus, l'ouvrage dirigé par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès propose de faire porter l'attention sur les instruments de l'action publique. À travers ces études de cas européens, de la rationalisation salariale dans l'administration française à la restructuration de l'État en Grande-Bretagne, en passant par la réforme de la politique bancaire en Italie, un certain nombre de caractéristiques - des conditions de leur choix, des effets qu'ils produisent, aux rapports gouvernantsgouvernés qu'ils induisent - se dessinent. Au-delà, l'analyse des instruments d'action publique démontre sa capacité à révéler l'évolution des politiques publiques.
Le développement durable est devenu un slogan aussi flou que prégnant qui conduit souvent à des décisions inattendues. C'est le cas pour la fusion de deux frères ennemis : les ministères de l'équipement et de l'écologie.Le livre montre le contexte politique particulier qui a inscrit cette vaste réforme à la fois comme une action symétrique au Grenelle de l'environnement et comme l'affirmation d'une écologie de droite. Au-delà de ce volontarisme, il souligne l'importance des facteurs historiques et des enjeux professionnels qui ont rendu possible cette fusion présentée comme un modèle réussi de modernisation de l'État.L'analyse est menée à trois niveaux : la réforme des structures centrales du ministère ; celle des services territoriaux (essentiellement régionaux) ; enfin, celle des principaux acteurs ayant concrétisé cette vaste série de changements.
Résistant à toutes les contestations, toutes les crises et tous les changements de régime politique, la prison s'est imposée comme un modèle universel de sanction sociale et d'isolement d'individus présumés dangereux.
Elle est devenue un invariant des sociétés modernes, qui échappe en grande partie à l'action des gouvernants, tout en étant profondément ancré dans le politique, et qui dispose d'une inertie propre imposant partout un modèle répressif et disciplinaire. Peut-on cependant différencier les recours à cette solution punitive selon les contextes culturels et les conjonctures politiques ? Les moments de rupture politique ont-ils été sans écho sur les pratiques pénitentiaires ? Contrairement au lieu commun qui ne retient que l'inertie pénitentiaire, la prison est animée par une obsession réformatrice. N'est-elle tiraillée qu'entre moments de crise et mouvements perpétuels, recherche d'alternatives partielles et réplication des modèles éprouvés ?
Les contributions rassemblées dans cet ouvrage s'attachent à l'analyse des changements observés dans des contextes politiques majeurs (chute du mur de Berlin, fin de l'apartheid, effondrement de l'URSS, etc.). La prison est aussi souvent impliquées dans des crises politiques qui donnent lieu à des modèles d'enfermement d'exception toujours renouvelés (camps de rétention, Guantanamo, etc.). La prison est, enfin, régulièrement l'occasion d'expérimentations et d'innovations.
Mais jusqu'où cette institution peut-elle être transformée: est-elle vraiment un modèle indépassable?
Et s'il fallait enfin tirer les conséquences des crises à répétition que nos sociétés traversent lorsqu'elles sont confrontées aux débordements inattendus des sciences et des techniques ? S'il fallait en finir une bonne fois pour toutes avec la vision héroïque des décisions tranchantes et tranchées que le souverain prend en situation d'incertitude et en toute méconnaissance de cause ? Si Alexandre rengainait son épée, le monde s'effondrerait-il ? Non, mais la démocratie, elle, en ressortirait fortifiée. Tel est le propos des auteurs de ce livre. Ces derniers refusent les traditionnelles oppositions entre spécialistes et profanes, professionnels de la politique et citoyens ordinaires. Ils concentrent plutôt leur attention sur les nouvelles relations entre savoir et pouvoir qui émergent des controverses sociotechniques et sur les procédures inventées pour les traiter. L'enjeu est de taille : faire apparaître les conditions dans lesquelles les sociétés démocratiques vont se rendre capables d'affronter les défis des sciences et des techniques, redéfinir un espace public réunissant non pas des individus désincarnés mais des femmes et des hommes pris dans des histoires singulières. Après l'âge de la démocratie délégative, celui de la démocratie dialogique ?
Un livre qui s'efforce d'éclairer la place des " paradis fiscaux " dans l'économie financière internationale.
L'économie capitaliste a trouvé ses " moutons noirs ", ces paradis fiscaux et financiers qui sapent la confiance des investisseurs et déstabilisent le libre marché. Une série de scandales politico-financiers a révélé les effets pervers de la mobilité croissante des flux financiers, les usages délictueux et opaques des circuits bancaires, en particulier ceux donnant accès aux places offshore. Des organismes internationaux (OCDE, FMI, GAFI, etc. ) ont commencé à produire une expertise et à stigmatiser certaines d'entre elles, accusés de participer à l'" économie du crime ", voire au " terrorisme ". Qu'en est-il précisément ? Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes analysent les origines de cette mobilisation politique soudaine et la fonction de bouc émissaire que l'on fait tenir aux places offshore. Ce livre ambitieux et informé montre que les pratiques liées aux ressources offertes par les places offshore sont structurellement liées au fonctionnement du commerce et de la finance internationale. C'est pourquoi les régulations restent molles : au-delà des propos d'estrade, non seulement il n'est pas question d'interdire les opérations avec les places suspectes, mais les appels unanimes à la transparence qui les concernent permettent finalement leur insertion dans les circuits d'échange officiels au faible prix de la stigmatisation de quelques réfractaires.