Toute une série de biais cognitifs nous empêchent de prendre des décisions rationnelles : conformisme, aversion pour la perte, surestime de soi, préférence pour le court terme, etc. Ce crédo des économistes et des psychologues comportementalistes a été repris à leur compte par les pouvoirs publics de nombreux pays, afin d'orienter les choix de leurs concitoyens. Nous sommes ainsi considérés comme des donneurs d'organes par défaut, nos enfants sont tenus à distance des frites dans les cantines, les détecteurs de vitesse nous font la grimace ou nous sourient, on nous informe que nous recyclons moins que le voisin... Faciles à mettre en oeuvre, peu onéreux, ces nudges (de l'anglais « pousser du coude »), qui nous font modifier nos comportements sans que nous ayons à y réfléchir, sont devenus l'alpha et l'omega de la résolution des problèmes de société. Mais peut-on réduire l'action publique à une affaire de comportements individuels ?
Scandales sanitaires, violences policières, pollutions environnementales, manquements au Code du travail, évaluations de politiques publiques... Dans ces circonstances, extraordinaires ou non, saisir l'inspection suscite rarement d'oppositions a priori. Mais alors, pourquoi les services d'inspection sont-ils dans le même temps si régulièrement contestés ? Tatillons, ils entraveraient la bonne marche de l'économie ; déconnectés du terrain, ils incarneraient un pouvoir bureaucratique sourd aux revendications ; soumis à l'autorité d'une tutelle, ils "blanchiraient" délibérément les inspectés fautifs.
Les contributions réunies dans cet ouvrage montrent que les services d'inspection n'ont pas qu'un nom en commun mais qu'ils partagent un même rôle d'intermédiaire entre des inspectés et des donneurs d'ordre. L'inspecteur n'est pas seulement celui qui vérifie que les inspectés appliquent la règle, il se fait également le rapporteur de ce qu'ils lui ont donné à voir auprès du donneur d'ordre. C'est à condition d'articuler ces deux dimensions qu'il est possible de comprendre que les critiques récurrentes de l'inspection ne conduisent paradoxalement pas à la rendre illégitime.