La plupart des Etats africains postcoloniaux étant des Etats sans Nation, l'effort des dirigeants après l'indépendance a consisté à forger une nation et une conscience nationale. Les Partis uniques furent à ce titre le socle sur lequel devait se bâtir la construction nationale. Au lieu d'être le vecteur du développement national, les Partis uniques ont plutôt contribué à l'érection des souverains tout-puissants dont l'aura tirait son origine de la personnalisation du pouvoir. Les élites africaines, elles, au lieu de croître les ressources trouvées dans la caisse de l'Etat, ont procédé à la prédation et ont développé des réseaux de clientélisme, de népotisme, de tribalisme dans le fonctionnement de l'Etat. L'éventail des contributions contenues ici pose en toile de fond la problématique du secteur public, de sa conception et de son rôle en matière de développement en Afrique, la nécessité de reformer l'Administration publique africaine ayant toujours été le leitmotiv des dirigeants politiques et chercheurs en sciences sociales. Cet impératif trouve son explication du fait que les sociétés traditionnelles africaines n'ont pas connu l'Administration du moins dans le sens wébérien du terme et que l'Administration africaine actuelle est un produit de la colonisation.
Les arts de la citoyenneté au Sénégal est un ouvrage original qui examine des trajectoires urbaines dans le Sénégal contemporain et met à l'épreuve des perspectives inédites, qui portent une attention spécifique à la question de l'esthétique urbaine. Il aborde les politiques et stratégies déployées par les principaux acteurs et les manières dont ils rêvent la ville idéale, à partir des sites singuliers qu'ils occupent et des pouvoirs qu'ils détiennent.
L'analyse privilégie les figures esthétiques, iconographiques, musicales et kinésiques des expressions citoyennes, des modes d'(auto)représentation et des parcours complexes de subjectivation individuelle et collective, alimentés principalement par des ressources urbaines. Cette lecture attentive des mutations sociales, politiques, économiques et culturelles des villes sénégalaises intervient très activement dans les débats théoriques et empiriques sur les études urbaines, en y incorporant des situations africaines souvent absentes de la littérature universitaire sur les villes.
L'originalité des contributions de ce livre sur Les arts de la citoyenneté au Sénégal est de suivre à la trace les contingences, stratégies, innovations culturelles, mais aussi les recompositions sociales et spatiales qui réorganisent les ressources locales et globales, disponibles ou imaginées, pour les mettre au service de formes inédites de mobilisation et d'action politiques. Ces reconfigurations renouvellent les formules de civilité urbaine et citoyenne dont les expressions les plus significatives prennent des contours et des lignes artistiques. La juxtaposition de plusieurs échelles, géographique, locale et globale, rurale et urbaine, ouvre des perspectives novatrices aux études des régimes de civilité et de leurs pratiques ainsi qu'aux langages qui redéfinissent les cultures et communautés urbaines. Cet ouvrage constitue à ce titre une contribution majeure à la littérature sur les villes africaines.
Mamadou Diouf est professeur d'Histoire et d'Études africaines. Il occupe la chaire Leitner Family d'Études africaines et dirige l'Institut d'Études africaines de l'université Columbia à New York (États-Unis).
Rosalind Fredericks est assistante au Gallatin School of Individualized Study à l'université de New York à New York (États-Unis).
"Njaayeen trônait, encore toute altière, au milieu d'un quartier enfoncé dans les bas-fonds de la banlieue. Une de ces maisons qui avaient su faire exception, en échappant régulièrement à l'invasion des eaux de pluie. Elle semblait assister, à la fois indifférente et moqueuse, à un duel permanent entre l'homme et les eaux qui venaient régulièrement à la reconquête du territoire que ce dernier, dans son ardeur dévastatrice, lui avait si injustement arraché. En vérité, les habitants du quartier Abreuvoir ont toujours vécu en sursis dans le lit de cet ancien lac desséché qui menaçait de reprendre vie à chaque hivernage pluvieux. Et cette année-là, il avait beaucoup plu. La vie de Dakar et environs était rythmée par la valse incessante des eaux de pluie qui, heurtées aux amas de gravats des travaux inachevés, venaient renforcer la colère des caniveaux bouchés pour habiller la capitale d'horrible manteau tissé de véhicules immobilisés ou noyés, de femmes cherchant leur chemin, le pagne retroussé jusqu'aux limites de la décence, d'un infernal concert de klaxon et de ronflement de moteurs tuberculeux, de conducteurs larmoyants, perdus dans la sueur et le gasoil..."
Since the late 50s when most countries on the continent achieved their independence, Africa and African societies have been subject to the most shrewd queries and problems. However, despite all the literature produced, it should be recognized, that to date, both Africa and African societies have baffled the analysis of the social scientists and of those in charge of development.
La rencontre qui s'organise en ce livre de disciplines et thématiques diverses manifeste le mouvement, aujourd'hui, de la recherche académique en sciences sociales au Sénégal. Différentes ethnographies et sociologies, spécifiques à chaque situation examinée, sont présentées dans les textes ici réunis, qui inaugurent et affichent, tout à la fois, une conversation autant soucieuse de précision empirique qu'attentive aux problématiques théoriques, épistémologiques et méthodologiques. Ainsi, dans leur manière de restituer avec rigueur aussi bien la diversité des communautés et des acteurs que la complexité des situations et des thèmes examinés, les différents chapitres ont valeur d'exemplaires. La cohérence de l'ouvrage tient aux procédures mises en ouvre dans chaque contribution: la collecte la plus complète et la plus rigoureuse possible des ressources documentaires disponibles; leur traitement en recourant aux théories et méthodes scientifiques, quantitatives et qualitatives les plus éprouvées et, finalement, une présentation claire et précise des résultats obtenus. Aucune ne s'enferme dans une réflexion exclusivement académique. Le souci de trouver des solutions pratiques aux problèmes examinés est fortement présent. Chaque texte est exemplaire en ce sens qu'il propose un exemple de ce que sont aujourd'hui les humanités et les sciences sociales sur notre continent lorsqu'elles sont attachées à penser les devenirs à l'ouvre dans la modernité africaine, sénégalaise plus particulièrement. C'est à ce titre qu'ils se font écho dans leur manière de proposer, ensemble, un profil de cette modernité en mouvement.
Alors que les économies africaines subissent les programmes d'ajustement structurel, les universités africaines sont enfermées dans un dilemme par la Banque mondiale, qui manie la carotte et le bâton entre ressources et discipline budgétaire. Mauvais traitement salarial, salles de classe surchargées et délabrées, bibliothèques vides, les universitaires africains remettent en question leur utilité, s'interrogent sur la portée de leur activité et se demandent si la liberté est un droit. C'est dans ce contexte qu'il faut situer le symposium sur la liberté académique et la responsabilité sociale des intellectuels qui a eu lieu à Kampala. Le présent recueil est le fruit des débats qui s'y sont tenus. Cet ouvrage aborde la relation du capital et de l'État vis-à-vis de la liberté académique et décrit les processus historiques qui ont façonné les intellectuels en Afrique. Il met l'accent sur les problèmes d'autonomie et de démocratie. La question des financements est soulevée, ainsi que la difficulté des alliances qui remettent en cause le droit à l'indépendance.