Parfois la vie nous réserve de drôles de surprises, capables de faire vaciller les êtres les plus sûrs de leurs principes. Martha Erwin par exemple, dont le mot d'ordre était jusque-là : famille je vous hais.
Femme d'une quarantaine d'années en couple avec Allan depuis longtemps, préférant le whisky aux enfants et le silence aux longues discussions, Martha menait une existence plutôt tranquille. Détective improvisée pour le groupe Erwin, la quatrième fortune du Canada, dirigée par son oncle, son ambition tenait à son indépendance. Certes, filer les employés du groupe et vivre avec les deux boules de poils qui servent de chiens à Allan, n'est pas exactement ce dont elle avait rêvé. Mais Martha sait se contenter de plaisirs simples, par exemple rendre folle Allison, la fille d'Allan, pour l'empêcher d'emménager chez eux. Jusqu'à un soir d'hiver où un jeune garçon répondant au nom de Modifié se met en travers de sa route. Enfant adopté qu'on devine différent (son surnom lui vient du programme « modifié » qu'il suit à l'école), médusé par les chasse-neiges et déblayeur de neige hors pair, Modifié se met à leur rendre visite régulièrement pour dégager leur allée. Au grand dam de Martha qui doit gérer la plus périlleuse mission de sa carrière : mettre hors de cause Daniel Erwin, son cousin, héritier tout désigné de l'empire, qui est accusé du meurtre de son coach de soccer. Pour quelqu'un qui n'aime pas la famille, les choses se compliquent légèrement.
Sans dévoiler les mille rebondissements qui ponctuent ce roman, disons que celle dont le coeur semblait, sinon fermé, du moins bien caché, va se retrouver modifiée par cet étrange garçon qui, comme elle, ne mâche pas ses mots et peine à exprimer ses sentiments, sans pour autant ne pas en éprouver. Tour à tour hilarant et bouleversant, tendre et mordant à la fois, Modifié fait partie de ces livres qu'on ne peut plus oublier une fois qu'on les a lus. Un condensé d'émotion et d'humour sans une larme de sentimentalisme, qui nous prend, nous fait rire et pleurer, qui nous cueille par surprise.
Toute entreprise philosophique sérieuse commence par un écart, un décentrement. C'est le prix à payer pour se défaire des pensées sur mesure, des points de vue unilatéraux et s'ouvrir à l'originalité qui gît au coeur même du connu. Plonger dans la pensée de François Jullien, tout à la fois philosophe, helléniste et sinologue, c'est faire l'expérience de cette dissidence de l'esprit qui bouscule et reconfigure les frontières de la philosophie.
Dans François Jullien, une aventure qui a dérangé la philosophie, François L'Yvonnet se propose de rendre compte de la trajectoire intellectuelle du philosophe et de l'audace de sa démarche. Une démarche qui a conduit très tôt François Jullien, à rebours du dogme universitaire, à faire un détour par la Chine, à se tourner vers un « dehors » pour mieux interroger nos concepts hérités du monde Gréco-latin (notre « dedans »). Une démarche qui dépayse la pensée et se retrouve, tel un fil d'Ariane, dans l'ensemble des objets d'étude du philosophe : le politique, l'esthétique, la morale, le vivre, l'Art, l'amour... autrement dit, dans toutes les couches de l'existence.
A ceux qui connaissent déjà l'oeuvre de Jullien, l'essai de François L'Yvonnet saura donner les clefs pour approfondir leur lecture ; pour les autres, il constitue une excellente propédeutique.
« Scandale pour les Juifs ; folie pour les Grecs » : voilà comment Saint Paul désignait le christianisme. Contre la Loi des Juifs et la Raison des philosophes, il entendait plaider en faveur du salut par une « foi », plus forte que la mort. Comment expliquer que ce scandale et cette folie aient pu se développer, gagner et finalement s'imposer dans l'Empire romain à partir de Constantin ? Comment le christianisme a-t-il fait pour passer du statut de secte à celui de Civilisation ? Luc Ferry et Lucien Jerphagnon unissent ici leurs forces et leurs compétences pour tenter de répondre à ces questions cruciales. Ils identifient ainsi les sources et la teneur originelle d'un héritage indispensable pour qui veut comprendre non seulement les racines mais aussi la nouveauté de la culture contemporaine.
Le « milieu », ses filles et ses souteneurs, la violence nue, les prisons et les boulevards au début du siècle. Dans ce monde où la misère écrase, où l'argent tue, Charles-Louis Philippe nous ait vivre une histoire d'amour fou entre un jeune homme et une prostituée. Berthe croira échapper à sa condition avec Pierre, mais Bubu le souteneur viendra la reprendre.
« L'amour - nous y vivons, nous le respirons, nous le traversons. Sans cesse. Et pourtant nous n'y comprenons rien, ou presque, quand il surgit. Il naît et meurt en nous sans que nous le pressentions : nous ne l'apercevons que bien après son surgissement, et nous l'avons déjà tué depuis longtemps que nous le croyons toujours vivant. Il se déploie à travers nous, plus qu'en nous, comme sans nous. Sans cause, n'a-t-il donc aucune raison ? Nous concluons en effet qu'il n'obéit à aucune logique, pathos sans rigueur, délire sans borne, drogue de drame...
Il reste pourtant une autre voie : l'amour se dispense de toutes les logiques du monde, parce qu'il recèle et déploie de lui-même une « ...raison merveilleuse et imprévue... » (Rimbaud). L'amour suit une raison, mais la sienne, pas celle du monde. La sienne, absolument autre, paradoxale et invisible à ceux qui n'aiment pas. La penser et la dire, cela semble encore impossible. Du moins peut-on déjà en esquisser les prolégomènes : le mal, la liberté, l'éblouissement, la croisée des regards, la crise, l'absence. Et, dès ces préparations, l'amour impose déjà son autre nom - la charité. »J.-L. M.Livre légendaire publié en 1986, maintes fois réédité, Prolégomènes à la charité trouve ici sa forme définitive, dans une version préfacée et complétée de trois chapitres.
Un homme d'une cinquantaine d'années se penche sur son passé. Il évoque « sa propre honte d'être en vie ». Il vit avec la blessure d'une enfance polonaise passée dans la peur, le mensonge, le secret, au temps où les nazis et les complices semaient la haine, entre 1939 et 1945....
Sa mère morte en couches, son père médecin prisonnier des Soviétiques, Maciek, petit garçon juif, est recueilli et caché par sa tante Tania. Insolente et belle, jeune et dotée du « regard » qui l'aide à passer pour une bonne catholique, Tania osera tout pour le sauver. Contraints à un extraordinaire jeu de pistes, Maciek et la jeune femme échapperont au ghetto, à Varsovie en flamme, aux wagons d'Auschwitz, aux bourreaux allemands, aux délateurs polonais. Au final, le petit Maciek aura appris à mentir pour survivre. Il n'oubliera pas que la vérité signifie parfois la mort.
Une odyssée coupée de tableaux nostalgiques et de scènes effroyables. Un destin qui n'épuise pas la lancinante question posée par l'auteur : « où réside le sens de la survie ? ».
Une éducation polonaise, premier roman de Louis Begley, traduit dans de nombreux pays, a obtenu le prix Hemingway du Pen Club américain et celui de l'Irish Times Aer Lingus en Irlande, ainsi que le prix Médicis étranger en France en 1992.
Longtemps, Lorette Nobécourt a brûlé ses textes. Mais en 1994, un court récit échappe au feu : c'est La démangeaison, que publient alors les éditions Sortilèges. Confession, monologue, carnet d'une souffrance ou d'un mauvais rêve, ces cent pages marquent la naissance d'un écrivain et apparaissent très vite comme un talisman noir qu'on se transmet. Depuis son enfance, Irène souffre de psoriasis. Maladie chronique et sans cause. La peau s'enflamme, les doigts s'agitent, le coeur s'affole. Il n'y a plus de pensée vagabonde. Il n'y a plus que ça, cette monstruosité. Le corps est une plaie. Toute pensée est une plaie. Bien sûr on vous regarde. Enfant, gamine, adolescente : la pauvre. Mais Irène ne se plaint jamais. La chair est malade ? Alors Irène se fait le verbe. Sa langue est dure. Magnifique. Ses mots sont une écharde qui irrite le monde, qui saisit le regard du père, le geste des amants. Qui caresse la quenotte enfantine, un peu apaisée. La démangeaison porte en soi tous les thèmes de l'oeuvre de Nobécourt : l'enfant silencieuse ; le corps blessé ; le désir sans fin ; l'impossibilité de vivre dans ce monde - et c'est l'écriture qui frappe, d'emblée, chez cette jeune femme. Pas de psychologie. Pas de papa-maman. Pas de causes. Osons le mot : pas de société. Il n'y a que la contamination des mots : et on finit sa lecture, gêné, transpercé, en se frottant l'avant-bras, la paume, le poignet, la cuisse : c'est que la littérature a gagné, en sa peau de chagrin.
Quand, il y a quelques années, fut célébré le centième anniversaire de la psychanalyse, celle-ci paraissait faire partie de notre univers culturel. Si la question de la qualité des praticiens était régulièrement posée, la légitimité de la psychanalyse elle-même ne semblait pas faire problème. Qui aurait pu imaginer qu?une dizaine d?années plus tard, nous serions revenus à une situation analogue à celle que connaissait Freud quand il écrivait ses Conférences d?introduction à la psychanalyse ? Certes, l?assaut, aujourd?hui, provient des neurosciences, de leurs découvertes et des effets pharmaceutiques de celles-ci, plus que de la psychiatrie traditionnelle, comme au temps de Freud. Le débat est pourtant toujours semblable. Qu?il existe des moyens toujours plus perfectionnés de calmer la douleur psychique n?empêche pas, en effet, qu?on se souvienne de la question socratique : comment prendre au mieux soin de soi-même ? Quel est le coût subjectif de la rééducation de soi prônée par le comportementalisme ? Quels sont les effets des psychotropes sur le désir d?un sujet ?
?La psychanalyse, comme thérapie et comme théorie est le seul domaine de la psychologie, aujourd?hui, qui prenne en compte ces interrogations. La divergence essentielle entre les différentes sortes de thérapie est d?ordre éthique. La psychanalyse prend le parti du sujet : c?est dans la parole de celui-ci, pour peu qu?on entende ce qui s?y dit, que se trouve la vérité de son désir. Voilà pourquoi elle est une des grandes aventures existentielles de la modernité, et la seule thérapie en accord avec l?humanisme.
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Avec son troisième roman, Laurent Flieder quitte le XVIIIème siècle pour notre époque, qui certes lui ressemble, mais lestée d'une noirceur très particulière. Son héros ? Un petit garçon dans l'Italie des années 1970, pauvre et complexé par ses grandes oreilles, qui le font surnommer Dumbo. Devenu célèbre, il entreprend de tout raconter : l'enfance triste, le rêve avorté de devenir footballeur et surtout le grand-père adoré, balayeur municipal à la retraite qui bouleverse sa vie en lui offrant, à treize ans, son seul jouet « de riche » : un vélo. Cet engin va lui permettre d'échapper à sa vie, à son surnom, à sa mauvaise tête. Ainsi naît « Le Pirate », meilleur grimpeur du monde, emblème malgré lui des prodiges et dérives du sport spectacle, à l'époque de l'argent roi et de la réussite obligatoire. Couvert de femmes, surpayé, dopé comme les autres, il le paie plus cher : gagnant toujours, il perd à chaque fois. Car malgré l'EPO qui a « transformé le vélo en sport de glisse », la souffrance est omniprésente. Echappé solitaire, personne ne peut le rejoindre sinon un surhomme venu de la Lune. Mais lorsque la rencontre se produit il est trop tard : Nicco a déjà trop à faire contre les fantômes surgis des diverses substances avec lesquelles il est arrivé si haut. « Le vélo c'est facile, c'est mourir souvent. » Dans ce roman où chaque page laisse filtrer l'ombre héroïque et tragique de Marco Pantani, tout est vrai : nous le suivons dans la réalisation de ses exploits jusqu'au sommet d'une gloire immense, dans les replis de ses secrets très privés comme dans le gouffre de ses terrifiants derniers jours. Il fallait un romancier pour saisir dans sa complexité et son intimité la condition du champion moderne, condition "scientifique" d'abord, mais aussi condition inhumaine...
Voici près de vingt ans, Laurent Chalumeau laissait l'Amérique dans un drôle d'état, entre jubilation rock et gueule de bois, dans un livre qui s'intitulait Fuck et avait fait un peu parler de lui. Celui-ci pourrait en être la face B, comme dans les vinyles d'antan ; il aurait pu aussi s'appeler Fuck II : le retour. Retour aux sources (« toute la musique qu'il aime-eu... ») ; retour, après un détour par le détournement du polar à la française, au pays d'élection, l'Amérique fantasmée - c'est-à-dire la vraie -, celle qu'inventèrent Robert Johnson, Chuck Berry, Elvis, Dylan, les Stones et quelques autres encore... Retour enfin sur vingt ans de carrière journalistique. Car avant de s'occuper de siffleurs, d'arnaqueurs et autres mecs sympas du même acabit, Laurent Chalumeau fut, d'abord et surtout, grand défricheur et déchiffreur de l'Amérique rock. En témoigne aujourd'hui cette « playlist » de textes vintage, publiés à la fin du siècle dernier dans des magazines comme Rock & Folk ou l'Echo des savanes. On croise, dans ce texte aux allures de Route 66 sentimentale rythmée par une langue toute en riffs, des rappeurs mythomanes, des guitar heros accros à l'héro, des joueurs de billard rabelaisiens, des fantômes vaudous et des Navajos ravagés, Tom Waits et Bruce Springsteen, Lou Reed et Jerry Lee Lewis, des vallées de larmes blues et des monuments du « wok'n'woll » mangés aux mythes, enfin le Diable et sa musique, bande-son imparable dans laquelle chacun se reconnaîtra. « Il y a des regards étriqueurs, qui rendent tout ce qu'ils voient mesquin, courant. C'est le point de vue le plus répandu, celui de l'impuissance et de l'amertume, écrit Virginie Despentes dans sa préface. Et puis à l'inverse il y a la prose rock : le cinémascope, le grand format, le long travelling, le gros plan chiadé, l'éclairage sublimant. Une façon d'envisager les choses qui ne craint ni la générosité, ni l'enthousiasme. Méticuleux travail de cross-over, brutal autant que sensible. Il a fallu abattre quelques cloisons, entre la littérature, le sport, le sexe, le cinéma, l'urbanisme, la politique et les musiques, pour donner aux sujets l'ampleur qu'ils méritaient. »
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
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« Les travailleurs tu exploiteras. Les chômeurs tu stigmatiseras. La précarité tu répandras. Les vieux tu feras travailler. La faillite de l'Etat tu mimeras. Les bijoux de famille tu braderas. Des paquets fiscaux aux riches tu offriras. Les pauvres et les malades tu feras payer. Ton peuple tu ne consulteras pas. Tes habits neufs à la gauche tu prêteras. » Ainsi se déclinent les dix commandements de la Sarkonomics, pâle succédané de la Reaganomics que vénéraient, il y a près de trente ans, les néo-conservateurs américains, aujourd'hui largement contestés. En autant de courts chapitres traitant du pouvoir d'achat, de l'épargne et de la consommation, de l'emploi et des heures supplémentaires, des retraites, de la dette, du service public ou de l'Europe, ce livre démonte pas à pas les principes de la nouvelle politique économique de la France. Au nom de la lutte contre « l'immobilisme », les « réformes » organisant la régression sociale généralisée sont aujourd'hui présentées comme les attributs d'une politique « moderne ». Contre l'enfer politique, économique et social vers lequel les dix commandements néo-conservateurs mènent la France, ce sont dix travaux d'Hercule qui attendent demain ceux qui seraient encore gaullistes au pays de De Gaulle, socialistes au parti socialiste.
« La solitude de Colin Parler. Souvent Colin Parker composait de sa propre initiative la touche C pour confessionnal et pendant des heures, il répétait qu'il était seul. Et son assistant lui répondant : « Cher abonné, vous n'êtes pas seul puisque nous sommes là pour vous écouter... » Finalement, quand Colin Parker se donna la mort, le soir du grand black-out, il commençait tout juste à aller mieux. » Bienvenue à Clair-Monde ! Ici, quelque part dans un futur proche, sous une épaisse couche de nuages et de brumes, vivent les citoyens d'une cité idéale où l'on vous interdit pour votre bien tout ce qui pourrait vous faire du mal : des implants bancaires sous l'épiderme contrôlent vos dépenses, une brigade d'intervention contre le suicide surveille vos accès dépressifs, les êtres qui vous plaisent sexuellement apparaissent sur un écran-traceur à portée de main, les drogues sont en vente libre, on a le droit au lifting et à la quasi-éternité. Si vous ne voulez pas être heureux, alors vous avez le choix : vivre aux confins de la cité, morts bancaires, junkies, obèses, détraqués. « Avec Clair-Monde le bonheur n'est plus une utopie ». Sauf qu'il y Syd Paradine... Un flic brillant, cabochard, en instance de divorce, et qui refuse de se plier aux législations du bonheur obligé, aux oukases du S.P.S (service de protection contre soi-même). C'est en enquêtant sur un suicide collectif d'obèses (double aberration !) qu'il comprend les mensonges et les trahisons de Clair-Monde. De la guerre narcotique aux couloirs des laboratoires, de la tyrannie cosmétique à la pédophilie érigée au rang des beaux-arts, de l'utopie démocratique aux opiacés, Syd flanqué d'une étrangement belle créature du nom de Blue vont mettre un sacré désordre. Résoudre le mystère. Sauver leur peau sur fond d'apocalypse. Entre la satire d'une société utopique reposant sur l'axe d'un bonheur obligé et le polar chandlerien, entre l'emprunt au cinéma et à la littérature de genre, Lolita Pille change ici du tout au tout. Crépuscule Ville est un roman ambitieux, ample, qui se joue des conventions, et nous montre le destin d'êtres du futur qui nous ressemblent terriblement.
Nortatem, un trentenaire américain, est complètement seul. Fred, son double, son ami de toujours, vient de se jeter par la fenêtre. Nortatem, lui, a quitté sa maîtresse, Georgia. Et sa proche amie est partie en France pour l'été. Alors il se retire dans le Vermont, où il fait son travail de deuil.
Dans la ferme qu'il a louée, loin de tout, il fume, il boit, il lit. Il marche. Il suffoque. Il enterre la vie et s'ouvre au monde sensible. Nortatem rencontre des êtres qu'il ne voyait pas, jusqu'alors. Une vieille indienne lui prête une moto, fait l'amour avec lui, s'endort comme une enfant dans un hamac. Un voisin rustre et souriant l'invite avec ses filles à des soirs de fête. La ville d'à-côté, personnage en soi, l'accueille dans ses bars, son café internet, dans sa tranquille inhumanité.
Dans une société qui marche vers l'ouest éternellement lointain, sauvage, nouveau, dans une société efficace et rude, Nortatem fait l'ours, un ours à qui l'on raconte des histoires d'enfant. Car il lit chaque soir un livre sans nom, un livre de contes tour à tour légendaires ou prosaïques, où les personnages se transmettent des symboles comme autant de talismans. Il lit des pages qui l'aident à comprendre, qui disent la passion du frère et de la soeur ; la séparation ; la cruauté des hommes ; la naissance d'un enfant ; l'amour...
Lorette Nobécourt mêle habilement la trame des jours ordinaires, dans un décor de primitivité, et les contes magnifiques qui font rendre gorge, et redonnent sens à ces mêmes jours. « Finalement, écrit l'auteur, cela commence de bonne heure un miracle. Il faut des années pour lui donner une forme, il faut d'immenses peines et d'immenses chagrins, il faut des morceaux de foi arrachés au désastre, jusqu'au moment où la vie vous prend tout entier. »
Comment inverser la courbe de l'emploi en France ? Yann de l'Ecotais répond : en mariant deux politiques, l'une libérale, l'autre dirigiste ; en choisissant l'interdépendance européenne et mondiale mais en tordant le cou aux lourdeurs réglementaires hexagonales. Pour en finir avec le chômage, un peu d'audace est nécessaire. Alors il sera possible de créer, à court terme, le million d'emplois qui permettrait de desserrer l'étau mortel : emplois familiaux générés par de vrais dégrèvements fiscaux, services quotidiens, qu'il faudra bien cesser de qualifier de "petits boulots", emplois municipaux qui n'impliquent pas d'alourdir la bureaucratie d'un pays, qui par ailleurs en meurt... Parce que, précisément, c'est notre manque de souplesse, autant que le carcan réglementaire, qui interdit le moindre rebond économique. Rien n'est perdu mais, il y a urgence ; et cette urgence doit se jouer dans nos têtes et nos comportements plutôt que dans les jérémiades inconséquentes et malvenues contre Bruxelles, les délocalisations et autres serpents de mer tout juste bons à ne pas regarder la réalité en face.
Combien de temps faut-il pour que l'Histoire accouche d'une nation ? Pour que des individus, inscrits dans des géographies ou des mémoires différentes, consentent un jour à assumer le même avenir ? Combien de temps pour que l'Europe, affranchie de ses anciens démons, accepte de devenir enfin ce qu'elle est ?
En 1788 un jeune universitaire anglais de vingt-trois ans, Lemprière, rédige en huit mois un dictionnaire des antiquités classiques qui fait encore autorité. En 1991, un jeune romancier anglais, Norfolk, invente les circonstances dans lesquelles Lemprière aurait écrit son livre : ainsi, le jeune érudit est-il le témoin d'une série de crimes qui reproduisent les légendes antiques dont son esprit est nourri, et, se croyant responsable de ces meurtres, il s'attelle au dictionnaire comme à un exercice de purgation mentale. Ainsi il est le jouet d'une mystérieuse société secrète qui tire les ficelles de la puissante Compagnie des Indes : neuf hommes dont le rêve est de revenir en triomphateurs à La Rochelle, d'où leurs ancêtres se sont enfuis au moment du siège (1628), et de balayer la monarchie française. Parce que sa famille a failli faire échouer leur entreprise, Lemprière est un ennemi à abattre ou un complice à récupérer... Jersey, Londres, Paris, Versailles, La Rochelle, l'Atlantique, la Méditerranée... L'oeuvre joue avec l'espace et le temps. D'une fantaisie baroque qui va jusqu'à l'extravagance : robots revêtus de chair, hommes volants, orangers en délire dans le parc de Versailles, etc. Cette fresque historique truquée est une fresque sociale : port de Londres, agitateurs de la pègre, policiers et juges paranoïaques, notaires véreux, inoubliable veuve Neagle, qui martèle le crâne d'un notaire avec son soulier... Roman policier, roman comique, roman d'amour, {le Dictionnaire de Lemprière} fut un grand succès en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne.
Les grands couturiers, elle a connu. Et les appartements luxueux, les soirées mondaines, Paris, les hommes. Elue Reine des Mousselines dans sa ville natale de province à l'âge de 17 ans, elle a été choyée, admirée, adorée. Isabelle avait un rêve. Il s'est brisé. Reste une jeune femme titubant, dans un manteau de fourrure dévasté, sur un trottoir de Tokyo où elle vend son corps. La fin d'une génération qui a trop cru aux vertiges de l'argent et de la réussite.
Paru en 1904, Marie Donadieu de Charles-Louis Philippe est l'histoire d'une passion.
« Il faut se rendre à l'évidence : en France, l'impôt sur le revenu ne touche que 49% des ménages et ne représente que 17% des recettes fiscales ? quand la très discrète TVA en constitue 47% ! La CSG déroge au principe de progressivité de l'impôt. Les cotisations patronales, assises sur les salaires, épargnent les profits des actionnaires mais pénalisent l'emploi. Les niches fiscales se sont multipliées. Et les nouveaux capitalistes, principaux bénéficiaires des réformes, ne sont plus porteurs du dynamisme économique. Car le théorème d'Helmut Schmidt, « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain » est désormais faux. En réalité, les profits d'hier sont l'épargne d'aujourd'hui et le chômage de demain.
Tandis que les inégalités explosent, creusées par les nouvelles injustices fiscales, la politique publique qui symbolisait la main visible et raisonnée du citoyen, armé du suffrage universel et de l'impôt progressif, est accusée de tous les maux. Après la parenthèse libérale ouverte par la gauche en 1983, la droite bonapartiste, Nicolas Sarkozy en tête, a elle-même soldé son passé gaulliste pour afficher sans honte un visage néoconservateur. La vieille valeur républicaine d'égalité cède la place à l'équité et l'on promeut du même coup l'inévitable « discrimination positive », instituant et stigmatisant la figure de l'exclu !
A l'heure où l'Etat social est, « réforme » après « réforme », sacrifié au profit d'une nouvelle société de rentiers, il devient urgent de réinventer l'impôt, dans le cadre d'une harmonisation fiscale « par le haut », nécessaire à l'intégration européenne. Universel, c'est-à-dire payé par tous, et fortement progressif, l'impôt redeviendra, en France et dans toute l'Europe, un attribut essentiel de la citoyenneté, la trame du lien social républicain, l'ami de la croissance, comme il le fut au cours des Trente glorieuses et l'est toujours dans les pays nordiques, le garant dans notre pays d'un modèle social et d'un service public justes et performants, qui restent encore les plus sûrs indices du développement .»
L.H.-N.
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« Dans un pays qui a subi des décennies de guerre, le signe évident de la fêlure sociale apparaît dans l'exploitation économique et politique du corps » écrit Rithy Panh dans son avant-propos.
Aun Tauch, Da, Mab, Phirom, Môm : elles sont des dizaines, dans le Building blanc, au centre de Phnom Penh, à travailler chaque soir sous la surveillance d'un « placeur » chargé de rabattre les clients. De très jeunes femmes, prostituées dès l'adolescence, venues de la campagne vendre à la capitale leur virginité, pour nourrir leur famille. Très vite, le peu d'argent auquel elles ont droit sert à rembourser les dettes contractées auprès de leurs patrons, qui les tiennent ainsi prisonnières, et à acheter le mâ, cette drogue à base d'amphétamines qui leur permet de tenir.
Tel une caméra invisible, Rithy Panh montre « ces fragments de vie pour dire le désastre anonyme de près de 30 000 femmes au Cambodge ». Misère matérielle et affective, sida, avortements à répétition, honte, mais aussi chants et rires, disputes et bavardages sans fin, confidences, joie des retrouvailles avec l'enfant, car elles sont parfois mères, espoir d'une existence autre témoignent de leur vie quotidienne. Leurs voix, au travers des destins singuliers de chacune, racontent une histoire féminine collective, qui reflète la tragédie d'un pays meurtri.
En 2007, Lorette Nobécourt quitte Paris et s'installe dans un village du sud. Pendant l'hiver qui suit, elle comprend qu'elle ne peut plus continuer. Ses repères se sont effondrés. Le froid est venu jusque dans sa maison. Dans le creux de ses mains qui tremblent. Dans ses os. Le miroir ne lui renvoie plus son visage, mais des éclats de tôle. Le monde se tord. La jeune femme dérive vers la prochaine station. Son monde est un crâne. Dans ce crâne, il y a ses enfants qu'elle aime sans plus pouvoir les rejoindre, un compagnon désemparé, des pages blanchies par le néant, une tornade de souvenirs, de peurs, de voyages, de voyants, de livres. Lorette Nobécourt traverse cette saison effrayante. Remise au monde, elle fait son travail : écrire. D'où ces cent pages arrachées à la nuit. Bien sûr, on ne peut plus écrire « d'âge d'homme », car notre temps n'a rien d'humain. Le temps nous use mais l'écrivain le lui rend bien. Quinze ans après La démangeaison, Nobécourt poursuit sa quête. Elle se livre au fil des pages. Analyse. Révèle. Qui es-tu, petite fille qui voit approcher une main d'ogre jusqu'à tes cuisses ? Es-tu celle qui écrit ? Es-tu l'héroïne d'un conte ? As-tu jamais grandi ? Vous n'oublierez jamais ce livre, qui est comme un carnet posé sur une table de nuit. Sur ce carnet, une main fébrile cherche l'élucidation. Sur cette table, la littérature s'écrit. Dans la nuit, une femme ressuscite. « L'usure des jours est aussi l'histoire du passage de la jeunesse à l'âge adulte, de la névrose à l'amour. Une mue qui a presque l'allure d'une récompense. »