Selon la philosophe Judith Butler, le problème de la soumission nous concerne tous, ne serait-ce qu'en raison de notre attachement aux personnes à qui nous sommes subordonnés - notamment l'enfant à ses parents. Toute vie humaine se présente comme le site d'un conflit irrésolu entre soumission et émancipation ; les femmes se retrouvent toutefois dans une position singulière en raison de l'association encore souvent posée entre féminité, passivité et soumission. Dans un tel contexte, comment penser le désir des femmes sans les placer dans une position réactive - où elles ne pourraient que répondre au désir des hommes pour elles ?
Malgré la grande place attribuée à la sexualité dans la littérature des femmes actuelle, on s'est peu interrogé sur la façon dont l'expression d'un désir marqué par la soumission soulève des questions sur l'imaginaire contemporain. En s'appuyant sur des oeuvres de Nelly Arcan, Catherine Millet et Annie Ernaux, Joëlle Papillon propose que, derrière une soumission de surface, les narratrices expriment une résistance aux normes de la féminité. Pratiquer une « passivité active » permet à ces femmes désirantes de rejeter la place qui leur est faite dans les échanges sexuels traditionnels, nous incitant à réimaginer les formes qu'emprunte l'agentivité sexuelle des femmes.
Ce dossier est né d'un désir de comprendre comment le syntagme « fille-s » se décline dans l'imaginaire littéraire contemporain au Québec à travers les articulations culturelles, esthétiques et politiques de la fille ou des filles mises en oeuvre dans la littérature depuis la fin des années 1980. Contrairement aux présuppositions tant théoriques, critiques que morales qui ont largement contribué à l'avancement et à la dissémination des études portant sur les configurations contemporaines de la littérature au Québec, très peu a été rapporté sur la place des filles face au « bouleversement énorme qui [allait] suivre[1] ». Or, il demeure important de reconnaître que « l'abolition de la distance qui sépare les femmes entre elles », celle qui se déploie implicitement ou explicitement dès la fin du xixe siècle chez les personnages de Laure Canon, de Germaine Guèvremont, d'Anne Hébert, de Gabrielle Roy, pour ne nommer que celles-ci, se matérialise nécessairement, affirme Patricia Smart, grâce à « la force des filles[2] ». Le cheminement intellectuel qui se donne à lire à travers ces figures s'élabore aussi dans d'autres études sur les filles au Québec - je pense notamment aux travaux de Martine Delvaux dont l'essai Les filles en série[3] a placé « les filles » à l'avant-scène de la réflexion féministe. Elle montre qu'il y a un effet « simultanément séduisant et anesthésiant d'une image sérielle qui s'offre à nous comme divertissement[4] ». Mais cet essai associe un éventail d'images (des Tiller Girls aux Barbie en passant par les Pussy Riot) pour mettre en relief le fait que ces représentations du corps féminin sériel ne peuvent être cantonnées à une lecture homogène. Le pouvoir de résistance et de rébellion des filles lors du printemps 2012 au Québec se donne à lire dans le fait qu'elles se sont mobilisées dans la rue, sur la ligne de front, en risquant d'encaisser les coups. La fille est une figure qui vit donc à l'heure actuelle une sorte de nouvelle vague sur le plan de l'imaginaire littéraire.
C'est sur les approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l'extrême contemporain que se penche le plus récent numéro d'Études littéraires, dirigé par Julien Defraeye et Élise Lepage. « S'intéressant aux questions environnementales en contexte littéraire, l'écopoétique interroge le langage et les représentations sans se départir du monde, du réel et de ses contraintes et impératifs. Alors qu'une conscience environnementale dans la littérature s'est éveillée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale en France et à partir des années 1970 au Québec, l'écopoétique - une des ramifications de l'écocritique - fournit aujourd'hui à la recherche en littérature une perspective d'analyse des plus fertiles [...] ». « Se donnant pour aire d'analyse les littératures française et québécoise de l'extrême contemporain (début du XXIesiècle), [les collaborateurs.trices] examinent une belle sélection de textes d'auteurs de la France (Éric Chevillard, Maylis de Kerangal, Jacqueline Harpman et Jean-Loup Trassard) et du Québec (Louis Hamelin, Natasha Kanapé Fontaine, Robert Lalonde, René Lapierre, Monique Proulx, Lise Tremblay et Pierre Yergeau). ». (extraits de la présentation)