Conte malien. La malédiction s'est abattue sur le village de Kirigi car un maudit chasseur a tué un crocodile. En signe de protestation, le vieux sorcier Youbou s'est réfugié dans une grotte. Aïssatou, une jeune fille, originaire du camp des Fixés, viendra vivre non loin de lui. De leurs bouches vont naître des histoires invraisemblables. Celle d'Oruluba, le chasseur, qui devra quitter Kirigi. Celle du grand-père d'Aïssatou, le voleur génial. Celle du hibou dont Aïssatou mangea le coeur... Celle du cobra cracheur que rapporta Youbou afin qu'Aïssatou puisse effacer la malédiction qui sème la misère dans cette région du pays de Bandiagara.
Depuis l'enfance, on a grandi dans le mensonge, on nous a menti, on a élevé des murs autour de nous. Mais depuis l'enfance, pour avoir entendu un cri, le cri d'un fou dans un village, nous nous sommes échappés, nous avons fui, nous avons longé les frontières, nous avons franchi des pays. Depuis l'enfance, nos maîtres, ces maraudeurs de l'invisible, ces bourreaux aux mains tranquilles, nous ont demandé sans relâche de nous tenir du bon côté, d'être avec les forts, avec les puissants, avec Dieu que ceux-ci vont saluer le dimanche dans leurs églises, dans leurs couvents. D'une certaine façon, nos Maîtres ont raison. Il y a bel et bien une ligne de partage. D'un côté, la raison, les comédies, les mascarades, les tueries et de l'autre, la vie pure, l'impossible vie, la vie trop vaste pour notre pas, les jours éblouissants. Sans cesse, nos Maîtres ont repris la chanson. En vain. Sans le vouloir vraiment, nous fûmes poussés sur les chemins, nous sommes allés au bout du monde. Sans terre, sans propriété d'aucune sorte, juste avec un peu d'encre et de papier. Et le cri du fou dans notre bouche. On a dessiné une autre vie sur une page, on a inventé des soleils, on a écrit des lettres pour les yeux de personne. Pour la vie silencieuse. Pour les jours qui passent. Pour l'orage dans notre coeur. Une poignée de lettres brûlées le long des frontières. Une poignée de lettres contre la neige des raisons. Joël Vernei