Le 18 mai 1968, sous les drapeaux rouges et noirs de la Sorbonne occupée, se constitue le Comité d'action étudiants-écrivains. Pendant des mois, ses militants se réunissent pour produire des tracts, des affiches et des bulletins et les distribuer au carrefour des rues, sur les marchés, aux portes des usines, à l'exemple des centaines de comités apparus dans la région parisienne. Délaissant la littérature, ils défendent l'espace public oppositionnel créé par le soulèvement, où ils reconnaissent l'émergence d'une parole d'outrage et la préfiguration d'un communisme libertaire.
Aux côtés de Marguerite Duras, Daniel Guérin, Jean-Jacques Lebel, Dionys Mascolo et d'une vingtaine d'autres écrivains et intellectuels, Maurice Blanchot s'engage corps et âme dans ce comité. Se mêlant aux foules insurgées, il prend le parti de la « pègre », des « émeutiers » et des « enragés », de tous ceux qui s'éprouvent ingouvernables. Ces semaines insurrectionnelles qui viennent clore pour lui une décennie d'engagements anti-autoritaires lui donnent le sentiment d'être à la fin de l'histoire, toute communauté dissoute, tout pouvoir destitué : « la révolution est derrière nous ».
Au-delà de l'analyse du récit appelée naguère narratologie, cet essai vise à mettre en lumière l'historicité des pratiques narratives en regard des modes de transmission de la mémoire culturelle. Pour cela, il propose d'interroger la résurgence des représentations cycliques du devenir depuis le XIXe siècle, dont on trouve des occurrences chez Hugo et Michelet, Baudelaire et Blanqui, Marx et Nietzsche, ou encore, au siècle dernier, chez Pierre Klossowski et Claude Simon. Pourquoi la modernité, qu'une vulgate historienne dit structurée par le temps cumulatif et linéaire du progrès, redécouvre-t-elle l'éternel retour des êtres et des événements ?
Cet art du récit fondé sur la répétition est une réplique à la mutation des formes de l'expérience du temps amorcée au déclin des Lumières. En réponse au régime moderne d'historicité que Walter Benjamin et Hannah Arendt évoquaient dans les termes d'une crise de l'expérience et d'une rupture de la tradition, les poétiques de la répétition élaborent une singulière politique du deuil selon laquelle le passé qui revient ne réconcilie pas le présent avec l'autrefois, mais fait différer le présent d'avec lui-même. Or cette résistance mélancolique, qui multiplie fantômes, spectres et revenants, témoigne exemplairement de l'impact du régime moderne d'historicité sur les arts du récit depuis deux siècles.
Revenances de l'histoire est paru en 2006.
Mallarmé a connu des vies posthumes que ne suffisent à conjurer ni le recours aux registres de l'état civil ni le retour au corpus de ses textes. À l'âge de l'existentialisme, les critiques littéraires inscriront la négativité de sa poésie dans les aventures de la dialectique. Aux grandes heures du structuralisme, les avant-gardes le croiront capable de réconcilier Marx et Saussure. Quand tomberont les statues de Lénine, les philosophes liront dans ses vers la mémoire d'un siècle de révolutions. Voici Mallarmé tel qu'en lui-même le XXe siècle le change.
Cette tradition interprétative, qui prend à revers la question de l'engagement littéraire, nous invite à reconnaître l'inventivité polémique des gestes de lecture et d'interprétation. Car ce n'est pas les intentions de l'écrivain qui produisent la signification politique des textes, mais les stratégies herméneutiques des lecteurs. La politique de la lecture qui a inventé la figure du camarade Mallarmé est un art du contretemps, toujours à la limite de l'anachronisme, qui rend perceptible, dans la littérature d'autrefois, une force d'opposition et de rupture toujours actuelle. Le destin politique de Mallarmé illustre les tours et détours d'une lecture engagée.
Depuis un demi-siècle, on prétend que les semaines insurrectionnelles de mai et juin 1968 n'ont eu aucune incidence sur la littérature, si ce n'est de quelques oeuvres mineures aussitôt reléguées à l'oubli. D'où le paradoxe d'une explosion révolutionnaire sans égale dans le XXe siècle français, qui a suscité et suscite encore un foisonnement d'interprétations, de commentaires, de témoignages, mais dont le souffle contestataire aurait à peine été ressenti dans le monde littéraire. Pourtant, à condition de porter l'enquête au-delà de la thématique des oeuvres et de l'ouvrir aux apports des sociologues et des historiens, qui ont profondément renouvelé depuis dix ans notre compréhension de la crise de mai et juin, force est de constater que des écrivains, des critiques et des théoriciens ont bel et bien oeuvré à transposer en littérature le renouvellement des pratiques et des discours de la contestation. À l'occasion du cinquantième anniversaire des « événements », ce dossier démontre que le cycle de mobilisation qui culmine dans la crise de Mai, en remettant en cause la division du travail entre écrivain et lecteur, en critiquant les institutions qui assurent la production et la médiation des textes, en traquant les effets idéologiques engendrés par le culte des oeuvres et des écrivains, a bouleversé l'idée même de littérature et les modalités de son action dans l'espace public. À ce titre, les « années 68 » marquent sans doute une inflexion majeure dans l'histoire des politiques de l'écriture.
Un lieu archi-commun de l'histoire littéraire veut que Jean-Paul Sartre soit un auteur pour qui le rapport à l'autre homme de lettres se réalise toujours sur le mode de l'agression. Qui ne connaît les célèbres éreintements réservés à François Mauriac, Maurice Blanchot ou Albert Camus ? On a même voulu faire croire à une rivalité secrète opposant Sartre et Simone de Beauvoir... Pourtant, les oeuvres de Sartre, comme celles de tout autre écrivain, ont la littérature en partage. La nausée, Le mur, Les mouches, Le sursis, Qu'est-ce que la littérature ?, Les séquestrés d'Altona, Les mots, L'idiot de la famille entretiennent des échanges multiples avec des textes phares signés par des auteurs aussi divers que Miguel de Cervantès, Guy de Maupassant, Roger Martin du Gard, Georges Bataille, Ernest Hemingway, Jacques Rancière et bien d'autres encore. C'est en faisant voir cette interdépendance, trop souvent laissée de côté, que les articles réunis dans « Jean-Paul Sartre, la littérature en partage » montrent comment les différentes facettes de l'écriture et de l'imaginaire sartriens sont inextricablement liées à la littérature qui se fait.
Blanchiment d'argent, liens avec le crime organisé, fraude fiscale, deals aux montants indécents : pour la première fois, le président d'une banque suisse de gestion de fortune témoigne.
Et pas n'importe lequel : François Rouge. Issu d'un milieu modeste, il devient très vite "broker" et fait fortune.
Sollicité par les autorités suisses, il rachète à 36 ans la Karfinco, la banque de l'affaire Mani Pulite en Suisse.
Elle est rebaptisée Banque de Patrimoines Privés Genève (BPG) et il réalise alors son rêve : créer une plate-forme pour d'autres opérations plus ambitieuses.
À bord de son jet privé, il gère les comptes de ses riches clients européens, notamment français, il dirige des hôtels de luxe, administre des sociétés dans le monde entier, et supervise - entre autres - les fonds pétroliers du pouvoir angolais, des Bahamas aux États-Unis en passant par Zurich.
Mais l'univers compassé de la gestion de fortune genevois l'ennuie. Alors François Rouge s'associe à des "hommes d'affaires" corses pour mettre la main sur des restaurants et le Cercle de jeux Concorde,
rapidement devenu l'enjeu de violents conflits entre deux clans liés au grand banditisme.
C'est la descente aux enfers : arrêté, mis en examen et incarcéré aux Baumettes, à Marseille, François Rouge est aussitôt banni de la bonne société genevoise. Certains appuis le lâchent et ses associés lui tournent le dos, il doit brader sa banque.
Condamné à dix-huit mois de prison, il ne souhaite pas maintenant régler ses comptes, mais plutôt raconter de l'intérieur le vrai pouvoir, celui de la finance.
Ian Hamel est journaliste français, correspondant du Point à Genève et collaborateur de l'Agefi, le quotidien suisse de la finance. Depuis deux décennies, il croise les principaux acteurs politiques, économiques et financiers de la Confédération helvétique.