C'est en 1711 qu'Antonin Sagredo, patricien de Venise, débarque à Nauplie, capitale de la province grecque de Morée, que se disputent sans cesse le Sultan et la Sérénissime République. Flanqué d'un architecte français, nommé Lasalle, le nouveau gouverneur a pour mission d'édifier une forteresse moderne, sur la plateau qui domine la ville, et pendant trois ans, il va se passionner pour cette tâche, dont il note avec précision les étapes et les surprises.C'est le journal de Sagredo qui forme la charpente de ce livre envoûtant, où les menus événements du chantier s'insèrent au quotidien d'une vie de garnison en pays hostile, contrainte au qui-vive, à la répression, ou aux étranges habiletés de la politique vénitienne.Peu à peu, cette construction devient pour le narrateur une raison d'être, comme si son existence devait se confondre avec la réussite de l'entreprise. Elle sera la marque de son passage, la projection de ses rêves, en même temps que le rempart, peut-être illusoire, contre l'obscur danger dont il pressent la menace. Mais comment deviner le visage de l'absurde, quand il a décidé de se glisser dans un destin ?Souvent syrthe par ses rivages, parfois tartare en ses déserts, et cependant d'une précision historique irréprochable, l'univers de Bruno Racine s'impose dès ce premier roman, avec la cinglante évidence d'un talent déjà superbement maïtrisé. L'ambition, la vigueur, l'imagination s'y rejoignent dans l'épure de l'architecte, mêlant à la beauté du dessin classique, l'insolite, l'insidieux secret d'un mystère, caché derrière ces lignes droites.
Située dans le Pacifique, l'île de Soaru (dans la réalité : Noru) est exploitée (au sens cruel du mot) par les hommes de la Compagnie forestière du Pacifique - compagnie à laquelle elle est liée par un contrat draconien (bien sûr...). L'île est à ce point surexploitée, pillée, ravagée qu'une de ses parties menace de s'effondrer. Les représentants politiques du peuple de l'île veulent renégocier le contrat qui les lie à la Compagnie... Pour ce faire, ils font appel à l'arbitrage d'un avocat international et l'histoire poignante de Soaru va devenir aussi l'histoire émouvante de cet homme qui, les réunions des parties en conflit devant se dérouler à Rome, ne peut que retrouver, à Rome où elle habite, une jeune femme qui fut dans sa vie et avec laquelle il a rompu sans savoir pour quelles précises raisons... L'événement géologique qu'incarne cette île menacée va s'imbriquer, pour le narrateur et pour le lecteur, dans un événement psychologique...
Paris, 16 décembre 1638. François Leclerc du Tremblay, le père Joseph, conseiller de Richelieu, son "éminence grise", n'a plus que deux jours à vivre. Deux journées en apparence ordinaires pour cet homme au faîte de la puissance, qui suppute les succès et les revers des missions d'Orient, attend l'issue du siège de Brisach et songe à prendre un jour la place de Richelieu. Pourtant, des événements mineurs vont troubler ces heures et amener le capucin à s'interroger sur sa propre énigme. Le souvenir de l'affaire des possédées de Loudun, la lecture d'une supplique envoyée par un village d'Alsace, une rencontre au hasard des rues de Paris font surgir l'image d'une tendresse oubliée et d'un mal peut-être nécessaire. Par une série de contrastes entre le cloître et la cour, la solitude et les grands espaces militaires, Bruno Racine dessine le portrait puissant d'un personnage aux facettes multiples, homme d'Eglise et chef de guerre, diplomate et poète, réaliste et mystique. On retrouve ici le talent éclatant et la marque de l'auteur du Gouverneur de Morée.
Pierre, chercheur en sciences politiques, spécialiste d'Europe centrale, solitaire et nomade, apprend trop tard la mort de sa mère. Il reçoit le legs qu'elle a tenu à lui faire : une maison en Haute Provence qu'il pensait destinée à son frère et dont il découvre peu à peu l'origine. L'énigme touche à des interdits majeurs : tel un miroir, elle reflète les amours et l'errance du narrateur.
Toutefois, le legs délivré est peut-être une délivrance ; les pierres sont une parole qu'une mère adresse à son fils qui s'est muré dans le silence. A ce dernier elle offre, au-delà de sa propre mort, une seconde naissance, non sans incertitudes.
Dans ce texte poignant, et après plusieurs années de silence, Bruno Racine franchit une étape décisive de son oeuvre singulière, plus que jamais dédiée au secret, à la distance infranchissable, à l'ambiguïté des fins et des commencements.
Bruno Racine, né en 1951, est le directeur de la Villa Médicis à Rome. La Séparation des biens est son quatrième roman.
Au commencement du livre, nous savons que le drame est déjà noué. Jérôme, universitaire esthète et spécialiste de Saint-Augustin, est mort en Algérie, dans des circonstances encore inexpliquées. Mais si nous apprenons vite la trame, nous ignorons tout de ce qui a pu mener Jérôme à Tipasa, dans une Algérie contemporaine, que déchire une guerre qui ne dit pas son nom. Qu'allait-il faire en Algérie, dans ce lieu sacré, le tombeau de la Chrétienne ? Une curiosité d'érudit ? S'agit-il d'un traquenard islamiste ? Quel rôle a pu jouer la brune et belle Aurore-Tipasa : leurre, piège, ou vertiges d'un amour secret ? Combien profonde fut l'amitié entre Jérôme et le narrateur, pour que celui-ci abandonne ses activités et tente de donner un sens à la mort de son ami ?
Récit tout en mystère, polar des sentiments qui nous égare de Rome à Tipasa, du témoignage d'un prêtre en terre musulmane à la silhouette énigmatique d'une femme, portrait en creux d'une algérienne née en France, puzzle de personnages en quête d'eux-mêmes, le roman de Bruno Racine joue admirablement de l'ombre et des lumières.
Tout commence ici par la réapparition d'un tableau : « La source », copie par Picasso d'un célèbre tableau d'Ingres, a disparu en 1940 à Paris en même temps que d'autres biens appartenant à un collectionneur d'origine juive, Léopold. C'est à Odessa, entre les mains d'un affairiste russe, que la toile réapparaît mystérieusement, identifiée par un historien d'art, mêlé malgré lui à cette intrigue presque policière. Faut-il le restituer à l'héritière, Marina, qui vit à Volterra dans la villa que lui légua son grand-père Léopold, génial mais ambigu collectionneur ? Faut-il au contraire garder le secret au risque de spolier encore une fois Marina ? Le passé se visite comme une maison aux recoins secrets : Marina en orpheline de la mémoire ignore tout des conditions tragiques dans lesquelles sa grand-mère déportée trouva la mort ; en écho à cette révélation, le narrateur enquête sur le judaïsme possible d'une partie de sa famille native d Odessa, ressuscite les pogroms russes et les conversions forcées, auscultant en lui la part d'étrangeté qu'on lui a longtemps cachée. « La source » devient le sésame d'une quête des origines où progressivement le désir, et peut-être l'amour, vont sceller un pacte entre Marina et le narrateur. Le présent leur apporte alors les réponses que le passé leur refuse. Une nouvelle page s'ouvre.
D une demeure en toscane au cimetière juif de Livourne, d Odessa cosmopolite et baroque à New York éternel refuge des immigrés, se noue une intrigue habillement tressée où les jeux de l'amour et du hasard entraînent les personnages à la découverte d'eux-mêmes : mais sait-on jamais qui nous sommes ?