Sur les lieux de la Route de l'Esclave dans le Bénin méridional, l'institution d'une mémoire officielle de la traite négrière a été accompagnée, dans les années 1990, d'un mouvement de réforme des cultes vodun mené par leurs dignitaires ainsi que par des élites intellectuelles et politiques.
Issu d'enquêtes effectuées entre 2005 et 2012, ce livre propose une analyse de certains espaces publics et cérémoniels porteurs d'un héritage culturel et moral émanant du passé esclavagiste. À la fois sélective et projective, la mémoire de ce passé suscite des interprétations, des fictions et des récits, mais également des oublis créateurs, entre reconstitutions consensuelles et versions partiales des faits historiques.
Le rappel d'événements récents, mais déjà fondateurs - tels le Festival des arts et de la culture vodun Ouidah 92. Retrouvailles Amériques-Afrique en 1993 ; le lancement de la Route de l'Esclave en 1994 ; la création de la Fête nationale du vodun en 1997 ; la tenue annuelle, depuis 1998, de la Marche du repentir - est associé ici à une réflexion sur le moment patrimonial contemporain.
Au prisme des rapports entre narrations locales, savoir ethno¬graphique et vulgates missionnaires, cette recherche interroge l'émergence actuelle d'une connexion mémorielle entre figures du passé de l'esclavage et entités vodun devenues l'expression d'une religion à la fois « endogène » et « diasporique ».
Gaetano Ciarcia est professeur d'ethnologie à l'Université Paul-Valery - Montpellier. Il est l'auteur du livre De la mémoire ethnographique. L'exotisme du pays dogon (Éditions de l'Ehess, 2003) et, avec Jean-Christophe Monferran, du film documentaire Mémoire promise (Cnrs Images, 2014).
Pour valoriser leur histoire et leurs « traditions », les groupes ou les individus s'approprient et transforment couramment les mots et les imaginaires des autres en visant une identité consensuelle qui répondrait non seulement à leurs attentes, mais aussi aux regards et aux discours extérieurs.
Dans ce jeu de miroir, paroles, écrits et images se croisent et se combinent en direction de différents publics. Localement, les créations plastiques et les récits oraux des artistes ou des élites s'inspirent en partie des publications ethnologiques ou des stéréotypes culturels véhiculés par les médias. En retour, ils produisent de nouveaux écrits selon des enchaînements circulaires permettant d'accorder culture locale et communication globale, tradition et création contemporaine, savoirs « autochtones » et travaux scientifiques, mémoires du passé et revendications du présent.
Anthropologiques, historiques ou linguistiques, les quinze études réunies dans cet ouvrage analysent les usages identitaires ou mémoriels de ces va-et-vient constants entre oralités, écritures et/ou images afin d'en saisir les raisons et les effets dans différents contextes africains, américains et européens.
Gaetano Ciarcia, anthropologue, est professeur à l'université Paul- Valéry - Montpellier et membre du CERCE (Centre d'études et de recherches comparatives en ethnologie) ; Éric Jolly, anthropologue, est chargé de recherche au CNRS et membre de l'IMAF (Institut des mondes africains). Ont également contribué à cet ouvrage : Véronique Boyer, Carlo A. Célius, Christine Chivallon, Magali Demanget, Pauline Guedj, André Mary, Claire Cécile Mitatre, Paulo Fernando de Moraes Farias, Gino Satta, Jérôme Souty, Jean-Louis Triaud, Cécile Van den Avenne, Fabio Viti.