"Un chagrin d'amour, cause du suicide de son cousin Cyrille ? Nil n'y a jamais cru, mais cela s'est passé il y a si longtemps, il n'y pense plus. Le seul chagrin d'amour qui l'occupe, c'est le sien : la belle Constance vient de le plaquer.
N'était cette rupture, dans son cercle amical, tout va bien. Grâce à la loi votée à Paris, Nathalie et sa jeune amante Lioubov projettent de se marier au consulat général de France à Naples ; Mathilde, dont le premier long métrage, Les Pantoufles de Don Alfonsetto, reçoit un accueil enthousiaste de la critique italienne, et Raoul, son ex demeuré proche, seront leurs témoins ; le bruit court que le hiéromoine Guérassime, qui exerce son apostolat à Venise, à Naples et au monastère Saint-Barsanuphe, dans le Gard, sera prochainement sacré évêque.
Qu'enferme le dossier constitué au lendemain de la Libération par l'avocat Davydoff qui soudain perturbe cette harmonie ? Quels cadavres oubliés ressuscite-t-il ? Quel est le secret qui fut jadis la vraie raison du suicide de Cyrille et, en 2014, bouleverse la vie de Nil ? Quel rôle a joué dans celle de leur famille le Hauptsturmführer SS Brunner ? Quels sont ces péchés d'autrui surgis du passé dont on veut que Nil porte le poids ?"
Gabriel Matzneff.
« Mais notre véritable star s'appelait Gabriel Matzneff. À force d'irriter les lecteurs, Gabriel Matzneff avait fini par les fasciner : devenu collaborateur régulier de nos tribunes libres, on ne pouvait plus s'en passer. Il manquait, cependant, une corde à son arc : pourquoi ne pas confier à Matzneff la télévision ? Combat, qui n'accordait guère de place au petit écran, aurait ainsi une chronique libre, dont le point de départ serait toujours une émission, un débat ou, au besoin, une intrigue de couloir. La Séquence de Gabriel Matzneff fait partie des points d'orgue de ces années folles. »
(Henry Chapier, Quinze ans de « Combat »)
Le général de Gaulle règne sans état d'âme sur une télévision aux ordres. À la veille de la première élection présidentielle au suffrage universel de la Ve République, le jeune Gabriel Matzneff, frondeur et partisan de François Mitterrand, ferraille sans trêve contre le pouvoir, persifle la bêtise des divertissements dont celui-ci ahurit le peuple. Un bouquet de joyeux duels qui, en 2012, n'a rien perdu de son actualité politique, libertaire.
'La liberté n'est jamais acquise, elle est une perpétuelle reconquête. Quand je vois l'imbécile "nouvel ordre mondial" prôné par les pharisiens glabres d'outre-Atlantique et les excités barbus d'Arabie (qui, les uns et les autres, prétendent régenter nos moeurs, nous dicter ce que nous devons penser, croire, écrire, manger, fumer, aimer) étendre son ombre sur la planète, j'ai l'impression d'avoir labouré la mer, écrit et agi en vain. Pourtant, je m'opiniâtre. Qu'il s'agisse de la résistance au décervelage opéré par les media, de la résistance à l'omniprésente vulgarité des mufles, de la résistance aux prurigineux anathèmes des quakeresses de gauche et des psychiatres de droite, Séraphin, c'est la fin!, où sont assemblées des pages écrites de 1964 à 2012, témoigne que je demeure fidèle aux passions qui ont empli ma vie d'homme et inspiré mon travail d'écrivain ; que, jusqu'au bout, je persiste dans mon être.' Gabriel Matzneff.
«Je fus, en 2007, choqué par l'insistance grossière avec quoi les media (de gauche comme de droite), lors de l'élection de Nicolas Sarkozy et du décès du cardinal Jean-Marie Lustiger, mirent l'accent sur les origines hongroises de l'un, polonaises de l'autre ; sur le sang rastaquouère qui coulait dans leurs veines. Ces considérations étaient d'une extraordinaire inconvenance, mais les goujats qui les exprimèrent n'étaient même pas conscients de leur goujaterie, tant ce thème de la race, des Français de souche et de ceux qui ne le sont pas, appartient désormais à la conversation courante, est entré dans les moeurs. Jamais depuis la Libération les crispations xénophobes n'ont été en France aussi vives. Je suis incommodé par ce retour aux racines qui est tant à la mode, par ce barrésisme de bas étage dont on nous casse les oreilles (et que Barrès assurément récuserait), par cette apologie du droit du sang aux dépens du droit du sol, par cette soudaine prolifération de l'adjectif identitaire que l'on chercherait en vain dans le Littré. Au coeur de ce livre qui traite de politique, d'art, de religion, se trouve donc la question de l'émigration, de l'identité nationale. Vous avez dit métèque? exprime quarante ans de la vie d'un artiste qui, fils d'émigrés russes, a mis son talent et son énergie créatrice au service de la langue française ; qui, nonobstant son nom exotique farci de z et de f comme une dinde de Noël l'est de marrons, a l'audace de penser que ses livres servent la France, s'incorporent à son patrimoine littéraire.» Gabriel Matzneff.
Nathalie, qui ne croit pas en Dieu, regrette que sa petite amie Lioubov, pieuse iconographe, observe strictement le sévère carême de l'Église orthodoxe ; Raoul est exaspéré par sa jeune amante, Delphine, qui, friande de modernité, le bombarde de sms et raconte leur vie sur Internet ; Nil souffre de devoir partager Constance avec un autre homme ; Alphonse, frais comme un gardon mais très vieux, hésite à rejoindre son ami Béchu en Thaïlande ; à leur âge, s'obstiner à vivre, est-ce bien raisonnable? Ces passions croisées se déroulent à Naples, à Venise, à Rome, en Suisse, à Paris, sous l'oeil attentif du hiéromoine Guérassime. Les passions et la Passion. La résurrection du Christ, mais aussi, et c'est le fil conducteur de ce roman, la résurrection des amours de Nil qui, avec l'aide d'une jolie et blonde documentaliste, Marie-Angélique, classe les archives de sa tumultueuse vie érotique - lettres, photos, documents divers - pour les confier à la Bibliothèque de la Mémoire ; les sauver de la destruction et de l'oubli.
Français par le droit du sol, je n'ai jamais tenu mes origines étrangères pour une gêne, une entrave, mais au contraire pour une source féconde. Aussi, métèque et fier de l'être, éprouvé-je un vif plaisir à ressusciter un de mes aïeux russes, le comte Ivan Matzneff, chaud lapin « amant de toutes les actrices de Paris » selon Barbey d'Aurevilly, ami du prince Louis-Napoléon, d'Alexandre Dumas, du chevalier d'Orsay, aéronaute passionné qui, en 1851, publia Un voyage dans les airs de Paris à Spa, en trois étapes, succulent récit qui, en 2012, n'a rien perdu de sa saveur, de son charme, de sa drôlerie ; qui est pour moi l'occasion de réfléchir sur cette Russie réelle ou imaginaire qui, depuis mon enfance, aura joué un si grand rôle dans ma vie.
G. M.