Interroger le fanatisme de la vérité qui gouverne la philosophie, reconnaître la vie seule pour source de toute valeur, l'indépendance pour la vertu suprême du philosophe, et rechercher une réconciliation inédite de l'art et de la science : tel est pour Nietzsche le sens du gai savoir.
Publié en 1882, réédité et augmenté en 1887, cet ouvrage met en oeuvre les principaux thèmes de la
pensée de Nietzsche, dont celui de l'éternel retour, qu'il introduit ici pour la première fois. L'auteur y déploie le projet d'une guérison de l'humanité, d'un regain de force et d'amour de la vie : « suprême espérance » qui ne saurait se conquérir que dans la douleur... et dans l'ivresse.
Dossier
1. La force de vivre : comment surmonter les idéaux maladifs ?
2. La philosophie de l'avenir : une thérapeutique culturelle
3. Le gai savoir : l'affirmation de la vie
o Glossaire des principales notions de la philosophie de Nietzsche
"Ainsi parlait Zarathoustra est sans conteste le livre le plus déroutant d'un philosophe lui-même inclassable.
Nietzsche prétendait par là donner à l'humanité la "Bible de l'avenir", une Bible profane qui supplanterait toutes les autres. D'où l'étrangeté et l'indéfinissable beauté de cet hymne à la vie pleine et entière. "Peut-être Zarathoustra appartient-il tout entier à la musique : il est en tout cas certain qu'il présupposait une véritable renaissance de l'art d'écouter", écrit Nietzsche dans Ecce Homo de ce "livre pour tous et pour personne". Quoi de plus naturel alors que de faire entendre les meilleurs morceaux de cette musique inouïe ?
Le risque d'une lecture à voix haute était certes de céder à l'exaltation romantique, mais Thierry Frémont a su trouver la juste tonalité lyrique, qui permet d'exprimer l'enthousiasme sans mièvrerie.
Volume 1 : L'ouvrage débute par le déclin de Zarathoustra, qui n'hésite pas à se perdre d'abord pour mieux se retrouver par la suite. Pour devenir peu à peu ce qu'il est, à savoir le prophète de l'éternel retour du semblable, ce porte-parole exotique de la pensée de Nietzsche s'engage ainsi dans un voyage pour l'essentiel intérieur, jalonné de rêves éveillés, dans le but de sortir l'humanité de son "profond sommeil" et lui indiquer la voie de la grandeur, de la victoire sur soi."
Claude Colombini & Yannis Constantinidès
« Combien de sang et d'horreur au fond de toutes les "bonnes choses" !... » écrit Nietzsche. La Généalogie de la morale applique ce principe désacralisant : l'idéal moral (ascétique) a désormais un prix, payable « en livre de chair ». Principe cynique, qui découvre les pieux mensonges et les faux-semblants (autrement dit, bons sentiments et saintes intentions).
Les hommes « modernes », de « progrès », ont là un miroir pour leurs interdits, leurs impuissances et leurs malentendus : la mièvrerie du consensus démocratique, la moraline du troupeau, les passions tristes qui rabotent les aspérités de la vie, la phobie de l'autorité (le « misarchisme »), la névrose généralisée du salut par l'art, la science ou la religion.
Mesurons ce que l'animal humain a perdu dans l'affaire - l'innocence et la joie de l'affirmation première de la force, la vraie méchanceté, la distance, la noblesse - et son nouvel infini : réinventer un sens fort après des millénaires de sens faible.
Parue en 1872, La Naissance de la tragédie est l'acte de naissance d'un philosophe convaincu que seule la confrontation avec ce qui nous est étranger nous donne accès à nous-mêmes.
En interrogeant la genèse de la tragédie antique à partir des pulsions que sont l'apollinien et le dionysiaque, Nietzsche met en lumière le sens du pessimisme propre à la Grèce présocratique. Ce "pessimisme de la force", lucide quant au caractère douloureux de la vie humaine, n'exclut pas, mais au contraire renforce le désir d'exister. Par contraste, Nietzsche interroge également une autre forme de pessimisme : le nihilisme dont souffre l'Europe moderne, conséquence paradoxale du rationalisme socratique.
La Naissance de la tragédie inaugure ainsi une forme de philosophie radicalement nouvelle : une philosophie qui, contre la rationalité triomphante, met au jour le fond pulsionnel de toute activité humaine, et qui s'attache à comparer et à évaluer les cultures, en vue de mieux comprendre le présent et de transformer l'avenir.
Dans L'Antéchrist, au titre volontairement équivoque, le Christ est étrangement épargné, tandis que la charge vise les "chrétiens". Le christianisme, dit Nietzsche, est une invention de l'apôtre Paul, qui falsifie la "bonne nouvelle" du Christ pour en faire une "foi", le "mensonge sacré" d'une morale de la négation de la vie sous le symbole de la Croix : "Ce qui est chrétien, c'est la haine contre l'esprit, contre la fierté, le courage, la liberté, le libertinage de l'esprit ; ce qui est chrétien, c'est la haine contre les sens, contre les joies des sens, contre la joie tout court..."
Bien plus qu'un pamphlet antireligieux et anticlérical, ce livre est une critique implacable et une généalogie de la morale, des idéaux du prêtre ascétique, de la "foi". Ces croyances, selon Nietzsche, persistent dans l'athéisme des "libres penseurs", et le "christianisme" se survit dans les "idées modernes", la foi dans la morale, la "vérité", le progrès, l'esprit de troupeau.
Nietzsche, sans le connaître véritablement, y inclut ce qu'il appelle "socialisme", qui escamote la réalité pour lui substituer des idéaux négateurs, grégaires, moralisateurs et nationalistes inspirés par la "volonté de vengeance" des "faibles". Cet avatar du "christianisme" fait étrangement songer à ce qu'on appelle aujourd'hui populisme ou fascisme.
Livre de la maturité, Humain, trop humain ouvre la deuxième période de la pensée nietzschéenne. Le philosophe a trouvé le style d'écriture qu'il n'abandonnera plus - la forme aphoristique - et l'objet qui l'occupera toujours - l'analyse des moeurs et de la culture.
Dans ce second volume, composé d'Opinions et sentences mêlées et du Voyageur et son ombre, Nietzsche aborde des sujets de tous ordres : l'enseignement, la mode, le christianisme, le châtiment, les Grecs... Au lieu de proposer un exposé dogmatique, il procède, tel le voyageur sans attaches, par essais et expérimentations. Mais derrière le caractère apparemment hétéroclite de l'oeuvre, c'est bien à une étude des moeurs et, à travers elle, à une critique de la morale que Nietzsche s'emploie. Pour lui, en effet, la morale telle qu'elle s'est développée dans la tradition philosophique a masqué derrière les lumières de la raison ce qui est perçu comme une faiblesse : les pulsions, l'irrationnel, l'« ombre » en chacun de nous - ces choses injustement mises au rebut alors qu'elles constituent la réalité profonde de la vie et que Nietzsche appelle le « trop humain » de l'humain.
À sa parution en 1878, Humain, trop humain laisse les lecteurs perplexes : on n'y reconnaît pas l'auteur de La Naissance de la tragédie. Pourtant, la rupture entre les deux ouvrages n'est pas aussi radicale qu'on a voulu le penser. C'est bien plutôt un mouvement d'affirmation de soi, profond et déterminant, qui se manifeste dans ce nouveau livre. Libéré de ses influences passées, Nietzsche réinvestit ses interrogations sur un mode nouveau et, ce faisant, consolide sa propre manière de philosopher.
L'évolution la plus frappante est stylistique : Nietzsche adopte pour la première fois la forme aphoristique, conforme à sa pensée, anti-dogmatique, qui procède par essais, hypothèses, multiplication des points de vue. D'où un changement de méthodologie : à rebours de la tradition philosophique, il rejette les perspectives fixistes de la métaphysique et prône une logique interprétative. Se plaçant sur le terrain de la psychologie, il enquête sur les méandres de l'âme humaine, reconnaissant que tout ce qui se produit dans la réalité n'est pas entièrement imputable à la raison, mais bien davantage à des processus infra-conscients - instincts, pulsions, valeurs -, qui constituent le « trop humain » de l'humain.
Le «bien», le «mal» : ces «valeurs», qui infléchissent nos pensées, nos jugements et nos actions, nous semblent évidentes, voire naturelles. À tort, nous dit Nietzsche. Ce sont en réalité des habitudes qui nous sont inculquées, depuis les temps archaïques, par les châtiments les plus cruels. Pire : loin d'être une marque d'humanité évoluée, elles sont le symptôme d'une civilisation malade de sa morale.
Aux yeux de Nietzsche, le véritable coupable est la religion chrétienne qui, depuis deux millénaires, a imposé un système de valeurs essentiellement hostile aux instincts premiers de la vie. L'homme «moderne» a forgé sa conscience morale dans la conviction d'avoir fauté, instillant en lui remords et veulerie. Médecin de la civilisation, le philosophe appelle de ses voeux un renversement de cette forme pathologique de la morale - renversement qui redonnera à la vie sa noblesse et à l'homme sa joie, sa force, sa santé.
Dossier :
1. Temporalités de la généalogie : histoire, évolution, élevage
2. Fondements de la généalogie : culture, droit et morale.
Contient :
- Le Gai Savoir
- Ainsi parlait Zarathoustra
- Par-delà bien et mal
- Généalogie de la morale
- Le Cas Wagner
- Le Crépuscule des idoles
- L'Antéchrist
- Ecce Homo
- Nietzsche contre Wagner
Avant-propos de Raphaël Enthoven.
Dans Aurore (1881), Nietzsche poursuit l'entreprise de critique radicale de la morale commencée dans Humain, trop humain, et pose ainsi les jalons d'un projet philosophique dont ses dernières oeuvres, de Par-delà bien et mal à Ecce homo, seront le couronnement.
Le philosophe s'impose ici comme un travailleur des ténèbres, forant le fond de la civilisation pour mettre au jour les origines plus ou moins nobles des idéaux, des croyances et des moeurs, saper les fondements de la morale et faire vaciller nos certitudes. Prônant la libération de la pensée, il en appelle à l'affirmation de nouvelles valeurs. Et il nous montre, à travers cette série de fragments placés sous le signe de la belle humeur, que l'étonnement et le scepticisme sont au principe de toute philosophie : « Un livre comme celui-ci n'est pas fait pour être lu d'un seul tenant ou à voix haute, mais pour être consulté, notamment en promenade ou en voyage. On doit pouvoir sans cesse y mettre le nez, puis le relever, et ne plus rien trouver d'habituel autour de soi. »
© Flammarion, Paris, 2012
Couverture : Virginie Berthemet ©
VO : Morgenrte Gedanken über die moralischen VorurteileFlammarion