« Finalement, Olav plante franchement ses yeux dans ceux d'Élisa. Un silence électrique, fervent, entre eux.
Il murmure, prononçant exagérément chaque syllabe :
- Il faut que je te dise, je suis fou. J'ai toujours su que ma tête était fêlée.
Tout jeune déjà. C'est dans la famille. Le sang slave, ou germanique, ou juif...
Élisa hésite sur le sens de la phrase, un instant suspendue au bref pincement de coeur qu'elle a suscité. Elle prend parti pour la légèreté, levant au ciel des yeux sceptiques avec une petite moue comique :
- Oui, je vois ça...
Il insiste :
- Je te jure, fou à lier !
Elle se tait.
Il sourit et ses yeux se teintent de violet dans la lumière voilée. Le serpent à son poignet rentre vivement la langue.»
Dans ce roman bref, percutant, Brigitte Haentjens explore les états limites de la sexualité, du désir. Elle creuse en profondeur les liens qui unissent la création, l'amour, la mort.
Une femme d'âge mûr, mariée à un homme attentif et prévenant, mère de deux grands enfants. Une artiste dont le travail est reconnu. Une femme comblée ?
Un jour, elle s'embrase à la vue d'un jeune homme au teint basané que son fils lui présente. Un instant suffit pour ébranler des années de certitude. Malgré la honte et la culpabilité qui l'accablent, elle multiplie les occasions de revoir cet homme à peine plus vieux que son fils.
Dans un combat incessant contre l'impossible et l'interdit, la femme se bute à la force déraisonnable de « l'espoir qu'il soulève contre toutes les évidences ».
Un grand amour est mort. Plus rien ne subsiste, sauf l'omniprésence douloureuse de l'absence. Comment recomposer le corps éclaté ? Où retrouver la sérénité ? La peine est si profonde que tout réconfort semble futile.
Pourtant, à force d'apprivoiser la douleur à chaque tournant du quotidien, on renoue avec la vie. On apprend à subir le souvenir d'un amour qui aurait dû être autre chose qu'un espoir déçu.
Extrait
je ne pourrais pas écrire sur la peine d'amour
elle est trop fulgurante
c'est l'après qui dure
l'écho du cri en dedans qui déchire tout
les nuits et les jours pour retrouver le corps éparpillé et
tous les lambeaux dispersés par l'éclatement
il faut seulement marcher à quatre pattes
c'est à peu près la seule position endurable quand on a mal au
ventre
Figure marquante du théâtre québécois et canadien, Brigitte Haentjens publie un deuxième ouvrage solo, un livre visuellement et formellement intrigant. La mise en page découpe comme de la poésie un texte qui se lit pourtant comme de la prose. Une série de photos d'Angelo Barsetti accompagne le texte. Le récit est réduit à l'essentiel : un regard en surface qui fait ressentir un désarroi en profondeur.
Une femme, photographe à Paris, est atterrée par la mort accidentelle de son jeune frère. Comme pour ne plus être consciente de cette perte, elle entreprend de se perdre elle-même. Elle se noie dans l'alcool, se livre à des inconnus, se lie avec un homme d'affaires allemand en une relation sexuelle intense mais dégradante. L'absence de son frère est une ombre qui la suit, l'enveloppe, la vide puis l'habite.
« Récit troué » : c'est le genre que donne l'auteure à ce portrait dénudé, qui s'interdit l'introspection, s'en tient à la surface des actes et des êtres. Son tour de force : faire sentir une intense présence au coeur d'une intense absence.
1932. Une histoire d'amour sur fond de mines, qui se penche sur les problèmes auxquels font face les mineurs de Sudbury pendant la crise des années trente. En fait, cette pièce fait la lumière sur tout un mode de vie où la mort occupe un rôle de premier plan dans la vie de divers groupes ethniques aux prises avec la réalité minière. « Nickel » a été produite par le Théâtre du Nouvel-Ontario à Sudbury en 1984. « Ce drame d'amour et de mines se vit dans les événements quotidiens de Sudbury et les coutumes de tous ces étrangers. Point de juxtaposition, mais fusion. L'unité de la pièce s'impose alors dans toute sa beauté structurelle. » (Le Droit)
Une tranche de vie, une fresque sociale où trois effeuilleuses, ces femmes qu'on regarde, mais qu'on n'écoute jamais, prennent enfin la parole. Un regard sur notre comportement dans la vie publique et l'intimité, sur les désirs et les frustrations face aux rêves inpsirés par le bombardement d'images publicitaires des médias.