« Finalement, Olav plante franchement ses yeux dans ceux d'Élisa. Un silence électrique, fervent, entre eux.
Il murmure, prononçant exagérément chaque syllabe :
- Il faut que je te dise, je suis fou. J'ai toujours su que ma tête était fêlée.
Tout jeune déjà. C'est dans la famille. Le sang slave, ou germanique, ou juif...
Élisa hésite sur le sens de la phrase, un instant suspendue au bref pincement de coeur qu'elle a suscité. Elle prend parti pour la légèreté, levant au ciel des yeux sceptiques avec une petite moue comique :
- Oui, je vois ça...
Il insiste :
- Je te jure, fou à lier !
Elle se tait.
Il sourit et ses yeux se teintent de violet dans la lumière voilée. Le serpent à son poignet rentre vivement la langue.»
Dans ce roman bref, percutant, Brigitte Haentjens explore les états limites de la sexualité, du désir. Elle creuse en profondeur les liens qui unissent la création, l'amour, la mort.
Figure marquante du théâtre québécois et canadien, Brigitte Haentjens publie un deuxième ouvrage solo, un livre visuellement et formellement intrigant. La mise en page découpe comme de la poésie un texte qui se lit pourtant comme de la prose. Une série de photos d'Angelo Barsetti accompagne le texte. Le récit est réduit à l'essentiel : un regard en surface qui fait ressentir un désarroi en profondeur.
Une femme, photographe à Paris, est atterrée par la mort accidentelle de son jeune frère. Comme pour ne plus être consciente de cette perte, elle entreprend de se perdre elle-même. Elle se noie dans l'alcool, se livre à des inconnus, se lie avec un homme d'affaires allemand en une relation sexuelle intense mais dégradante. L'absence de son frère est une ombre qui la suit, l'enveloppe, la vide puis l'habite.
« Récit troué » : c'est le genre que donne l'auteure à ce portrait dénudé, qui s'interdit l'introspection, s'en tient à la surface des actes et des êtres. Son tour de force : faire sentir une intense présence au coeur d'une intense absence.
Une femme d'âge mûr, mariée à un homme attentif et prévenant, mère de deux grands enfants. Une artiste dont le travail est reconnu. Une femme comblée ?
Un jour, elle s'embrase à la vue d'un jeune homme au teint basané que son fils lui présente. Un instant suffit pour ébranler des années de certitude. Malgré la honte et la culpabilité qui l'accablent, elle multiplie les occasions de revoir cet homme à peine plus vieux que son fils.
Dans un combat incessant contre l'impossible et l'interdit, la femme se bute à la force déraisonnable de « l'espoir qu'il soulève contre toutes les évidences ».
Un grand amour est mort. Plus rien ne subsiste, sauf l'omniprésence douloureuse de l'absence. Comment recomposer le corps éclaté ? Où retrouver la sérénité ? La peine est si profonde que tout réconfort semble futile.
Pourtant, à force d'apprivoiser la douleur à chaque tournant du quotidien, on renoue avec la vie. On apprend à subir le souvenir d'un amour qui aurait dû être autre chose qu'un espoir déçu.
Extrait
je ne pourrais pas écrire sur la peine d'amour
elle est trop fulgurante
c'est l'après qui dure
l'écho du cri en dedans qui déchire tout
les nuits et les jours pour retrouver le corps éparpillé et
tous les lambeaux dispersés par l'éclatement
il faut seulement marcher à quatre pattes
c'est à peu près la seule position endurable quand on a mal au
ventre
Une tranche de vie, une fresque sociale où trois effeuilleuses, ces femmes qu'on regarde, mais qu'on n'écoute jamais, prennent enfin la parole. Un regard sur notre comportement dans la vie publique et l'intimité, sur les désirs et les frustrations face aux rêves inpsirés par le bombardement d'images publicitaires des médias.
En ouverture de ce numéro estival, Benoît Dequen affirme qu'« il est plus important que jamais d'abattre les murs, de décloisonner la cinéphilie, mais aussi la nature des voix qui s'expriment sur et autour du cinéma. » C'est pourquoi 24 images ouvre ses pages d'été au théâtre. Se détournant de la compilation de films tirés de texte dramatique, ce numéro s'intéresse au passage de l'écran à la scène et aux démarches singulières d'hommes et de femmes de théâtre passionnés et inspirés par le 7e art. Le décloisonnement créatif est également mis de l'avant avec un hommage à Seijun, un survol personnel de Ralph Elawani sur le cinéma et la contre-culture à Montréal, un dernier salut à l'acteur Tomás Milián, aussi à l'aise dans la série B que chez Antonioni, et une tragédie théâtrale en 4 chants sur l'histoire de l'art vidéo.
DOSSIER - Féministes ? Féministes !
sous la direction de Martine Delvaux
Peut-on être féministe aujourd'hui ? De quelle façon peut-on endosser, agir, interroger cette prise de position ? Quels sont les enjeux qui sous-tendent à la fois sa remise en question et son assertion ? Devant la re-montée des féminismes militants ici et ailleurs, le dossier «Féministes ? Féministes !», sous la direction de Martine Delvaux, souhaite figurer le passage de l'interrogation - peut-on, doit-on encore être féministe aujourd'hui ? -, à l'affirmation de cet engagement en tant que citoyennes, artistes et intellectuelles...
PORTFOLIO - Rose-Marie E. Goulet
Du sida, que penser aujourd'hui ? À quels enjeux sommes-nous encore confrontés alors que l'éradication du virus du VIH est loin d'être chose accomplie ? Comment répondre des morts, témoigner des disparus à l'heure où le sida est, pour beaucoup, une relique du passé ? Plus d'une génération du sida se manifeste dans ce dossier et c'est à l'aune de ce pluriel générationnel que les collaborateurs et collaboratrices ici réunis tentent de penser le sida.
Que traduit-on quand on traduit la littérature du Canada anglais en français? Peut-on continuer à parler sans rire de deux solitudes, de grands espaces, de nature sauvage, ou de mésentente sur le bilinguisme officiel comme étant des conditions suffisantes pour résumer des oeuvres qui circulent et résonnent aujourd'hui en dépit de ces poncifs? Sous la direction de Daniel Laforest et Maïté Snauwaert, ce dossier rassemble des points de vue et des lectures qui appellent à une transformation nécessaire des discours critiques sur la littérature au Canada. Hors dossier, une chronique signée Brigitte Haentjens, un entretien avec Marie-Hélène Falcon et un portfolio consacré à l'artiste multidisciplinaire Patrick Beaulieu, entre autres.