Au travers de photos et de souvenirs laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux nous fait ressentir le passage des années, de l'après-guerre à aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.
Marina Moncade est la voix sensible et délicate d'Annie Ernaux qui regarde en elle-même pour retrouver le monde, la mémoire et l'imaginaire des jours passés.
"Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide.
Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.
Puisque la maîtresse me "reprenait", plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que "se parterrer" ou "quart moins d'onze heures" n'existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois : "Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps !" Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancoeur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent."
Prix Renaudot.
En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir, l'espace de plusieurs mois, la "fille scandaleuse" de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture.
Ce texte est une clé pour lire l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.
"J'ai voulu l'oublier cette fille. L'oublier vraiment, c'est-à-dire ne plus avoir envie d'écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y suis jamais parvenue."
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l'été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l'Orne. Nuit dont l'onde de choc s'est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
D'une voix grave et sensible, Dominique Reymond nous emmène dans un incessant va-et-vient entre passé et présent et dresse le portrait d'une jeune femme en devenir.
Un bouleversant voyage dans les tréfonds de la mémoire.
"Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse."
Annie Ernaux
"À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi."
Annie Ernaux
Annie Ernaux s'efforce ici de retrouver les différents visages et la vie de sa mère, morte le 7 avril 1986, au terme d'une maladie qui avait détruit sa mémoire et son intégrité intellectuelle et physique. Elle, si active, si ouverte au monde. Quête de l'existence d'une femme, ouvrière, puis commerçante anxieuse de "tenir son rang" et d'apprendre. Mise au jour, aussi, de l'évolution et de l'ambivalence des sentiments d'une fille pour sa mère : amour, haine, tendresse, culpabilité, et, pour finir, attachement viscéral à la vieille femme diminuée.
"Je n'entendrai plus sa voix... J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue."
Pendant un an, Annie Ernaux a tenu le journal de ses visites à l'hypermarché Auchan du centre commercial des Trois-Fontaines situé en région parisienne. "Voir pour écrire, c'est voir autrement", écrit-elle. On redécouvre en effet à ses côtés le monde de la grande surface. Loin de se résumer à la corvée des courses, celle-ci prend dans ce livre un autre visage : elle devient un grand rendez-vous humain, un véritable spectacle. Avec ce relevé libre de sensations et d'observations, l'hypermarché, espace familier où tout le monde ou presque se côtoie, atteint la dignité de sujet littéraire.
« Les livres ont donc constitué très tôt le territoire de mon imaginaire, de ma projection dans des histoires et des mondes que je ne connaissais pas. Plus tard, j'y ai trouvé le mode d'emploi de la vie, un mode d'emploi auquel j'accordais beaucoup plus de confiance qu'au discours scolaire ou au discours de mes parents. J'étais encline à penser que la réalité et la vérité se trouvaient dans les livres, dans la littérature. » A.E.
Son enfance, sa mémoire, sont la matière même de ses livres. Pourtant, c'est seulement en 2012 qu'Annie Ernaux retourne à Yvetot sur invitation de la ville de Normandie qui l'a vue grandir. Elle vient y donner une conférence sur son travail qui y est intimement lié. Ce retour en tant qu'écrivaine est un véritable événement littéraire et c'est cet événement qui est retranscrit ici. À la suite de ce texte lu par Dominique Blanc, Annie Ernaux se remémore, dans un entretien inédit, des moments de son enfance et de sa jeunesse à Yvetot à travers des photographies qu'elle a choisi de commenter.
Un dimanche de ses dix ans, à la dérobée, Annie apprend qu'elle n'est pas enfant unique. Avant sa naissance, ses parents ont perdu une première fille, emportée par la diphtérie. Plus jamais Annie n'entendra un mot sur cette soeur inconnue dont elle ne semble être que la remplaçante, voire le négatif. Comment percer le mystère de cette petite sainte dont l'identité redéfinit la place d'Annie dans le trio familial ? Soixante ans plus tard, c'est l'écriture d'une lettre à cet étrange fantôme qui permet enfin à l'auteur d'approcher son double et de cerner l'origine de sa vocation d'écrivain.
Dans le style fluide et acéré qui rend son oeuvre unique et a fait d'elle l'un des plus grands écrivains français, Annie Ernaux revient sur un secret de famille fondateur et universel.
« C'est un drôle de truc, l'écriture. » Marguerite Duras.
« Être femme, c'est le résultat d'une histoire. » Simone de Beauvoir.
« Il est des livres qu'on ne doit pas oser avant d'avoir dépassé quarante ans. On risque avant cet âge de méconnaître l'existence des grandes frontières naturelles qui séparent l'infinie variété des êtres. » Marguerite Yourcenar.
« Il n'y a pas de vraie mémoire de soi. » Annie Ernaux.
Retrouvez dans ce recueil des extraits de : les Mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar et La Honte d'Annie Ernaux.