Empires aztèques et chinois, cités grecques, royaumes africains et sociétés maghrébines, nombre de cultures réglementaient leur "marché", donc le protégeaient. La pleine liberté économique n'apparaît non sans heurt qu'au XIXe siècle au sein de l'Occident. Pourtant la science économique ne connaît pas le concept d'économie protégée ni de marché protégé : les économistes préfèrent recourir à un concept plus froid, le protectionnisme vu comme la "politique des États qui vise à limiter le volume des importations". Pour remédier à cette cécité historique, Ali Laïdi offre la première histoire non pas des idées économiques mais bien des faits. À travers l'étude des produits "protégés" au sein des civilisations aussi bien antiques que modernes - blé, riz, café, textile, métaux, pétrole, automobiles et jusqu'aux "services" les plus récents - l'auteur montre comment et pourquoi les hommes protègent leurs moyens de subsistance. C'est donc à une nouvelle lecture particulièrement féconde du protectionnisme, d'une criante actualité, que le lecteur est convié.
Une somme sur la violence des rapports économiques dans le monde, du Moyen Age à nos jours.La guerre économique est à l'économie ce que la science de la guerre est à la politique, un affrontement pour capter les ressources. Dès la préhistoire, les hommes s'affrontent pour conquérir les meilleurs territoires de chasse et de cueillette, tandis que Phéniciens, Égyptiens, Romains et Chinois de l'Antiquité sécurisent leurs routes commerciales pour éliminer la concurrence. Au Moyen Âge, les marchands allemands regroupés au sein de la Hanse mènent des guerres, déclenchent des blocus économiques, le tout au nom de la défense de leurs intérêts commerciaux. Avec les grandes découvertes, les États européens prennent les rênes et se livrent de terribles batailles pour s'emparer des épices des nouveaux mondes. Lors du premier conflit mondial, détruire le potentiel commercial de l'adversaire est un des buts de guerre affichés, tandis qu'aujourd'hui les multinationales affrontent l'hyperconcurrence avec leurs propres armes, lesquelles n'ont souvent rien à envier à celles des services de renseignements et de sécurité des États.
On comprend, à la lecture de cette synthèse, pourquoi le mythe libéral du " doux commerce " a toujours nié cette évidence : la politique n'a pas le monopole de la violence. Elle le partage avec l'économie.
" La guerre économique est incessante, protéiforme et nous donne l'occasion, grâce à cet excellent livre, de revisiter l'histoire du monde sous un autre angle. "
Les Échos.
Depuis une dizaine d'années, les États-Unis mobilisent une arme économique dont les élites européennes sont en train d'évaluer les dégâts et que l'opinion publique ne soupçonne pas : leur droit, leurs lois, qu'ils appliquent au-delà de leurs frontières et qui leur permettent de s'ingérer dans la politique étrangère et commerciale de leurs ennemis comme de leurs alliés. Cibles prioritaires : les entreprises européennes en général, et françaises en particulier. Méthode : sanctionner en infligeant de lourdes amendes, fragiliser, racheter. Washington joue au shérif économique pour préserver et enrichir ses intérêts nationaux.
Le 11 septembre 2001, les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone ont plongé le monde dans la stupeur, au point que beaucoup ont été tentés dy voir un changement de paradigme, le moment où est « mort le monde ancien ». Cinq ans plus tard, il est temps que nos yeux se décillent : ce monde partagé en deux blocs nest pas mort en 2001, nous dit Ali Laïdi, mais en 1989 avec la chute du Mur. Avec lémergence dune unique hyper-puissance, la guerre froide, de nature idéologique, sest muée en une guerre économique mondiale, une guerre menée par tous contre tous, quon appelle par euphémisme mondialisation.
Les effets de cet affrontement non-violent sont ravageurs pour des civilisations traditionnelles, dont les modes de vie et les valeurs plient sous la déferlante dimages, de sons et de mots venus dailleurs, porteurs de modernité et de promesses de mieux-être que rien ni personne ne peut satisfaire.
Chez les populations musulmanes, elle se heurte à une résistance plus farouche quailleurs. Linertie de leurs gouvernements et de leurs élites, voire la compromission de celles-ci avec lOccident, ne font que décupler la frustration et la rage de populations arabes qui ont limpression de ne plus maîtriser leur destin. La religion devient alors pour les plus exaltés dentre eux le seul refuge de leur identité menacée, le dernier sanctuaire de leur souveraineté personnelle et collective. Loin dêtre la source de leur haine, comme le veut un contresens couramment répandu en Occident, elle en est le vecteur, le mode dexpression.
Face au danger dune « guerre sans fin » où le terrorisme, larme des faibles, susciterait une réponse toujours plus belliqueuse des forts, Ali Laïdi plaide pour que lOccident prenne enfin conscience des dommages collatéraux occasionnés par la mondialisation, et pour que les élites arabes, de leur côté, fassent sauter les verrous qui enferment leurs peuples dans le cercle vicieux de léchec et du ressentiment.
La guerre économique est partout. Elle oppose les États entre eux, les entreprises entre elles, les États aux entreprises, les marchés aux États... Ses champs de bataille sont sans limites. Subventions déguisées, espionnage industriel, guerre de l'information, manipulation des monnaies, évasion fiscale... tous les coups sont permis. Les tensions montent et la tentation du protectionnisme revient en force.
Hier, la guerre économique était totalement ignorée. Ceux qui osaient en parler passaient, au pire, pour des adeptes de la théorie du complot, au mieux, pour des incultes en matière économique. Pas étonnant, car la guerre économique est rejetée aussi bien par les libéraux que par les penseurs de la gauche et de l'extrême gauche.
Or, comme le montre l'auteur, dans cette investigation généalogique, ses racines intellectuelles et philosophiques sont très anciennes. Elles puisent dans les textes des grands auteurs depuis Sun Tzu jusqu'à Raymond Aron en passant par Rousseau, Hobbes, etc., pour aboutir à sa forme contemporaine. La guerre économique n'est pas une idéologie. Elle n'est que le symptôme d'un nouveau malaise de la civilisation.
Ali Laïdi, docteur en science politique, chercheur à l'IRIS, est chroniqueur à France 24, chargé du journal de l'intelligence économique. Il a récemment publié Les États en guerre économique, Le Seuil, 2010, prix Turgot IES.