France 2017 : une nation à bout de souffle ?
Peut-on faire autrement aujourd’hui que de dénoncer la tyrannie des minorités et de refuser le multiculturalisme, opposant à ce dernier la culture du rassemblement ? Tout dérive en effet de ce premier constat. Le problème prioritaire de la France réside dans son manque de cohésion nationale et sociale. Lorsque la haine de soi l’emporte au point de criminaliser l’emploi du mot « identité » ou que certains s’interrogent sur la légitimité d’afficher notre drapeau (par exemple lors des célébrations et cérémonies nationales), c’est la condition même de l’action politique qui se voit détruite. Quel objectif poursuit un Etat et son chef, sinon de permettre à la collectivité qu’il conduit de persévérer dans l’être et de se développer, sans nuire aux autres sociétés humaines.
Il est donc bien nécessaire de reconnaître l’existence d’une identité, et il se trouve que la politique moderne repose sur des nations. Il faut réaffirmer le socle implicite du contrat social : loin de se réduire à une pure convention juridique et formelle garantissant la fin de l’état de nature redouté par Hobbes, il suppose qu’un consensus existe sur des manières de vivre fondamentales. Dans le cas contraire, aucun artifice ou arrangement contractuel (de surcroît fictif puisque les théories du contrat social constituent d’abord une structure de raisonnement) ne compensera l’absence d’une culture partagée. C’est clairement l’un des cœurs du débat présidentiel de 2017. Rien de nouveau, certes, dans un tel diagnostic sur la difficulté de notre pays à faire nation, dans la mesure où les communautarismes le fragilisent régulièrement, mais l’on comprend intuitivement et rationnellement que la base du vote Front national (et maintenant d’une part non négligeable de celui des Républicains) est là : dans l’incapacité de nos élites à valoriser la France, son héritage, ses valeurs et ses réalisations présentes.
Dès lors l’insistance manifestée par une insigne part de nos concitoyens sur la nécessité de réaffirmer l’autorité n’a rien d’étonnant. Chacun ressent néanmoins que cette évidence mérite désormais d’être ré-énoncée. Le djihadisme salafiste fournit bien sûr une occasion décisive pour démontrer la justesse d’une telle revendication. Il faut certes se méfier des propositions liberticides, mais l’on doit constater qu’elles sont symétriques des discours lénifiants qui postulent que le délinquant ou le terroriste est d’abord et avant tout un être fragile que la société n’a pas su traiter psychologiquement ou épauler socialement et économiquement. La polémique du burkini nous a encore fourni quelques illustrations déplorables de responsables politiques ignorant la claire volonté de provocation d’intégristes dans toute cette affaire. Ceci alors même que n’importe quel citoyen comprend parfaitement que le fondamentalisme, le salafisme – fut-il quiétiste – constitue l’antichambre de l’islam radical et du djihadisme.
En 2017, la question n’est pas de devoir choisir entre l’Etat de droit et l’état d’exception. Bien entendu, il ne s’agit pas de renoncer aux libertés individuelles que nous garantissent les démocraties libérales. La république n’a pas vocation à se transformer en régime policier ou en société de surveillance à la Minority Report. Le problème, c’est de trouver les chemins juridiques pour faire face à une réalité particulière, en l’occurrence la menace terroriste. Il est bien clair que nous avons à faire face à une forme de « guerre » diffuse et tous azimuts qui ne respecte pas les grilles habituelles qui nous permettent de nous situer, par exemple, à l’intérieur du domaine de la sécurité ou de la défense. Notre ennemi est à la fois une force territorialisée (Daesh en Syrie), un réseau avec des « agents » répandus sur la planète, et une machine idéologique, de propagande, qui permet de pousser à l’acte des personnes radicalisés, soit déjà impliquées dans le milieu délinquant et criminel, soit perturbés psychologiquement (voire les deux). Il faut donc combattre nos adversaires militairement, tout en développant une politique de sécurité intérieure très largement inédite, en mêlant prévention et préparation des citoyens, anticipation, opérations de police musclées et adaptation permanente de la réponse judiciaire. Nous n’avons donc guère besoin de réformes constitutionnelles mais d’un fonctionnement réaménagé des forces de l’Etat (qui ne concerne pas seulement le Ministère de l’Intérieur et de la Défense) et d’une implication encore à inventer de la société civile et des entreprises sur le volet de l’anticipation, de la vigilance et de l’information. Il convient par ailleurs de faire preuve de courage politique et de refuser désormais qu’il puisse encore exister des « territoires perdus » de la république, qui constituent un espace de macération pour le radicalisme islamiste et le djihadisme.
Au bout du compte, où se situe donc notre problème ? Dans la propension de notre pays à se culpabiliser à tout propos. Ou plutôt dans la volonté de nos « élites » d’atteindre leurs objectifs personnels en flattant tous les communautarismes bruyants. Terrorisés par quelques médias parisianistes censés tracer la ligne entre le camp des « progressistes » et celui des « conservateurs », nos politiciens, intellectuels à la mode, et titans des affaires, préfèrent donner des gages à tous ceux qui se prétendent dominés, aux minorités vindicatives, aux technocrates bruxellois et aux apôtres de la marchandisation du monde. Qu’ont-ils en commun ? Miner la légitimité du concept de nation, prétendre que la souveraineté populaire se confond avec le plus abject des populismes (cf. le Brexit et l’élection de Donald Trump), et affirmer le droit des communautés à devenir des prisons communautaristes au sein desquelles les individus s’effacent au profit du collectif. L’être à nul autre pareil devient exclusivement le représentant de son groupe : les Indigènes de la République ou le Collectif contre l’islamophobie en France laissent apercevoir cette dynamique avec une extrême clarté.
Comment en sortir ? En osant s’opposer aux discours faussement modernes de ces dernières années qui affirment de façon péremptoire que le roman national est un instrument d’oppression et un anachronisme. Pourvu qu’on le comprenne bien et qu’on le modernise, il demeure notre meilleure défense contre le harcèlement communautariste, tissé de rapides assauts incessants contre les fondements des sociétés ouvertes.